Futur. Espace, quelque part entre Sol et Tau Ceti.
La Baleine est un immense astéroïde évidé (...encore en cours d'évidement...) en route pour Tau Ceti.
Dans la Baleine, un vaisseau générationnel lancé dans un voyage de 1000 ans par l'espèce d'empire terrien dont on entend parler dans les pages du livre, vivent 40000 personnes au moment du roman (la population d'une ville moyenne, Montélimar par exemple).
Quand commence In the Belly of the Whale, cela fait déjà 200 ans que la Baleine voyage et la Terre est loin derrière, hors de portée intellectuelle ou physique ; la Baleine est seule, oasis dans l'espace transportant un fragment d'humanité vers un monde qu'on espère accueillant sans aucune certitude. Comme ses vaisseaux sœurs en route vers d'autres étoiles, la Baleine ne peut compter que sur elle-même, c'est à dire sur les qualités de son équipage, pour espérer arriver à bon port, et il faudra plus que du courage pour cela, il faudra aussi de la cohésion et de la compétence. Comme le dit l'un des personnages : « We are living in a tiny bubble of air, water, and power, hurtling through an infinite ocean of vacuum and hard radiation ».
L'arrivé sur Tau Ceti aura lieu dans 800 ans, soit encore plus de trente générations, c'est loin, il faudra tenir jusque là.
L'équipage de la Baleine se compose des navigateurs, qui surveillent la trajectoire et dirigent le vaisseau à l'aide de puissants moteurs, et de tous les autres qui assurent le fonctionnement de l'arche et donc la survie de tous. Responsables de l'énergie, de la production de nourriture, des transports, de la qualité des fluides eau et air, les personnels de bord doivent faire en sorte que le matériel génétique – d'abord humain – transporté jusqu'à un monde lointain par les navigateurs arrive vivant et viable à destination.
C'est aussi parce que le matériel génétique humain est limité en quantité que les responsables de l'eugénisme décident qui peut se reproduire, avec qui et à quel rythme. Il faut éviter la surpopulation et la consanguinité, entre autres. Les édits du service d'eugénisme sont peut-être les plus impératifs de tous.
Comme dans toute organisation structurée, il y a une hiérarchie dans la Baleine, avec des officiers, des sous-officiers et des hommes de troupe. Il y a aussi une Constitution, des lois, des régulations censées permettre la survie dans les meilleures conditions possibles de l'équipage ainsi que le respect d'un minimum de droits et d'égalité. C'est une ville moyenne, lancée à une vitesse prodigieuse au sein d'un milieu hostile, qu'il faut organiser, ce qui impose discipline et écoute à la fois. Il y a donc, pour assurer le respect des règles face aux inévitables déviances un corps de policiers, un petit corps de marines, et même une mystérieuse police secrète, tout étant censé fonctionner dans le cadre d'un Etat de droit.
Mais 200 ans ont passé et des rentes se sont créées. Les officiers forment maintenant une oligarchie autoritaire et largement corrompue, le capitaine du vaisseau – aux mains de son subalterne direct –ne contrôle plus grand chose, la police secrète ne rend plus compte à quiconque, et les mécontentements sont traités par la violence plus que par la négociation.
Je ne parle même pas ici du Burnout, la grande zone qui a subi il y a des dizaines d'années un effondrement catastrophique et a depuis été laissée complètement à l'abandon, tumeur enkystée au milieu de la Baleine abritant on ne sait quoi en son sein.
In the Belly of the Whale commence par une enquête de police, après la découverte d'un cadavre inconnu dans un passage isolé. C'est le Detective Chief Inspector Bùxiè deSōuxún qui est mis sur l'affaire et celui-ci, intègre et compétent, va découvrir des secrets proprement inimaginables sur le monde miniature dans lequel il vit.
Mais In the Belly of the Whale est loin d'être un police procedural dans l'espace.
- C'est un roman choral qui met en scène quantité de personnages détaillés auxquels on s'attache vraiment (certains hélas ne verront pas la fin de l’histoire, GRRM-style). Des personnages qui font véritablement vivre le vaisseau générationnel et permettent au lecteur d'en découvrir toutes les fonctions et toutes les strates sociales.
- C'est un roman culturaliste qui montre comment des cultures distinctes se fondent dans un moule commun et comment se développe un syncrétisme d'autant plus intense qu'il naît en milieu clos, « The scores of stem cultures that had boarded the Whale had been blending for centuries, and practices that had once been the provenance of a single folk were becoming the common hoard of all ».
- C'est un roman maritime au sens strict du terme ; tant le vocabulaire utilisé, que les titres des personnages, ou les contraintes du milieu font d' In the Belly of the Whale un texte qui rappelle, pour prendre un ouvrage récent, le Wager de David Grann.
- C'est un roman de mutinerie (c'est d'ailleurs ainsi que les événements sont nommés), avec toute la dynamique un peu folle qu'on trouve dans ce genre de texte.
- C'est un roman politique qui démontre simplement que la légitimité est un plébiscite de tous les jours (pour paraphraser Renan) et que c'est de la probité des gouvernants qu'elle résulte : « It was a time, he thought, when Officers were worth the obedience they demanded. The glories of those lost days seized him by the throat, and he wept ». Rien d'étonnant alors si, quand la légitimité n'est plus là, le slogan de ceux qui veulent renverser l'élite contestée est : « The Whale as she was ».
- C'est un roman de révolution qui montre que l'oppression et la prévarication ne peuvent durer éternellement sans réaction populaire, si complexe à organiser soit-elle. Chang le dit sans fioriture : « He knew why they had joined up from their chatter while on the way here. Tired of stepping aside for arrogant officers, tired of being treated as servants rather than crew, tired of petty extortions and evictions. Tired of paying bribes to get a simple license. Tired, most especially of being told when and with whom to copulate ».
- C'est un roman de révolution qui montre sans le moindre doute à quel point toute révolution devient vite criminelle et autodestructrice, « Venables looked to Baozhai and said, “The Revolution always eats its young” ».
- C'est un roman de révolution qui montre que les héros et les martyrs de l'après sont largement indépendants des faits véritables, qui montre aussi qu'en changeant, sans passer par la dictature, un système à élite fermée en système à élite ouverte on peut conserver la structure d'autorité nécessaire au fonctionnement d'une société complexe en respectant les droits de tous.
- Et c'est aussi, ne l'oublions pas un roman de SF et de vaisseau générationnel, Peng le dit mieux que personne : « “One often hears the Whale compared to a flying apartment, but there is another comparison that is apt.” “What’s that?” “A flying prison.” When Lucky made no response to this, Peng continued, “We are here without our consent, nor is there any possibility of escape” ».
Mais rien de sinistre ici, In the Belly of the Whale est aussi un roman drôle, plein d'humour, plein de situations outrées, plein de moments où on ne peut s'empêcher de sourire en lisant. Un roman plein d'action aussi, de mystères, de secrets, d'alliances et de retournements, un roman qu'on lit avec un grand plaisir car il est fondamentalement agréable à lire.
J'y ai pris grand plaisir, fais de même, lecteur.
In the Belly of the Whale, Michael Flynn
Commentaires
Reste à savoir si un éditeur français se lancera dans sa traduction !