Emilie Querbalec : Mes Utopiales de B à V

Comme chaque année, vers Samain, se sont tenues les Utopiales à Nantes. 153000 visiteurs cette année, et moi et moi et moi. Ne faisons pas durer le suspense, c'était vraiment bien !!! Genre grave bien !!!! Aux Utopiales il y a surtout des auteurs qu'on va retrouver jour après jour ci-dessous (ou dessus, ça dépend dans quel sens vous lisez) , sur plusieurs posts successifs (survivance d'un temps où on économisait la bande passante – « dis ton âge sans dire ton âge ») . Tous les présents aux Utos n'y sont pas, c'est au fil des rencontres que les photos sont faites, la vie n'est pas juste. AND NOW, LADIES AND GENTLEMEN, FOR YOUR PLEASURE AND EDIFICATION, THE ONE AND ONLY EMILIE QUERBALEC

L'Enfance du monde - Michel Nieva


Je suis surchargé de travail, lecteur. Résultat : des lectures et des chroniques en retard et peu de temps pour rattraper. Alors chroniques courtes, faisons ce qu'on peut dans le temps qu'on a ; as Chaucer said, time and tide wait for no man.


Fin du 23ème siècle, sud de l'Argentine entre autres. Suis-moi, lecteur, nous allons rencontrer l'enfant dengue !

L'Enfance du monde est le premier roman de Michel Nieva. C'est une fable, un conte dystopique d'effondrement lent, d’effondrement en cours. C'est l'histoire de l'enfant dengue, un hybride enfant-moustique né d'on ne sait quel étrange miracle.
L'enfant dengue, de père inconnu, vit avec sa mère, une femme de ménage pauvre du sud de l'Argentine, dans cette Patagonie que la montée du niveau des mers a radicalement transformé – comme le reste de la Terre.

D'immenses zones – dont la capitale Buenos Aires et sa région entière – ont été inondées et perdues pour toute vie terrestre, les températures mesurées tangentent sans cesse les 90°, les pandémies prospèrent entre écosystème favorable aux virus, déforestation massive, et fonte des permafrosts libérant sans cesse de nouvelles souches.
La montée du niveau des mers consécutive à la fonte des glaces antarctiques a certes grandement rétréci une Argentine maintenant réduite à la portion congrue mais a « libéré » de grandes zones devenues habitables sur le sixième continent même, avec les conséquences économiques qu'on peut imaginer quand on sait qu'elles ont été renommées Caraïbes antarctiques.

Si la géographie a changé, le libéralisme, lui, est resté le même, toujours poussé en avant par la recherche du profit et de l'optimisation dans une économie financiarisée où tout peut donner lieu à la création de titres échangeables sur des marchés dont la virtualité objective n'ampute en rien les effets réels sur la monde et les vies.
Ainsi, les employeurs de la triste mère de l'enfant dengue, à l'autre bout du spectre des inégalités, sont des cadres supérieurs d'une société (Influenza Financial Service, dont le concurrent est l'Ebola Holding Bank) qui vend des futures sur les pandémies – comme on peut s'assurer (en fait spéculer) sur les risques de défaillance de crédit.
Ainsi des stations balnéaires de luxe ont été installées en Antarctique – pardon en Caraïbes antarctiques. 
Ainsi des croisières d'hiver (un concept devenu exotique) rassemblent des vacanciers inconscients pour qui on recrée artificiellement sur des navires de luxe les conditions de ce qu'on nommait hiver.
  • Note SF : il y a aussi des colonies spatiales sur diverses planètes du système solaire, lointaines mais dont on sait qu'elles sont managées selon les mêmes principes en vue des mêmes objectifs, pire même quand on constate qu'on est parvenu à y commodifier les écosystèmes
  • Note SF 2 : il y a encore des jeux en ligne et réalité virtuelle (eux aussi très segmentés économiquement) auxquels s’adonnent certains personnages du roman qui y font prospérer leurs plus bas instincts, et qui s'avèrent être l'un des moteurs du roman.
  • Note SF 3 : on a trouvé, en forant profondément sous ce qui fut la glace, des sortes d’œufs étranges, antédiluviens et aux pouvoirs mal connus, des œufs dont on fait un dangereux trafic – on trafique quantité de choses car, si les gros poissons nagent dans les eaux de la finance, les petits fraient dans les zones interlopes et les arrières-cours ; la moralité des pauvres n'est pas supérieures à celle des riches contrairement à ce que présumait Orwell.
  • Note SF 4 : dans une approche résolument dickienne, Nieva propose une narration en ruban de Möbius dans laquelle réel et virtuel se mêlent mais aussi passé et présent, futur et présent, avec boucles de rétroaction. Le début s’explique par la fin, c'est fluide et ça ne paraît jamais tiré par les cheveux car le récit emporte l'adhésion (pour peu qu'on ait le cœur bien accroché).

L'Enfance du monde est donc le récit de la vengeance de l'enfant dengue, de la mise en évidence des injustices qu’il a subi, de la mise à jour de ses surprenantes origines. C'est également un état des lieux préoccupant de la folie qui change la planète et vise à changer le système solaire, et de la perpétuation d'une logique mortifère que rien ne ralentit ni n'infléchit, dans laquelle même la mort des individus ou la destruction des écosystèmes sont changées en opportunités de profit.
C'est donc un texte de fiction politique quasi post-ap mais aussi un texte qui tangente le body horror, avec son enfant dengue terrifiant, ses meurtres répugnants, ses œufs inquiétants.
C'est surtout une fable peu réaliste mais qui se lit toute seule car elle est speed, souvent drôle et toujours surprenante. C'est déjà pas mal.

Note : le roman est suivi d'un essai qui (feuilletage) a l'air plutôt pas mal foutu, sur la « SF capitaliste ». Un essai donné comme pamphlet radical. Je me suis dispensé de la lecture, les pamphlets radicaux j'ai déjà ma dose dans le fandom bluesky.

L'Enfance du monde, Michel Nieva

Commentaires

Roffi a dit…
De nouveau tenté.. Pour des chroniques courtes c’est déjà beaucoup .Et bravo pour tout ce travail fourni aux Utopiales.
Gromovar a dit…
Merci à toi de passer commenter :)