Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes ». C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson.
Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique.
Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes.
Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest, novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée.
Détaillons un peu plus.
Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes.
Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommables durant lesquels, au milieu d'autres innombrables victimes, sont morts les parents de Veris.
Non loin du village se trouvent le château du tyran (lieu d'horreurs, de tortures, de meurtres perpétrés pour le simple bon plaisir du maître des lieux), le Bois du Sud, sûr et civilisé, et le Bois du Nord, dangereux, mystérieux, entre deux mondes, dans lequel les locaux n'entrent jamais car on n'en ressort pas. Sauf Veris qui, il y a des années, est allée y chercher un enfant égaré et l'en a ramené.
Et voilà qu'un jour la jeune femme est convoquée par le tyran. Ses deux enfants se sont éclipsés pour aller se promener dans le Bois du Nord (tel les Hansel et Gretel de base) et il lui ordonne d'aller les sauver. Pas de récompense pour elle, elle sait simplement que si elle échoue tout son village sera anéanti. Et elle n'a que 24 heures (c'est le temps au-delà duquel il devient impossible de quitter le Bois).
Veris va donc retourner dans le Bois maléfique pour y sauver les enfants du monstre. Elle en affrontera les dangers, dans un lieu à la géographie incertaine qui n'est jamais ce qu'il semble être. Les règles élémentaires de survie sont : ne rien manger ni boire de ce qui s'y trouve, ne verser le sang d'aucune créature qui y réside, ne faire confiance à personne (les habitants du Bois aiment faire passer des conversations pour des marchés conclus), courir quand nécessaire, et surtout espérer, sans grand espoir, qu'on parviendra à ressortir un jour de ce lieu qui tue ou emprisonne à jamais. Dans le Bois, Veris sera confronté à de grands risques mais aussi aux souvenirs de son expédition précédente et des traumatismes qui y sont associés.
Voilà, voilà. Sur le papier c'est tentant.
Sauf que c'est très mou (Liz Bourke, sur Locus, appelle ça atmosphérique), que les personnages sont des esquisses cookie-cutter (mention spéciale au tyran qui n'a pas de nom et vit dans un Evil Castle de dessin animé), que les réflexions sur les enfants du tyran qui sont peut-être des tyrans en devenir ne débouchent sur rien (on ne saura donc pas s'il fallait tuer Hitler enfant), que l'ensemble des « épreuves surhumaines » qu'affrontent Veris et les enfants sont finalement assez facilement surmontées, et que surtout, surtout, Veris, bien sûr blessée par la vie, le monde, l'univers, et le tyran, geint, rumine, craint, regrette. Elle valide, à elle seule et en l’étendant, l'aphorisme de Mondino/Goude, ainsi que cet ennui qui saisit de plus en plus souvent votre serviteur devant des textes qui sont de plus en plus souvent des mix entre des séances de psychothérapie et une participation au grand geignement contemporain d'un monde dont toutes les bouches n'expriment plus que grief and relief dans des forêts peuplées de réelles ou imaginaires relations dominant/dominé.
Dans des genres proches, T. Kingfisher, Angela Slatter ou les frères Grimm font tellement mieux. Sur un thème proche, mieux vaut lire Annihilation de Vandermeer.
The Butcher of the Forest, Premee Mohamed
Commentaires