Malgré la fatigue engendrée par les journées trépidantes des Utopiales, il a gentiment accepté de répondre à quelques questions. Un entretien très parlé, au fil des pensées de l'auteur. Enjoy !
Bonjour Monsieur Tidhar. Je suis très heureux de vous rencontrer enfin après vous avoir beaucoup lu. Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs du blog, s'il vous plaît ?
Que puis-je vous dire ? Je suis écrivain, romancier, j'ai écrit beaucoup de livres, et remporté beaucoup de prix. Vous devriez tous les lire. Non, j'écris beaucoup de livres différents. J'écris de la science-fiction, de la fantasy et de la fiction mainstream. J'ai aussi écrit des livres pour enfants et des bandes dessinées.
Des livres pour enfants ?
Oui, il y en a même un en français. La Mafia des Bonbons. Personne ne le connaît.
Je ne savais pas.
Personne ne sait jamais que j'ai fait le livre pour enfants parce que les lecteurs de science-fiction ne lisent pas de livres pour enfants. Ils lisent de la science-fiction.
J'ai interviewé Ian McDonald il y a quelques années, et il m'a dit que lorsqu'il écrivait pour jeunes, il traitait les mêmes thèmes mais en essayant d'être plus simple dans le développement. Comment avez-vous travaillé pour créer La Mafia des Bonbons ?
Je n'ai pas travaillé différemment par rapport à l'écriture d'un livre pour adultes, je ne pense pas que ce soit possible. Je pense que les enfants sont intelligents et qu'on ne peut pas vraiment faire semblant. On ne peut pas les traiter comme des idiots. Non, j'ai juste essayé d'écrire une histoire amusante et rapide. Au niveau de l'édition, j'ai dû apprendre. L'éditeur voulait que certaines choses soient accélérées, que certaines choses soient mieux expliquées. Donc je l'ai fait. C'est l'édition, quel que soit le livre, vous ferez face à ce genre d'exigences. J'ai juste essayé d'écrire un livre que j'aurais aimé lire quand j'étais enfant.
D'accord. Beaucoup de vos textes révèlent votre identité juive. Pouvez-vous nous dire à quel point cela est important pour vous et comment cela impacte votre travail ?
En fait, je pense que l’important est plutôt qu'on doit écrire sur ce que l'on connaît. Je crois que c'est Elmore Leonard qui disait toujours ça. Il disait : « J'ai grandi à Detroit, j'écris sur Detroit. » Alors si j'avais grandi à Detroit j'écrirais sur Detroit. Mais ce n'est pas le cas. L'une des choses dont j'ai pris conscience très tôt en tant qu'écrivain, c'est que je ne peux pas rivaliser avec les auteurs de science-fiction américains qui écrivent sur l'Amérique. Parce que je ne connais pas plus l'Amérique que ce que j'en connais par le cinéma et la télévision. Il n'y aurait aucune authenticité.
Ce que je peux écrire, c'est sur mes origines et sur ce que je connais. Je suis coincé avec ça. Cela aurait été plus facile si j'étais né à New York, peut-être, et j'aurais pu écrire sur New York. J'ai terminé un livre assez récemment, et j'ai toujours été amusé par la façon dont les Américains écrivent sur le reste du monde. Ils ne pensent pas le reste du monde. Tout ressemble donc à l'Amérique. Par exemple, ils vont écrire une histoire qui se déroule en Europe et dans laquelle les gens ne peuvent pas se permettre d'aller chez le médecin parce que le concept de health care leur est inconnu. Typique !
Pendant des années, j'ai pensé à écrire un livre sur l'Amérique qui traiterait l'Amérique de la même manière que les Américains traitent le reste du monde. Et j'ai écrit ce livre (!), sans souci d'être exact sur le plan factuel. Je me suis beaucoup amusé à le faire.
Vous avez écrit de nombreux textes uchroniques. Qu'aimez-vous dans ce genre ?
