Les Chats d'Ulthar : le nouveau Lovecraft par Tanabe dans une collection qui commence à devenir encyclopédique.
Comme Le Molosse, ce volume adapte des nouvelles « courtes » plutôt qu'un texte long en une ou plusieurs parties. La qualité des adaptations est donc, comme dans tout recueil, inégale.
Point important à noter : les trois textes se situent pour la première fois dans Les Contrées du Rêve, le monde onirique dunsanien imaginé par Lovecraft qu'arpentera Randolph Carter à la recherche de Kadath dans un prochain volume. Pour l'heure, et en attendant la suite, que contient ce recueil-ci ?
Commençons par le deuxième texte, Les Chats d'Ulthar.
Très connu, il donne son nom au livre et prend place, comme son nom l'indique, à Ulthar, une ville des Contrées du Rêve dans laquelle les chats sont omniprésents, une ville dans laquelle nul n'oserait faire de mal au moindre félin. Mais pourquoi ?
Pastiche dunsanien, Les Chats d'Ulthar raconte, à travers les yeux d'un jeune homme, une légende, une histoire d'origine, la raison pour laquelle il est interdit de tuer les chats à Ulthar. Le récit original est joliment adapté ici, les chats finement dessinés, et la justice immanente s'exerce comme il se doit.
Le troisième texte adapté est Les Autres Dieux.
Tanabe raconte la quête de l'érudit Barzai le Sage et de son disciple Atal (le jeune homme qui assista aux événements tragiques des Chats d'Ulthar) à la recherche du visage des Dieux de la Terre. C'est une longue marche suivie d'une longue ascension qui attend les deux hommes jusqu'au sommet du mont Hatheg-Kla où, à en croire les Manuscrits Pnakotiques, les Dieux de la Terre viennent se souvenir lorsque les nuages couvrent la Lune.
L'ascension est épuisante et périlleuse, Atal tente plusieurs fois de rebrousser chemin, mais il ne peut se résoudre à abandonner son maître qui, poussé par sa folie révérente, ne cesse jamais de grimper quelles que soient les difficultés rencontrées. Jusqu'à l'irréparable... Car il n'est pas qu'un seul type de dieux...
Quelques belles images ici aussi, et une quête de la connaissance d’ordinaire inaccessible aux hommes qui se paiera cher pour l'Icarus des Contrées du Rêve.
Enfin, le première, que j'ai gardée pour la fin car elle est à mon avis la meilleure, Celephaïs.
C'est l'histoire d'un londonien anonyme qui rêve, au sens propre comme au figuré et depuis des décennies, de la cité merveilleuse de Celephaïs, dans la vallée d'Ooth-Nargai. Entrevue une nuit en rêve alors qu'il était jeune, l'homme n'a depuis cessé de la chercher, de nuit en nuit et de rêve en rêve. Une quête sans fin qui l'a coupé d'un monde réel qu'il rejette et méprise. Une quête sans fin restée des décennies durant sans succès car, en dépit de descentes régulières dans les Contrées du Rêve, en dépit de pérégrinations qui l'amènent dans des lieux terribles et magnifiques des Contrées, en dépit de la prise de substances censées l'aider à rêver plus et mieux, l'homme ne retrouve jamais la ville de ses rêves (aux deux sens du terme). Jusqu'à la fin, quand enfin il est reconnu comme le roi Kuranes et emmené à Celephaïs par son peuple qui depuis si longtemps l'attendait.
Graphiquement, le noir et blanc ne rend pas justice à l'histoire, à Celephaïs la blanche pas plus qu'à Serannian la cité de marbre rose dans les nuages. Graphiquement, on touche aux limites de l’exercice, comme c'était le cas avec La Couleur tombée du ciel.
Mais l'histoire est tellement belle, tellement triste, tellement lovecraftienne, plus peut-être encore que The Outsider qu'on dit pourtant psychologiquement autobiographique. Cette quête onirique sans fin de la beauté, qui coupe du monde et met à l'écart, ne peut que résonner quand on connaît la vie, les préoccupations et les récurrences intellectuelles du reclus de Providence ; résonner tristement, cela va sans dire.
Lisant Celephaïs, nous souffrons puis exultons avec lui.
Les Chats d'Ulthar, Gou Tanabe d'après Lovecraft
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