A Drop of Corruption - RJ Bennett


A Drop of Corruption est le second tome du cycle Shadow of the Leviathan, après The Tainted Cup. Et c'est un excellent roman, supérieur encore imho à son prédécesseur.

Quelques détails sur A Drop of Corruption, sans trop spoiler (on se reportera à la chronique du premier volume pour les infos sur le background).


Les événements relatés dans le premier tome sont loin derrière le duo Dinios Kol/Ana Dolabra. Quelques autres affaires ont été résolues depuis. Et voici que la pittoresque paire d'enquêteurs est appelée aux confins du monde, dans les marches, précisément dans le royaume de Yarrow, un territoire souverain qui négocie depuis des décennies son intégration à l'Empire de Khanum. En effet, un meurtre particulièrement étrange et cruel vient de toucher l'un des membres de la délégation du Trésor impérial qui négocie comme tant d'autres avant elle les termes de la fusion politique entre Yarrow et l'Empire – ennuyeux quand il semble que royaume et Empire approchent du moment de la finalisation.

Kol et Dolabra, eu égard à leurs capacités exceptionnelles, sont donc envoyés pour résoudre l'énigme et intervenir de la façon la plus diplomatique et discrète possible en un lieu et un temps politiquement sensibles. Ils découvriront couche sur couche d'intrigues, de complots et de trahisons, et seront soumis à la plus grande difficulté jamais rencontrée tant celui qu'il traque est brillant et élusif, un peu comme un Moriarty biopunk.


A Drop of Corruption est l'occasion pour l'auteur de sortir de l'Empire et d'aller à la rencontre d'une autre société. Monarchie héréditaire et absolue, Yarrow est porteuse de tous les éléments qui légitiment ce type de régime. L'importance capitale accordée à la tradition, à l'antériorité, au temps long, à la légitimité dynastique est bien illustrée ici par Robert Jackson Bennett. Elle suinte de chaque parole de Pavitar, le grand prêtre local et fer de lance des conservateurs hostiles à l'intégration, “We Yarrows worship our ancestors, the kin of before. The king is ancestry made flesh. All of his judgments are the judgments of the ancients.”.

Elle est présente aussi dans les discours du satrape Darhi qui lui, pourtant, souhaite que le royaume intègre l'Empire, ce qui lui vaut l'ire de Pavitar : “Darhi…Feh!” spat Pavitar. “No. He has always been the Empire’s thing. He seeks trade, and wealth. As we say—Ika aḍakohsa la’i ika siki da parasi. He has a purse for a scrotum, and coins instead of balls.


Face à l'Empire où, comme dans la Chine impériale, c'est le mérite, le concours, la progression de carrière qui font la place dans l'échelle sociale, dans le royaume de Yarrow la position sociale est fondée sur l'hérédité biologique, la naissance donc, à laquelle peut s'ajouter le fait du prince. Dans un tel système, de manière explicite, les biens nés méprisent le reste de la population en des termes qui choquent autant les oreilles impériales que celles du lecteur.

Le royaume de Yarrow est donc, nous venons de le voir, très loin de l'égalité formelle des citoyens et de la gestion administrative qui sont les caractéristiques de l'Empire. De fait, existe à Yarrow un système de servage très dur qui rappellent les âmes mortes de la Russie impériale. Voilà pourquoi tant des petites gens du royaume espèrent l'intégration, voilà pourquoi il a été facile aux Apoths qui administrent largement la zone frontière de trouver des supplétifs Yarrow pour étoffer leurs rangs (tels la Warden Tira Malo qui sera d'une très grande assistance pour l'enquête).


L'omniprésence des Apoths dans ce roman s'explique car, dans la baie de Yarrow, au large, ceux-ci ont construit le Shroud, une gigantesque structure semi-vivante qui sert à extraire en sécurité des restes des léviathans tués par le Légion les substances chimiques indispensables à toute l'ingénierie biologique de l'Empire. Le Shroud est une création off limit, capitale pour l'Empire, discrètement placée loin de son cœur, très dangereuse et proprement colossale. On ne peut imaginer qu'elle ne sera pas au cœur de l'intrigue.


Car, sans spoiler, l'enquête dévoilera les effets de l'hybris dévastateur qui préside à tout ce qui touche au Shroud. Et, l'auteur ne reculant devant aucun effort pour époustoufler le lecteur, elle sera aussi l'occasion de visiter une cité littéralement merveilleuse, la High City of Yarrow, ainsi que de participer à une expédition dans les marais proches de la baie, à la rencontre d'un culte d’irréguliers qui peut lointainement évoquer le repère du colonel Kurtz dans Apocalypse Now.


A Drop of Corruption est aussi l'occasion d'approfondir la relation entre  Kol et Dolabra, de faire nôtres les tourments existentiels de Kol, d'en apprendre plus sur la particularité de Dolabra qui lui donne de telles capacités déductives.

Et de rappeler encore et encore, en des temps qui semblent de plus en plus en avoir besoin, l'impérieuse nécessité de la justice qui, seule, rend la société vivable et viable :

“This work can never satisfy, Din, for it can never finish. The dead cannot be restored. Vice and bribery will never be totally banished from the cantons. And the drop of corruption that lies within every society shall always persist. The duty of the Iudex is not to boldly vanquish it but to manage it. We keep the stain from spreading, yes, but it is never gone. Yet this job is perhaps the most important in all the Iyalets, for without it, well … The Empire would come to look much like Yarrow, where the powerful and the cruel prevail without check. And tell me—does that realm look capable of fighting off a leviathan?”


A Drop of Corruption est une occasion enfin, Robert Jackson Bennett l'écrit dans sa postface, de redire la supériorité des systèmes régulés et procéduraux sur les autocraties qui semblent fleurir dans le monde aujourd’hui :

« When I first sat down to write this story, I made the unwise choice to depict the realm of Yarrow as a Dark Ages or medieval kingdom: that is to say, squalid, filthy, and wretched. Disdaining such a thing was too easy, I realized. A wiser choice would be to not only have it resemble a kingdom of High Fantasy, aweing Din with its stone walls and armored warriors and high halls, but to weave imagery of High Fantasy autocracy throughout all the crimes of this story, from the king of Yarrow, to priestly Thelenai, to the pale king of the swamps. Because all the characters in this story—like all of humanity, apparently—have a little blank spot in their heads that says, “Kings. What a good idea.” The idea is powerful, and seductive, and should not be underestimated. To be a civilization of any worth, however, means acknowledging the idea—and then condemning it as laughably, madly stupid. » RJB


Dynamique, intelligent, intrigant, captivant, mystérieux, truffé de twists (y compris de twists géopolitiques ce qui est assez rare) je n'ai pas assez d'adjectifs pour dire à quel point A Drop of Corruption est agréable à lire et futé sans jamais être pontifiant. Vivement que ce cycle arrive en France.


A Drop of Corruption, Robert Jackson Bennett

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