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Gromovar
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The Tainted Cup est le dernier roman de Robert Jackson Bennett. Il est aussi le premier volume d'une duologie qui verra très bientôt sa conclusion. On y retrouve la patte et le style RJB dans un univers radicalement différent de celui des Cités Divines.
Saint Empire de Khanum. Un empire qui ressemble furieusement à la Chine médiévale avec son empereur, ses nombreux groupes ethniques, son administration pléthorique et très organisée, ses titres qui disent la hiérarchie des fonctions, ses examens impériaux qui attribuent à chacun la place à laquelle il a droit dans une méritocratie idéale. Quoique...
Il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu'à coté de l'administration impériale qui est une bureaucratie wéberienne accomplie existe une classe oligarchique de propriétaire terriens richissimes qui vivent dans un luxe obscène et tirent grand pouvoir politique et passe-droits nombreux de la fortune patrimoniale qu'ils détiennent.
C'est dans l'une des propriétés de l'une de ces familles qu'est découvert un cadavre, et quel cadavre ! Le Commander Taqtasa Blas, du corps des Ingénieurs, tué par une plante géante qui a surgi de son corps vivant, le détruisant dans le processus. Diantre !
Plantes, ingénieurs, empire, précisons un peu.
L'Empire est un lieu conquis sur le péril. Trois Murs circulaires aussi impressionnants que des murailles de Chine séparent le cœur du pouvoir de la mer, auquel s'ajoutent les Sea Walls sur la côte même. Ces fortifications cyclopéennes protègent l'Empire – de plus en plus à mesure qu'on approche du Sanctum impérial – des léviathans monstrueux qui tentent de pénétrer dans les terres durant les saisons humides pour y semer la dévastation. Chaque incursion de léviathan, si elle n'est pas stoppée, provoque de grandes destructions, des morts par milliers, et ensemence la terre d'un sang putride qui est source de modifications génétiques imprévisibles et innombrables (une mongrelisation de fait qui menace la vie des citoyens impériaux autant qu'elle les sert, on y reviendra).
Face aux léviathans, qui reviennent année après année, il y a les Ingénieurs qui conçoivent et entretiennent les Murs, la Légion qui combat à partir des Murs – ou du sol si les Murs sont franchis –, les Apothetikals qui tirent des plantes les potions, soins, artefacts quasi-magiques et aussi modifications génétiques volontaires qu'ils appliquent sur quantité de citoyens (les plus modifiés étant nommés Sublimes) afin de les rendre plus forts, plus rapides, plus intelligents, plus massifs, au prix à chaque fois d'une vie raccourcie et/ou stérile. C'est parce que le pouvoir de transformer, de soigner, d'augmenter est tiré des plantes que les propriétaires de vastes domaines agricoles sont aussi puissants, ils sont ceux qui fournissent son carburant à l'empire. Le pétrole est ici végétal.
Moins directement concernés par la protection contre les léviathans, les Iudex enquêtent et rendent la justice au nom de l’empereur. C'est donc un enquêteur Iudex, le Signum Dinios Kol, qui est envoyé sur l'affaire du meurtre inexpliqué pour tenter de la résoudre.
Sache, lecteur, qu'il est inhabituel que Kol, un simple assistant, soit seul sur la scène de crime. La procédure standard voudrait que ce soit l’enquêtrice en titre, Ana Dolabra, qui se déplace. Mais Dolabra est une personne très spéciale. Elle ne sort quasiment jamais de son cantonnement dans lequel, d'ailleurs, elle vit la plupart du temps les yeux bandés pour s'isoler sensoriellement et ainsi penser mieux. C'est donc Kol qui va sur site et enregistre dans sa mémoire, infaillible car il est un Engraver génétiquement modifié, les faits, détails, dialogues qu'il rapportera ensuite fidèlement à Dolabra afin qu'elle fasse tourner dans son cerveau tous les éléments recueillis par son assistant. Il est le périphérique d'entrée, elle est le processeur.
Sache-le, lecteur, Dolabra n'est pas qu'excentrique, elle est aussi terriblement brillante et elle résoudra donc assez vite l'affaire du Commander assassiné mais, ce faisant, elle mettra à jour une conspiration bien plus inquiétante pour le sort même de l'Empire. Une corruption qu’il faut éradiquer pour que le sacrifice de tant de fonctionnaires impériaux ne soit pas changé en mascarade par ceux qui détournent l'Empire à leur profit.
The Tainted Cup est un murder mystery qui fonctionne à merveille.
Le rythme des révélations et la logique des déductions de Dolabra sont impossibles à prendre en défaut, tout semble couler de source au bon tempo. Le plaisir qu'on ressent à lire des aventures de Sherlock Holmes se retrouve ici ; c'est le plaisir du spectacle de la déduction en majesté.
Par-delà le bonheur d'assister à un jeu d'esprit finement construit, le plaisir vient également – et même si l'auteur dit s'être inspiré de Nero Wolfe – du caractère holmesien du roman. Dolabra, qui expérimente sans cesse, paraît parfois demi-folle, et s'isole pour penser mieux, qui aime son assistant mais le rudoie sans cesse, qui est une forme de sociopathe assumée, qui démontre des capacités de déduction proprement surhumaines, fait immanquablement penser au détective de Baker Street. Avec son assistant ils forment un buddy gang qui rappelle – toutes proportions gardées – Holmes et Watson. Ou, dans un genre différent mais pour rester chez RJB, Shara Komayd et Sigrud je Harkvaldsson. Ou, si on veut se souvenir d'un cas dans lequel l'un reste dedans quand l'autre enquête dehors, Lecter et Starling.
The Tainted Cup est aussi un roman de fantasy orientale qu'on qualifiera de biopunk tant il en a les traits – même si on ne se trouve pas ici dans les univers futuristes habituels.
Modifications biologiques temporaires ou permanentes, spores ou champignons multifonctions, infestations par des parasites, reconstitution de membres détruits, c'est dans une biologie maîtrisée par les Apothetikals – et pas dans la mécanique – que l'Empire va chercher la source de son pouvoir sur la nature. Et c'est pour contrôler les terres sur lesquelles poussent les plantes indispensables à la technologie de l'Empire que se déchirent les grandes familles et que se commettent des atrocités.
The Tainted Cup est surtout un bon roman qui se lit d'une traite tant il est abordable et tant les mystères qu'il propose attirent notre attention. Encore une fois RJB détourne la fantasy pour étendre son champ, encore une fois il livre un roman qui est un vrai divertissement dépaysant et captivant avec un fond politique qui ne l'alourdit pas mais l'enrichit.
RJB nous emmène livre après livre là où nous n’aurions jamais cru aller, c'est pour ça qu'on lit de l'Imaginaire. Qu'il continue !
The Tainted Cup, Robert Jackson Bennett
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