Par Crom ! Bonne année à tous !

Je te souhaite, lecteur, une excellente année 2025. J'use pour cela d'une carte de voeu hyborienne créée par Ron Cobb.

Les Yeux Doux - Corbeyran - Colline


Futur indéterminé et résolument glauque.

Arsène travaille à la chaîne dans une usine du conglomérat Atelier Universel. « Travaillait » devrais-je dire car, pour avoir pris une initiative afin de corriger une erreur de production, Arsène est renvoyé dès le début de l'album. On ne plaisante pas avec la hiérarchie dans le système tayloro-fordiste de l'Atelier Universel ; FW Taylor lui-même disait  : « On ne vous demande pas de penser ; il y a des gens payés pour cela. »

Privé de son emploi, Arsène, qui vit avec sa sœur cadette Annabelle dans un tout petit appartement, devient vite invisible. Physiquement invisible car invisibilisé socialement par la perte de son statut dans un monde qui définit les êtres par leur place dans le système de production. Et la situation va encore s'aggraver pour le frère et la sœur.


Anatole Souclavier, lui, travaille pour Les Yeux Doux, le système de surveillance global par caméra qui épie en permanence les citoyens (sujets?) afin de réprimer toute infraction. Plus précisément, il surveille les clients du Panier Garni, le commerce monopolistique dont les catalogues et les publicités sont présents partout et auprès duquel il est à peu près impossible de ne pas pas se fournir. Une fois encore Anatole Souclavier a reçu le titre envié d'employé du mois, car il détecte mieux que quiconque les infractions dont les auteurs sont ensuite remis illico à la police pour être expédiés en prison. Mais voilà qu'un jour il tombe amoureux de la jeune voleuse qu'il vient de dénoncer et falsifie alors des enregistrements pour la faire libérer.

Commence ainsi pour lui une révolte qui le mènera aux marges de la société, là où vivent des résistants, certains volontaires et d'autres contraints, comme lui, par les circonstances.


Atelier Universel, Panier Garni, Yeux Doux, même si certains chroniqueurs lorgnent non sans raison sur 1984 (avec Annabelle dans le rôle, chaste ici, de Julia), c'est surtout au Brazil de Terry Gilliam qu'on pense à la lecture de ce one-shot de Corbeyran et Colline intitulé Les Yeux Doux. On pourra même cocher, à un moment, une référence peut-être involontaire au Poster Girl de Veronica Roth.

Sur le papier, c'est intéressant. Tu sais, lecteur, que j'aime bien les dystopies, même s'il est difficile, en terre aussi connue, de trouver du nouveau.

Mais, à l'arrivée, Les Yeux Doux est très décevant. En effet, même si l'histoire d'un homme projeté presque à son corps défendant dans la clandestinité peut toucher, l'ensemble ne tient guère sa promesse.


Plusieurs raisons à cela :

D'abord, même si c'est la quête d'un autre invisible qui permet à Arsène et à sa sœur de découvrir la rébellion, la métaphore de l'invisibilisation n'est guère plus utilisée dans le récit. Elle fait plus gadget qu'autre chose alors qu'elle aurait pu permettre d'autres développements, à condition de creuser un peu la notion. Ce que le récit ne fait pas.

Il en va de même pour la disqualification – concept paugamien – d'Anatole.

Si Paugam et consorts ne sont guère exploités, l'auteur ressuscite en revanche les freudo-marxistes, explicitement en citant Fromm, implicitement en évoquant de manière évidente le Marcuse de L'homme unidimensionnel. Pourquoi pas ?

Mais Marcuse avait d'abord écrit Eros et Civilisation et il pensait que la sortie de la répression sexuelle était l'une des conditions d'une libération qui, dans l'album, prend plutôt la forme, chaste et pas très amusante, de l'engagement dans une ZAD cachée à l'intérieur même de la société capitaliste monopolistique. Ce qui donne, loin des hippies ou de la plage sous les pavés, une libération potagère très propre sur elle.


Voilà pour les idées. Sur le plan de la forme, outre un manichéisme comme on en voit peu, on regrettera que la partie politique militante de l'album, à coup de dialogues improbables, soit lourde comme un parpaing, que l'humour, qui caractérisait Brazil, tombe ici à plat en raison de calembours guère heureux (le Jardin des Bennes), et qu'enfin le tout se conclut de manière si simple et rapide qu'on se demande bien pourquoi tous les systèmes répressifs  ne tombent pas comme des châteaux de carte juste sous l'effet de la chance et d'une audacieuse équipée.


L'ensemble donne un album qui, s'il n'est pas désagréable à lire, est rendu insatisfaisant par l'outrance d'un militantisme naïf qui ne s’embarrasse guère de subtilité.


Les Yeux Doux, Corbeyran, Colline

Commentaires

Gromovar a dit…
Un style vintage semi-réaliste. Assez joli.