Je pense à ces livres comme à des histoires politiques alternatives. Il y a donc une intention politique derrière elles. Parce que sinon, je n'aime pas les histoires alternatives, en gros.
Vous n'aimez pas quoi ?
Les histoires alternatives, les uchronies. Je ne les aime pas. Je pense qu'elles sont inutiles la plupart du temps. C'est un exercice de type "et si". Et qui s'en soucie ? Et si ? Parce que ça n'est pas arrivé. Alors quel est le but de cette histoire ? Et si des extraterrestres avaient envahi pendant la Seconde Guerre mondiale ? Ils n'ont pas envahi pendant la Seconde Guerre mondiale.
Mais vous pouvez utiliser ce genre pour commenter des processus historiques. Si vous réfléchissez, pour moi, A Man Lies Dreaming parle du fascisme contemporain. Il ne parle pas vraiment du fascisme des années 1930, des années 1940. Unholy Land parle vraiment d'aujourd'hui.
Mais une fois que j'en ai eu fait quatre, je me suis dit : « Bon, je ne peux pas continuer comme ça. J'ai fait ces quatre. Je n'ai plus rien à dire sous cette forme. Je dois trouver autre chose à faire. »
Sinon, on se retrouve coincé dans une boucle où l'on fait toujours la même chose. J'aime ça, mais je ne les considère pas... Je ne m'intéresse pas à leur mécanique. Je vais faire un changement dans l'histoire, puis je travaillerai sur les implications logiques de ce changement. Je m'en fiche. J'ai eu une discussion avec John Clute à ce sujet. Il m'a dit : « Mais quel est le point de divergence ? » (Note de Tidhar : C'est le point où l'on change l'histoire). J'ai répondu : « Je ne sais pas. Je l'ai défini, puis je l'ai oublié parce que ça n'avait plus d'importance ».
Mais oui, sinon, j'ai aimé faire ces livres, mais comme fictions politiques.
Dans A Man Lies Dreaming, vous avez fait d'Hitler (renommé Wolf), un personnage grotesque, battu, humilié, etc. Cela m'a parfois rappelé le Hitler dictateur de Charlie Chaplin. Je n'aurais pas posé cette question il y a 10 ans, mais pensez-vous qu'aujourd'hui, avec autant de dictateurs dans le monde, ridiculiser est utile, efficace, ou est-ce inutile d'une certaine manière ?
Je n'avais pas l'intention de ridiculiser Hitler. Je pense que c'est ce qui est intéressant dans cette démarche. Cela humanise Hitler, ce qui n'est pas quelque chose que les écrivains devraient dire parce que ça ne sonne jamais bien. Mais je ne crois pas aux monstres. Les monstres sont juste bidimensionnels. Ce qui m'intéressait, c'était de comprendre ce qui fait un Hitler. J'ai fait des recherches sur son enfance, sa vie, sa vie sexuelle, tout ce qui le concerne. J'avais des livres autour de mon bureau avec le portrait d'Hitler qui me regardait depuis le bureau. Ce n'est pas une expérience très agréable quand on écrit que de vivre dans la tête d'Hitler.
Pour moi, le point, c'est qu'Hitler avec du pouvoir est une tragédie. D'accord. Mais Hitler sans pouvoir est drôle. C'est une comédie.
Je pense aussi que si vous n'avez pas d'humour, alors l'obscurité devient insupportable. Je pense que c'est ce que je veux dire dans ce livre. C'est une attitude très juive, les gens racontaient des blagues dans les camps de la mort, des blagues très sombres, mais ils en faisaient quand même. C'est une façon de faire face à l'obscurité. Pour moi, c'est un livre très drôle, mais c'est aussi un livre très sombre. Oui, il subit évidemment des humiliations à profusion, et c'est très drôle, mais il y a une intention sérieuse derrière tout ça.
