Le Bifrost 117, consacré à Harlan Ellison, c'est déjà une couverture brillante. Une couverture de Jean-Jacques Tachdjian qui hurle au lecteur comme Ellison hurlait au monde et comme Ted, son héros le plus connu, le faisait aussi, nonobstant son absence de bouche.
C'est bien sûr aussi toutes les rubriques habituelles, critiques des nouveautés, scientifiction (Fabrice Chemla inside avec Les Drogues du désir) and so on.
On y trouve même les lauréats du Prix des lecteurs Bifrost 2024 : en français Rayée, d'Audrey Pleynet, et en traduction Les Nuits de Belladone, d'Alastair Reynolds.
Bifrost 117, c'est surtout un gros dossier sur l'incroyable Harlan Ellison : véritable jack of all trades, auteur imposant, fan absolu, littérateur compulsif, scénariste, éditeur, anthologiste, bagarreur éthique, colérique récurrent.
Grâce en particulier à une longue biographie signée Laurent Queyssi, tu plongeras, lecteur, dans l'existence feu d'artifice d'un auteur qui chercha toute sa vie à ne pas être catalogué et qui, fort de la certitude de celui qui a vraiment lutté et pas seulement sur les réseaux sociaux, s'autorisait à dire tout ce qu’il voulait comme il le voulait.
Shorter than most but larger than life ! C'est comme ça que je décrirais cet homme exceptionnel.
On trouve enfin dans ce numéro quatre nouvelles, on pourrait presque dire 2 + 1 + 1.
Mettons ensemble Capsule d'urgence d'Alastair Reynolds (décidément!) et Joe 33% de Suzanne Palmer (dont c'est la première traduction française, elle annonce un recueil inédit composé par les Quarante-Deux à venir au Bélial).
Deux histoires de soldats du futur dans des guerres aussi absurdes qu'éternelles, deux histoires d'humains si intimement liés à des éléments cybernétiques ajoutés que les frontières entre meatware et hardware finissent par se brouiller, deux histoires d'éléments IA dotés d'une très grande autonomie dans leurs interactions avec ces humains qui étaient censés les contrôler.
Ce qui les différencie est le ton : résolument tragique pour le Reynolds, caustique, ironique et finalement presque optimiste pour le Palmer. L'humour de situation et le réconfort d'un bon repas au milieu d'une boucherie cybertechnologique, c'est peut-être ça le solarpunk lisible.
Jeffty a cinq ans, de Harlan Ellison, prix Hugo et Nebula et Locus, est un classique : l'histoire de Jeffty, le garçon qui ne dépassera jamais l'âge de cinq ans alors que les années passent et que le monde avance autour de lui, racontée par son ami, le narrateur, qui lui vieillit normalement comme nous tous.
Publiée en 1977, nostalgique d'un passé sans doute plus apaisé, comme d'autres textes d'Ellison ou nombre des textes de Stephen King, Jeffty a cinq ans est une mise en garde contre la nostalgie qui bloque dans le passé et empêche d'entrer vraiment dans le présent, une représentation de la monstruosité (perçue, vécue, par les parents atterrés de Jeffty) qui résulte de la mise entre parenthèse du temps. Jeffty et sa radio qui passe de vieux feuilletons radiophoniques c'est Christine et son autoradio qui ne diffuse que de vieilles chansons : sous la beauté, un monstre.
Enfin Thomas Day, serial novelliste de Bifrost, propose L'âge des tempêtes, l'histoire d'un sexothérapeute, dans un monde à venir qui reproduit en les amplifiant les troubles et fractures du nôtre. Un Âge des tempêtes dont le titre répond, 17 ans après et alors qu'on sait chaque jour un peu mieux depuis le 1er août 1914 que le progrès technique n’engendre pas le progrès civilisationnel, à L'âge des lumières de Ian R. MacLeod (que Thomas Day connaît bien).
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