The Strange - Nathan Ballingrud

 


Mars, New Galveston, 1930 environ. Annabelle Crisp vit avec son père loin de son monde d'origine, sur une planète rouge qui est occupée depuis la Guerre de Sécession.

70 ans de présence humaine chiche sur un monde désertique vide de toute vie autochtone. Trois aller-retours annuels assurés par des « soucoupes ». Un mode de vie qui ressemble à celui laissé sur Terre : petite ville communautaire habitée par de braves et bonnes gens (étonnamment, pas de pasteur), shérif et adjoints, mineurs (ils vivent non loin, à Dig Town) qui extraient un étrange minerai phosphorescent (the Strange) envoyé sur Terre et utilisé aussi localement comme source d'énergie tant pour les soucoupes que pour les Machines (des robots plus ou moins humanoïdes qui assistent les humains dans quantité de tâches, de la plonge jusqu'à la guerre). Sans oublier des cultistes dingos dans le désert, et même, maintenant, des bandits.

Car c'est ainsi que commence le roman, par l'intrusion de trois voleurs armés dans le Mother Earth Diner, le petit restaurant familial dans lequel Annabelle aide son père depuis que sa mère est partie sur Terre pour assister sa propre mère mourante et n'est jamais revenue. Mais ne te méprends pas, lecteur, la mère d'Annabelle n'a pas abandonné sa famille, elle a disparu comme tous les autres Terriens dans ce que les Martiens ont nommé le Silence.

Le Silence, autrement dit la fin des rotations en soucoupe et celle des communications radio avec la planète mère. Comme si celle-ci s'était vidée de toute vie.


Quand les voleurs dérobent non seulement les marchandises du Diner mais aussi le cylindre enregistré sur lequel se trouve le dernier message de la disparue, ils mettent en mouvement la justice/vengeance d'Annabelle qui n'aura de cesse de retrouver l'objet et de faire payer les voleurs.

Mais Annabelle est très jeune. Sa volonté de fer est handicapée tant par sa faiblesse physique que par des accès de grande naïveté. Et, de plus, Mars est moins inhabitée que la majorité de ses occupants actuels, Annabelle comprise, ne le pensent. Il lui faudra donc trouver d'improbables alliés pour mener à bien la mission qu'elle s'est assignée et aller au-delà de ce qu'elle pensait possible quand ce drame a commencé.


The Strange est le premier roman de Nathan Ballingrud.

C'est une uchronie western qui lorgne du côté des Chroniques martiennes. Sur la Mars de Ballingrud, en effet, on peut respirer à l'air libre, le seul risque vital étant le froid intense qui règne sur cette planète désertique et qu’on combat comme on le fait sur Terre. Et si sur la Mars de Ballingrud, contrairement à celle des Chroniques, il n'y a plus de Martiens, on y trouve néanmoins des signes, insaisissables, de vies anciennes, disparues, mais d'une certaine façon toujours présentes.

C'est aussi un roman d'aventure qui met en vedette une très jeune fille en quête de justice et/ou de vengeance. Une jeune fille qui, face à l'inertie pusillanime des autorités constituées, prend sur elle de partir dans les marges d'un monde très peu colonisé afin de retrouver ce qui reste d'une mère perdue. Au fil de ses pérégrinations, elle découvrira les secrets de la planète Mars, la complexité des êtres humains, les limites de ses forces ainsi que le courage dont elle est capable.


The Strange est un roman très visuel, plein de petits détails, qui fait vivre dans la tête du lecteur un monde qui ressemble fortement au Texas américain réinterprété sous la lumière des deux lunes Phobos et Deimos. Un monde où malgré soucoupes et robots on s'éclaire à la lanterne, on se tire dessus à la carabine voire à la Gatling, on pend les criminels à l'échafaud, on enregistre voix et programmes informatiques sur des cylindres.

Le minerai Strange assure le fonctionnement de tout ce qui, peu ou prou, s'apparente à de l'informatique sans qu'on sache jamais vraiment par quel mécanisme, de même qu'on ne sait pas comment a pu être inventée et construite la première soucoupe qui a transporté sur Mars le premier pionnier durant la Guerre de Sécession.

On n'est pas dans la hard-science ici, loin de là. On en est même si loin qu'il y a des « fantômes » sur Mars qui se manifestent de manière visible et qui « s'unissent » aux âmes humaines, constituant ainsi une forme d'existence hybride qui tire ses affects de sa part humaine ; rien d’étonnant alors si, au contact d’humains envieux, colériques, effrayés, ce qui résulte de la fusion n'est guère beau à voir.


A partir du moment où une énergie surnaturelle est devenue motrice dans la récit, mon esprit référentiel a dérivé, lecteur, des Chroniques martiennes au comics western horrifique The Sixth Gun. Moins voire plus du tout de découverte d'une civilisation martienne originale, le focus était mis sur l’action et sur la façon dont les fantômes martiens interagissaient avec les humains présents. A ce moment, le roman a commencé à moins m’intéresser. Mais peut-être que toi, tu aimes bien ce mélange.

En revanche, je n'ai pas reproché ses personnages à The Strange. Le roman est imho une réussite sur la caractérisation. Annabelle, qui lit Doyle et Haggard et a pour meilleur ami un robot prénommé Watson, est un personnage aussi détaillé qu’intéressant dans son développement, devenant de plus en plus adulte au fil des pages sans jamais cesser d'être néanmoins, par certains côtés, une enfant, avec des réactions d'enfant et l’égocentrisme caractéristique du jeune âge.

Autour d'elle, si son père, détruit depuis longtemps par ses malheurs, et la communauté de New Galveston, dont on ne comprend pas bien les réactions consécutives au braquage initial (si ce n'est un vague discours sur rareté et inégalités que le roman ne développe pas), sont en arrière-plan, les alliés qu'Annabelle se choisit parmi les marginaux de la planète sont, comme elle, à la fois travaillés, compréhensibles, et très cohérents dans leurs interactions.


The Strange et donc un roman character-driven pour ses qualités, qui se passe sur un monde original qu'on aurait aimé explorer en bien plus grands détails, et qui, imho, se perd un peu dans une approche métaphysique qui rappelle tant The Sixth Gun que, surtout (avec ses Martiens éteints mais toujours là qui tiennent un peu ici le rôle des Krells dans le film de 1956) le Planète interdite de Fred McLeod Wilcox dans ce qu'il avait de plus incroyable. On y lira en creux un message d'apaisement, par l’exemple même des effets délétères de la colère et de la peur, non seulement sur Mars mais aussi peut-être sur la Terre, ce qui expliquerait le Silence.

A toi de voir, lecteur, si tu es tenté ou pas.


The Strange, Nathan Ballingrud

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