Je ne sais pas comment on pourrait ridiculiser quelqu'un comme Donald Trump. Mais il est clair que les dictateurs sont intéressants. J'ai lu des articles à ce sujet. La plupart d'entre eux ne vivent pas jusqu'à un âge avancé. En fait, ils sont très, très fragiles. Ils doivent vivre dans une anxiété paranoïaque constante, avec l'idée permanente que quelqu'un va venir [les tuer], car tout le monde complote contre eux en permanence. Qui plus est, une révolution peut démarrer à tout moment et les renverser. En fait, il s'avère que la plupart des dirigeants autoritaires finissent en prison, morts ou pendus. Très peu d'entre eux parviennent à vivre jusqu'à un âge avancé. Cela nous donne donc un peu d'espoir.
Primo Levi a raconté l’horreur des camps de manière dépouillée et impassible. Ka-Tzetnik, dans La Maison des poupées, a utilisé le langage de la merde, de l’urine, de la rage et du désespoir. A Man Lies Dreaming semble se situer entre les deux. Aujourd’hui, des années après avoir écrit le roman, pensez-vous qu’il existe une méthode idéale, ou estimez-vous toujours que l’émotion et la raison doivent être utilisées de manière égale ?
Non. Je veux dire, j'ai vu une critique qui disait que j'opposais Ka-Tzetnik et Primo Levi, et elle disait en gros : « Ka-Tzetnik soutient que cela doit être fait de manière pulp, et Lavie Tidhar prouve que cela ne devrait pas être fait de cette façon ».
Je ne prouve rien. Je pense que ce sont les outils dont je dispose pour raconter l'histoire. Que ce soit de la bonne ou de la mauvaise manière, je ne sais pas. C'était ma façon de le faire et je ne pense pas que j'aurais pu le faire différemment. J'ai trouvé intéressant d'utiliser les tropes de la fiction populaire parce qu'une grande partie de notre histoire, de nos médias et de ce qu'on nous raconte est racontée de la même manière. Nous vivons notre vie, ou on nous dit de vivre notre vie, d'une manière qui reflète bien plus la fiction populaire que la fiction sérieuse.
Pour moi, il est utile d'utiliser le genre pour parler de ces choses. Mais alors, bien sûr, vous tombez dans le piège qui fait que les gens qui ne lisent pas de romans de genre ne liront pas votre livre, et que les gens qui lisent des romans de genre ne veulent pas nécessairement un livre sur l'Holocauste. Vous êtes entre deux chaises, en quelque sorte. Tout sauf en équilibre.
Parlons d'équilibre si vous voulez, votre roman The Violent Century est plein d'espoir, de violence et de nostalgie aussi. Est-ce que la réalité qu'il décrit est votre appréhension de la violence et de l'espoir caractéristiques du siècle que nous venons de vivre ?
C'était une façon, oui. The Violent Century est, encore une fois, l'un de ces quatre livres qui traitent du XXe siècle et de cette histoire politique alternative. Mais c'était aussi, en gros, mon envie d'écrire pour dire : « je déteste vraiment les livres de super-héros ou les héros en général », alors j'ai écrit un livre sur les héros ; et ce qui s'est encore passé c'est que les gens qui aiment les héros ne l'ont pas aimé. Ils n'aiment ni ce livre ni les gens qui n'aiment pas les super-héros.
Encore une fois, c'était une façon de traiter une histoire très sérieuse en utilisant des outils de genre. Regardez où nous en sommes maintenant. Nous sommes dans un monde saturé de super-héros, saturé de cette imagerie. Je pense toujours que chaque fois que vous lisez l'histoire réelle, une grande partie peut se lire comme une histoire à de magazine à deux sous. Cela n'a aucun sens. C'est fou. C'est au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer. J'invente très rarement des choses dans mes livres parce que la réalité est toujours plus étrange et plus fantastique que tout ce que je pourrais imaginer.
Et avec les romans historiques que j'ai écrits, j'ai dit tout de suite que rien de tout cela n'était inventé. Tout cela est réel, et les gens n'y croient pas parce que cela semble...
