Futur lointain. L'humanité, nos descendants, est éparpillée sur quantité de mondes et de systèmes stellaires reliés entre eux grâce à des vaisseaux spatiaux capables de voyager à travers les branes !
Et cette humanité a été attaquée, elle est en guerre. Contre les Carryx, les aliens génocidaires, esclavagistes et largement incompréhensibles du roman The Mercy of Gods. Depuis longtemps et à travers des abîmes d'espace proprement inaccessibles à l'esprit humain.
Livesuit est une novella de James S.A. 'Expanse' Corey.
C'est l'histoire de Kirin, un jeune homme de la planète Kaladon. Il a un logement, des activités, des amis, une copine, une vie en somme. Aux infos, presque en fond sonore, Kirin entend des nouvelles de la guerre qui se passe loin, si loin, (« Another solar system had just been killed »). Puis il passe à autre chose car sa vie est là, sur Kaladon, avec Mina. On se croirait dans le Déjeuner en paix de Stephan Eicher.
Quand son meilleur ami, Piotr, lui annonce qu'il s'engage pour combattre dans une guerre qui, si rien n'est fait, finira bien par atteindre leur monde, on comprend qu'il sera vite imité par Kirin qui, lui aussi, entre dans l'infanterie aéroportée.
J'ai écrit « on comprend » car quand la novella commence Kirin est au combat et que l'histoire est raconté sur deux fils, le présent de la guerre, de mission en mission, et le passé de Kirin, de Kaladon à son entraînement.
A travers ces deux fils on comprend les motivations du jeune homme, les premiers liens de camaraderie si spéciaux qui se créent entre lui et les autres engagés (« Kirin didn't know these people, and he was putting his life in their hands. They were putting their lives in his. It wasn't a feeling that compared to anything else he'd done »), la dureté des combats sur des mondes au bord de l'anéantissement.
On entrevoit aussi, plus qu'on ne les voit vraiment, ces aliens qui ne prendront la pleine lumière que dans The Mercy of Gods. Ici ils sont des ennemis à abattre, des cibles, des dangers mortels qui exterminent et réduisent en servitude des mondes entiers. Défendre les mondes, sauver les survivants de l'extermination avant qu'ils ne soient déportés, c'est cela la mission des Livesuits dont font partie Kirin et Piotr.
Livesuits car les troupes d’infanterie aéroportées dont il est question sont équipées d'armures vivantes qui les protègent, les augmentent, les relient les uns aux autres comme s'ils étaient une sorte d'essaim connecté de drones autonomes.
Les Livesuits soignent aussi les blessures, assurent autant que faire se peut l'homéostasie, peuvent stimuler, antalger ou antidéprimer par l'injection de molécules neuroleptiques dans le flux sanguin. Elles peuvent enfin, par une forme accélérée de mitose dirigée, remplacer on the fly des parties endommagées du corps (muscle, os, etc.). Elles sont tellement autonomes et capables d'initiative qu'elles sont plus des partenaires de leur porteur que de simples accessoires (« So we're just a skeleton for a soft robot »). Et même plus encore, on le verra.
Entre La Guerre éternelle et Starship Troopers, Livesuit est une jolie histoire de SF militaire.
Les missions qui s’enchaînent sans que les goons sur le terrain en comprennent la logique et la finalité, les aliens monstrueux, la guerre au loin censée empêchant son arrivée ici, tout ceci rappelle Starship Troopers.
Mais il s'agit aussi dans Livesuit de guerre éternelle. Combien de temps durera ce conflit que personne ne gagne ? Comment lutter contre un ennemi qui surgit du vide hyperspatial pour fondre sur un monde quand les temps de transit font que, sauf heureux hasard, on arrive toujours trop tard ? Comment revenir à la vie civile quand les décalages temporels liés aux distances et à la relativité font que quelques années de conflit pour Kirin sont des décennies pour ceux qu'il a laissés derrière lui ? Même pour Mina, pour qui il avait rêvé une vie tranquille grâce à son sacrifice.
Livesuit, comme Starship Troopers et La Guerre éternelle, pose donc les questions de l’impuissance stratégique globale dans un conflit interstellaire, du devoir de protection qui est celui de tout citoyen envers sa communauté envisagée autant comme un corps à préserver que comme une collection d'individus à protéger (un débat qui résonne un peu aujourd'hui me semble-t-il), de l'impossible retour à la vie d'avant comme le font tant d’œuvres majeures sur la guerre de La Guerre éternelle à Taxi Driver en passant par des essais tel que le magistral Au Combat de Jesse Glenn Gray.
C'est dynamique, vif, intéressant. C'est une introduction (avant ? après ? connexe ?) à The Mercy of Gods. Ça donne à réfléchir (sans être très original mais tous n'ont pas déjà lu les ouvrages cités supra). Je conseille cette lecture. Elle est plaisante et émouvante.
Livesuit, James S.A. Corey
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