Le mensonge suffit - Christopher Bouix

* AVANT-PREMIERE : SORTIE EN AVRIL, UNE REDIFFUSION AURA LIEU * France, futur proche. Ethan Chanseuil est marié et père de trois enfants. Il est au chômage depuis trois ans. Il est référencé comme citoyen-utilisateur numéro 620.519.367-78. Sa valeur nette d’existence est estimée à 53611 crédits. Pas fameux ! Ce soir il est conduit ligoté, bâillonné, cagoulé sur une scène inconnue. Face à lui se trouve Milo, une IA incarnée dans un corps humanoïde. Des centaines de millions de métaspectateurices les observent virtuellement à travers leurs yeux connectés. Le spectacle – car c'en est un – va durer deux heures, deux heures à l'issue desquelles les spectateurs virtuels devront voter pour ou contre la culpabilité d'Ethan dans le meurtre de son beau-père. L'article L111-1 du Code de l’organisation judiciaire dispose que « Les juridictions judiciaires rendent leurs décisions au nom du peuple français » . Christopher Bouix pousse la chose à son extrême en transformant l'aud...

Mariana Enriquez - A Sunny Place for Shady People


Sortie en anglais de A Sunny Place for Shady People, le dernier recueil de Mariana 'Prix Planète-SF 2022' Enriquez. 12 textes, de longueur variable, dont aucun n'est faible et dont certains sont excellents.


Enriquez, ici comme dans ses œuvres précédentes, écrit un fantastique très noir, plein de tristesse et de regrets, placé dans une Argentine contemporaine qui ne s'est pas vraiment remise des années de dictature, un pays habité de mauvais souvenirs et de rancœurs, plein de lieux qui furent peut-être des centres de détention ou de torture.

Le fantastique d'Enriquez est un fantastique dans lequel les vivants vivent aux côtés des fantômes et du surnaturel. Fantômes comme on l'entendrait ici en France, mais fantômes aussi dans un sens plus métaphorique, la (les) dictature(s) étant passée(s) par là ; surnaturel comme dans un pays où subsistent plus que chez nous des croyances en des saints miraculeux ou des créatures d'outre-monde, surnaturel comme dans un monde où les corps sont transformés pour le pire et sans explication.


Comme toujours chez Enriquez, A Sunny Place for Shady People est aussi traversée par une pensée sociale, entre personnes que le système économico-politique argentin a induites en déshérence, quartiers dégradés par les effets conjugués des crises et des inégalités, environnements criminogènes gangrenés par une violence et une misère qui provoquent parfois des réactions bien peu humanistes. C'est par Show, Don't Tell que l'autrice procède, ce qui lui permet de dire tout ce qu'elle estime nécessaire de dire sans jamais être pontifiante.

Dans un ordre d'idées connexe, les nouvelles d'Enriquez sont de celles qui disent que les femmes paient le plus lourd tribut à la dureté du monde. Ce sont plus souvent les femmes qui subissent. Elles sont donc ici, logiquement, celles qui racontent.

Les histoires d'A Sunny Place for Shady People sont aussi traversées par l'ombre portée des USA, un lieu fantasmatique et réel à la fois, le lieu d'une influence qui fut souvent délétère, un lieu de fuite pour certains Argentins, le lieu d'un mépris mal dissimulé pour les « arriérés » restés au pays « arriéré ».


Les textes d'Enriquez enfin sont ceux de relations mère-fille très souvent difficiles, et plus généralement, même si existent parfois de vraies amitiés, de relations interhumaines pas toujours satisfaisantes ni même décentes, de petites lâchetés, de grandes trahisons, d'incongruités dans le relationnel inspirées par les difficultés de vie dans un contexte individualiste (il n'y a guère qu'une nouvelle dans laquelle on voit une maraude, au destin hélas contrarié).


La plupart du temps à la première personne, les textes sont écrits dans une langue très fluide qui passe toute seule de la page à l'esprit du lecteur, dans un flux de narration et de digressions qui paraît toujours logique, chaque phrase (même quand ça dévie beaucoup du point initial) semblant être la suite et la conséquence logique de celle qui la précède. On se laisse porter par la plume d'Enriquez. C'est de la très belle ouvrage, référencée, contemporaine et parfois même drôle. A vivement conseiller.


Quelques pitches sans spoiler :


My Sad Dead dans lequel une femme vit sans grande joie au milieu de voisins décevants et de fantômes effrayés ou enragés. Enriquez y réinvente ici fort bien l'histoire sordide de Kitty Genovese. Beau et triste.

A Sunny Place for Shady People donne son titre au recueil. Le travail d'une journaliste sur une jeune fille morte est l’occasion de raviver des souvenirs douloureux et de se remémorer une perte bien plus personnelle. Nostalgique et triste.

Face of Disgrace traite sur un mode métaphorique les effets du viol sur les victimes à travers même les générations. Viol ou effets de la dictature, difficile à dire. Glaçant et weird.

Julie est le prénom de la cousine, venue des USA, de la narratrice. Une fille laide, traitée pour dépression alors que le problème est ailleurs. Mais qui l'écoute ? Y a-t-il une place pour qui fait commerce avec les morts ? Intrigant.

Night Birds décrit un enfer familial, un huis clos oppressant plein de haine et de ressentiment, et un monde dans lequel les femmes sont toujours punies pour les fautes qu'elles subissent.

Dans Metamorphosis, une femme qui n'accepte pas sa préménopause, reprend le contrôle de son corps par une forme extrême de body modification. Pas la plus convaincante, sauf au début où la rage de la protagoniste de l'histoire face aux transformations de son corps est traitée de manière accrocheuse.

Dans Hyena Hymns, un couple gay visite un ancien centre de détention et perçoit des échos des horreurs qui y furent perpétrées.

Different Colors Made of Tears est une belle (!) métaphore sur les violences faites aux femmes et la volonté mortifère de ceux qui s'y adonnent ou voudraient le faire.

The Suffering Woman est une histoire de miroir, de maladie, de solitude, de cancer fatal (encore, comme dans le premier texte).

The Refrigerator Cemetery est l’exhumation d'un vieux secret, d'une vieille lâcheté meurtrière, d'un prix à payer des années plus tard. Peut-être la plus classique du recueil.

A Local Artist, ou quand un weekend à la campagne tourne au cauchemar. Pas la meilleure imho.

Enfin, Black Eyes est une histoire effrayante de monstres sans pitié qui s'en prennent à ceux qui font le bien. Glaçant.


L'ensemble est, je l'ai dit, de très belle facture, chaque histoire emportant dans son mini univers et aucune ne donnant l'impression qu'on a perdu son temps à la lire. Dans un recueil de nouvelles c'est plutôt rare.


A Sunny Place for Shady People, Mariana Enriquez

Commentaires

Roffi a dit…
Pas encore traduit en français mais pour ceux qui parlent espagnol ”Un lugar soleado para gente sombría ”.
Mariana revient en pleine forme on dirait. Merci,j’ignorais cette nouvelle parution.