Il y a des choses dans l'histoire qui sont tellement folles que je n'ai pas pu les mettre dans les livres parce que personne ne les croirait... C'est vraiment étrange.
Dans Unholy land, vous décrivez une Palestine entre Kenya et Ouganda. C’était une des possibilités étudiées par le mouvement sioniste, qui était alors divisé entre Holy Landers et Territorialistes. Quelle est votre position sur ce débat aujourd'hui clos ?
C'est intéressant, n'est-ce pas ? Parce que le mot... Je déteste parler de sionisme, mais le mot n'a plus le même sens aujourd'hui. Le sens vient en fait des pogroms des années 1880 et de la situation des Juifs en Palestine, en Europe, et de l'influence des nouveaux mouvements nationalistes en Europe. L'idée était de trouver une patrie pour le peuple juif.
L'un des arguments avancés était que l'endroit n'avait pas d'importance tant qu'il s'agissait d'une patrie naturelle, contrairement aux gens qui disaient : « Nous devons retourner sur nos terres ancestrales ». Ils ont passé beaucoup de temps à examiner différentes options. Il y a eu l'Ouganda, l'Égypte, il y a une histoire selon laquelle Ho Chi Minh a offert aux Juifs une place au Vietnam, ce qui aurait été fascinant. En partie pour moi, je pense que cela aurait été formidable si nous avions eu plus d'un settlement juif, chose que personne d'autre que moi ne dit jamais. Je pense que la raison de cette envie est que j'aurais adoré voir cela parce qu'ils seraient immédiatement entrés en guerre les uns contre les autres. C'est mon point de vue.
J'aurais aimé voir une option territorialiste également. J'aurais aimé voir comment la réalité aurait tourné.
Il y a eu l'oblast juif soviétique. Il y a eu toutes sortes d'autres endroits. Dans l'histoire, nous savons qu'il y a eu en fait des royaumes juifs en dehors d'Israël, de la Judée. Il y a eu un royaume yéménite, il y a eu des Juifs en Éthiopie. Il y en a eu en Hongrie à un moment donné. Ce n'est donc pas impossible.
Mais je pense que cela fait très, très longtemps que le sionisme n'a plus ce sens.
Votre roman (primé PSF 2021) s'intitule Unholy Land. C'est une terme fort, je pense. Iriez-vous jusqu'à dire, comme Shlomo Sand, que le peuple juif est une création du nationalisme sioniste du 19e siècle ou non ?
En fait, le terme Terre Sainte vient de
Autoémancipation, un pamphlet du début des années 1880 sur la question juive [de Léo Pinsker]. Et ce qu'il dit, je ne sais pas si cela apparaît dans le livre lui-même, c'est que nous n'avons pas besoin d'une Terre Sainte, nous avons besoin d'une terre à nous. Et c'est de là que tout ça vient. Donc, évidemment, ça acquiert des significations supplémentaires quand je l'utilise, mais c'est de là que ça vient à l'origine.
C'est une question intéressante. Toute la question d'un État juif, toute la question du lien juif avec l'endroit où se trouve Israël aujourd'hui, tout ça. C'est un sujet sur lequel je pense que les gens aiment débattre. C'est un sujet que j'aborde en profondeur dans mes livres et notamment dans la fiction littéraire, en particulier dans mon prochain roman qui sortira en 2025, Golgotha, où je retourne au 19e siècle. Je reviens en arrière et je regarde les puissances européennes et la façon dont l'histoire se façonne. Je ne suis pas vraiment quelqu'un qui peut apporter des réponses. Mon travail, je pense, est de poser des questions ou de montrer comment les choses se passent, du moins dans une fiction réaliste, et de laisser les gens répondre eux-mêmes aux questions.
