Eric LaRocca - As-tu mérité tes yeux ?

Agnes Petrella est une jeune américaine un peu dans la dèche. Elle est lesbienne aussi, ce qui ne change pas grand chose à l'histoire au début alors que « dans la dèche » en est le point de départ. En ce 26 mai 2000, Agnes, qui a besoin de 250$ pour payer son loyer du mois, poste sur un forum queer une annonce pour mettre en vente un épluche-pomme vieux de plus d'un siècle. Contrairement à ce qui se pratique habituellement, elle a composé pour ce faire un message de presque quatre pages dans lequel elle explique avec force détails à quel point cet épluche-pomme est un élément important de son histoire familiale et donc à quel point aussi il lui est pénible de s'en séparer. Nécessité faisant loi elle s'y est finalement décidée mais, dit-elle, elle ne consentira à vendre l'objet qu'à un collectionneur sérieux (!). Deux jours plus tard, après quelques réponses insultantes, Agnes en reçoit une intéressante d'une certaine Zoe Cross qui dit être intéressée et prêt...

Hard Boiled - Miller - Darrow - Stewart


Hard Boiled, édition intégrale Futuropolis.

Quelques données factuelles pour commencer :
En 1990, Dark Horse publie le premier opus de la saga Hard Boiled de Frank 'Daredevil' Miller, dessiné par Geoff Darrow. En 1991, ils gagnent le Eisner du meilleur duo Scénariste/Artiste. Deux autres tomes suivront, qui complètent l'histoire, traduits en français chez Delcourt.
Arrive 2017 et une recolorisation réalisée par Dave Stewart qui donne au comic un ton plus neutre et réaliste (!).
En France, après Delcourt dans la version couleurs initiales, c'est Futuropolis qui sort l'Intégrale recolorisée fin 2021. 128 pages grand format sous une couverture cartonnée du meilleur effet. Ouvrons-là.

Hard Boiled c'est d'abord un scénario linéaire, simple, dont on devine facilement la conclusion à venir. Ex post, c'est si basique que ce n'est guère tentant (c'est aussi pourquoi je ne dirais rien de l'histoire, pour ne pas spoiler le peu qu'il y a à spoiler, si ce n'est qu'il s'agit des tribulations – au sens strict du terme – d'un agent d'assurances dans un monde futur ultra-violent).
Mais se détourner de Hard Boiled à cause de son scénario simple serait une erreur. Ca serait négliger ce qu'est fondamentalement Hard Boiled : un comic d'action comme il y a des films d'action, un blockbuster dessiné comme il y en a de filmés, et un putain de choc visuel comme on n'en prend pas tous les jours (si on connaît les couv. de Transmetropolitan par Geoff Darrow on a une idée de la chose).

Comme un blockbuster réussi, Hard Boiled, avec son histoire simple et ses personnages guère complexes, en fout plein la gueule au spectateur.
Hard Boiled, c'est les années Reagan et leur dureté exprimée par exemple dans Invasion Los Angeles. C'est Total Recall et son héros en quête d'identité. C'est la confrontation ultra-violente entre le T-800 et le T-1000 dans les rues de Los Angeles. C'est un boss manipulateur et obscène qui évoque le baron Harkonnen. C'est la mécanisation du monde et de l'homme, la fusion de plus en plus intime entre chair, acier et silicium, jusqu'au tragique Robocop. C'est la pornographie devenue mainstream dans une société où tout se vend et tout s'achète.
Mais ce n'est pas seulement dans le cinéma d'action des 80's finissant que les parallèles sont à faire. Plus près de nous, Hard Boiled est speed et frénétique comme Mad Max Fury Road, un film au scénario simple aussi mais à l'énergie et à la construction époustouflantes.

Dans l'univers des comics, il y a des liens également.
La société violente avec sa police suréquipée est visible dans Judge Dredd. Les poursuites automobiles meurtrières sont légion dans Nemesis. Les dégâts collatéraux abondent dans les deux.
C'est toute l'énergie alternative des comics indé des 80's qui se retrouve concentrée dans cette Intégrale, prête à être balancée dans la gueule du lecteur. Sans oublier, hors indé, le charcutage christique de Logan devenant Wolverine reproduit ici en version hardcore.

Et il fallait, pour réussir un tel assaut sensoriel, le talent de l'immense Geoff Darrow. Cases de grande taille, pleines pages, doubles pages, les dessins de Darrow, dans un style qui évoque autant la frénésie de détails d'un Moebius que celle d'un Bosch, sont la raison de lire Hard Boiled.
Dans une ambiance entre cyberpunk et rétrofuturisme, tournant les pages, on a l'impression de visiter une expo tant les planches sont belles et vivent chacune indépendamment de toutes les autres. Ici, si chaque planche est partie du récit, chacune se suffit aussi à elle-même.
Quantité hallucinante des détails, abondance des easter eggs dessinés ou écrits (pubs, graffs, tags, logos, entre autres), précision et rigueur des proportions et des mouvements, tout incite à s'arrête sur chaque planche, à la contempler bien plus qu'à simplement la regarder. Tout est énorme, tout est too much. L’histoire en devient presque secondaire, ce qui me ramène à mon point introductif.


Tu aimes la BD, lecteur, alors tu ne peux pas passer devant cet album sans te jeter dessus afin de t'en gorger jusqu'à satiété. Enjoy ! I'll be back !

Hard Boiled, intégrale, Miller, Darrow, Stewart

Commentaires

Anonyme a dit…
Tiberix : Une de mes BD préférées de longue date !
Gromovar a dit…
Le choix du connaisseur.
Anonyme a dit…
Devinez la fin avant le milieu de l’histoire me semble un peu présomptueux tellement c’est WTF. Darrow c’est aussi l’assistant de Moebius, le designer des robots de Matrix et un grand francophile, à tel point qu’il vit en Bretagne. Je milite activement pour que les festivals français de BD ou de SF l’invitent (Gromova, si tu pèses dans le game c’est le moment de faire jouer tes relations 😁 )
Gromovar a dit…
Je vais en parler à qui de droit.