Noël 1973. Quelqu'un à Milwaukee a été un très vilain garçon. Un tueur habillé en Père Noël a assassiné et profané les « elfes » du grand magasin local, des adolescents déguisés recrutés pour les fêtes et retrouvés martyrisés. Découvert dans son antre par la police du coin, le Père Noël sanglant a le temps de blesser très gravement au visage l'un des agents lancés à ses trousses avant de prendre la fuite dans la nuit enneigée.
Assez vite on soupçonne Randall Olsen, un employé du même grand magasin dont on découvre qu'il a photographié à leur insu les victimes sous la douche. A cet élément de preuve objectif s'en ajoute un autre qui l'est beaucoup moins, Randall Olsen est homosexuel. Déviant, dans la perception de l'époque, déviant donc coupable – si ce n'est toi c'est donc ton frère. Olsen est arrêté et condamné à la prison à vie.
Cinquante ans plus tard, un jeune homme de Chicago, auteur de comics en recherche d'identité artistique, commence des recherches pour écrire une biographie graphique true crime de celui qu'on nomme depuis 1973 le Deviant Killer – déviant car responsable d'actes répugnants, déviant car homosexuel, ceci confirmant en quelque sorte cela.
Il faut dire que Michael, le jeune auteur, a entendu parler des meurtres de Milwaukee enfant, et que c'est à cette occasion qu'il a appris pour le première fois une vérité inimaginable pour lui : un homme peut désirer avoir des relations sexuelles avec un autre homme.
Tourment existentiel inside : s'il n'est pas seul à ressentir ces désirs c'est donc qu'ils ne sont pas le signe d'une maladie, mais ils sont néanmoins infiniment troublants dans la mesure où ils sont rattachés en creux à l'image d'un meurtrier.
Devenu adulte, dans un monde plus tolérant, Michael vit maintenant normalement avec Derek, son compagnon, mais il semble qu'il ait toujours un compte à régler avec cette histoire. Rencontrer Olsen, l'interviewer, entendre puis écrire sa version des faits l'aiderait peut-être à remettre de l'ordre dans son trouble. Dont acte.
Mais, alors que l'enquête de Michael est en cours, il semble qu'un copycat se mette à reproduire les crimes du Deviant Killer.
The Deviant est une série en deux TPB de James Tynion IV et Joshua Hixson.
Entre quête identitaire, stigmatisation puis acceptation toujours relative de l'homosexualité, affirmation MAGA, l'auteur met en place un double mystère qui intrigue : Qui était vraiment le Deviant Killer ? Qui est le copycat qui reproduit ses crimes en 2023 ?
Tynion installe dans The Deviant une relation interviewer/condamné qui rappelle Le Silence des agneaux, mais la relation ici, loin d'être toxique comme celle qui unit Lecter et Starling, permet sans doute à Michael de faire le point sur son identité, ses motivations, ses failles. Une forme de psychanalyse peut-être, dangereuse pour le soi, comme peut l'être une psychanalyse, mais révélatrice et libératrice aussi.
C'est aussi pour Tynion, comme avec son comic Wind, une occasion d'examiner sa propre identité sexuelle et les réactions qu'elle continue de susciter dans une partie de la population. Comme toujours chez cet auteur, tout est fait de manière subtile, intelligente et réfléchie. Pas de geignement ici, juste des faits, dans leur déplaisante crudité, et des tentatives, qu'on espère couronnées de succès, de prendre en main son identité en dépit des obstacles, parfois terrifiants, que certaines parts de la société pose sur la vie de certains.
Vivement le tome 2 qui finira l'histoire.
The Deviant Book One, Tynion, Hixson
A noter que c'est dispo en VF chez Urban
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