Je pense que le problème est que les gens attendent des écrivains qu'ils aient des réponses, et je n'en ai pas. Mon travail n'est pas de répondre à tout. Les écrivains n'ont aucun pouvoir d'influencer la réalité autrement qu'en écrivant des livres. Et puis, vous vous retrouvez à mener à bien ce très long débat sur 400, 200 ou 500 pages. Je dirais donc que la meilleure réponse serait de lire les livres.
Est-ce la raison pour laquelle votre dispositif narratif change de narrateur, et baigne, parfois, dans un brouillard d'imprécision ? En lisant Unholy Land, on se demande parfois qui parle exactement, qui regarde qui, etc. Est-ce une façon d'exprimer ce que vous venez de dire ? C'est-à-dire que de nombreuses possibilités sont ouvertes, que l'histoire façonne ces possibilités qui deviennent réelles, et que le lecteur doit explorer ces possibilités.
Eh bien, je pense que c'est un livre écrit avec beaucoup de précision 'rires'. C'est probablement le livre le plus précis que j'aie jamais écrit. J'ai été très prudent dans l'écriture.
Le procédé, je n'étais pas sûr que ce procédé fonctionnerait, la première, la deuxième, la troisième personne. Je me suis inspiré de Graham Greene dans Le troisième homme. Il a utilisé cette technique et j'ai trouvé ça vraiment intéressant.
Je pense que beaucoup de ce que les romanciers essaient de faire, et beaucoup de ce que le discours politique ne permet pas, c'est de comprendre les gens qui sont différents de vous ou qui ont des opinions différentes des vôtres. Il faut faire preuve d'empathie.
Nous avons des personnages qui sont très différents, comme le type qui est absolument convaincu de la justesse des horreurs qu'il dit. Nous avons Tirosh, qui ne sait pas vraiment ce qui se passe, et se demande ce qu'il en est. Nous avons ces différentes approches.
Je veux toujours que les gens éprouvent de la sympathie, d'une certaine manière, même envers des gens qui sont par ailleurs détestables, ou au moins qu'ils comprennent quelle est leur humanité. C'est mon ambition.
Je ne peux pas dire que j'ai nécessairement réussi, mais c'est ce que j'espère obtenir.
Vous êtes un écrivain israélien et un auteur de fiction spéculative. Quelle peut être votre place dans le débat public sur l’avenir d’Israël ? Je crois que vous avez parlé de pogrom il y a quelques minutes, et Israël a été créé, imaginé, comme l'État, la terre où aucun pogrom n’est possible. Comment l’identité israélienne a-t-elle été transformée par le 7 octobre ?
Je ne suis pas la personne la mieux placée pour répondre à cette question, car je vis en Grande-Bretagne. Je suis britannique et je ne peux pas vraiment...
Je pense que j'ai le droit d'avoir une opinion, mais je ne peux pas parler de la façon dont le pays est, aussi parce qu'il a beaucoup changé au fil des ans. Je ne peux pas dire que je ne comprends pas nécessairement ce qu'ils font, ce que font de larges pans de ce pays.
Je pense que tout cela repose sur quelque chose d'incompréhensible, qu'on ne peut pas maintenir.
Je viens d'une génération des années 90 où l'idée était que cela allait être résolu. Il y aurait eu la paix. Il y aurait deux nations côte à côte. C'est un tout petit bout de territoire. C'est la taille du Pays de Galles, tout l'endroit. Cela aurait pu être fait. C'est très frustrant parce qu'on ne peut pas dire : « Bon, en fin de compte, on ne peut pas avoir une guerre éternelle. Personne ne peut avoir une guerre éternelle. » Et donc on se demande toujours : « Qu'est-ce que cela va être ? Est-ce que ce sera deux États ? Est-ce que ce sera un seul État ? Ou est-ce que ce sera la guerre ? » A un moment donné, les guerres doivent cesser.
On continue à exister dans un état de guerre perpétuel, ce qui est insensé. Je pense que c'est parce que les gens ne veulent pas prendre cette décision. C'est pourquoi je vis à Londres, ce qui est très agréable. Je peux simplement exprimer mon opinion de loin, mais je n'y participe pas vraiment.
Deux questions, deux dernières questions.
Je sais que vous aimez, vous aimez, vous aimez Philip K. Dick. Pouvez-vous nous dire quelque chose sur lui et son travail. Il y a quelques minutes, quand j'ai parlé de brouillard d'imprécision, ce n'était pas votre écriture qui était imprécise, mais c'était une volonté de mettre sous pression le lecteur. C'est quelque chose qu'on retrouve dans le travail de Dick. Est-ce que cette approche vous a influencé ?
Oui, absolument. Je suis un grand fan de Philip K. Dick. Parce que c'est exactement ce qu'il fait. C'est l'écrivain le plus authentique de notre époque et du XXe siècle, il capture le sens fluctuant de la réalité, l'incertitude qui y règne. C'est une énorme influence, pas seulement sur moi, évidemment sur beaucoup d'autres écrivains parce qu'il a capturé cette chose.
Il s'est avéré qu'il avait en fait un système secret, que quelqu'un m'a montré. Il avait aussi une formule pour écrire ses livres, dont je n'ai aucune idée. Votre travail en tant qu'écrivain de fiction spéculative, si vous avez l'intention de discuter de la réalité, est de mettre en scène un miroir de la réalité, de déformer la réalité et de la déplacer pour mieux la montrer telle qu'elle est vraiment. Je pense que Dick, mieux que quiconque, capturait le sentiment d'irréalité de ces fondations et de ce qui se cache en dessous. Il est donc très proche d'un écrivain d'horreur, dans un sens, car ils font la même chose. Ils vous montrent à quoi ressemble la réalité, puis ils retirent le tapis et vous montrent à quoi cela ressemble vraiment en dessous.
C'est une énorme influence. Mais j'adore toute cette science-fiction. Roger Zelazny aussi a eu une énorme influence.
Dans New Atlantic, vous citez Verne, Simak, Miller. Quels sont les auteurs, les écrivains, les auteurs spéculatifs que vous aimez, qui font partie de votre univers mental ?
Je dirais les années 60, les écrivains américains des années 60 en particulier. Je pense que, d'une certaine manière, à l'époque, comme ces livres étaient publiés en éditions de poche bon marché avec des couvertures ringardes, colorées, et des monstres, ils pouvaient faire à peu près ce qu'ils voulaient. Ils avaient des expériences de pensée et des idées folles et des trucs qu'aujourd'hui aucun éditeur ne vous autoriserait à publier.
J'aime Clifford Simack, qui est un écrivain qui, je pense, est en train d'être lentement oublié. Lui et les autres de l'époque ont réussi à écrire des livres complètement fous.
Aujourd'hui, nous sommes dans un environnement beaucoup plus commercial où vos histoires doivent l'être encore plus. À l'époque, ils pouvaient parler politique. Ils pouvaient parler religion. Ils pouvaient parler de sexe, et personne ne sourcillait parce que ce n'était pas de la littérature sérieuse. Cela ne méritait pas l'attention des critiques. C'était vendu dans des kiosques, dans des stations-service. Et donc, c'est époustouflant quand vous ouvrez un livre, surtout quand vous êtes un enfant impressionnable, et qu'ils font tout cela de manière incroyable, ils parlent de religion. Clifford Seymour et ses robots cherchent Dieu tout le temps. Je trouve ça fantastique.
Mais aussi, en remontant encore plus dans le temps, j'aime les auteurs qui publiaient dans Weird Tales dans les années 30.
J'adore ça. Je reviens vraiment à... Je pense que si vous ne connaissez pas votre histoire, dans ce cas, l'histoire du genre, alors vous allez juste la répéter et ne pas être bon parce que vous réinventez quelque chose qui a déjà été fait et fait et fait. C'est très difficile de trouver une nouvelle idée en science-fiction. Vous devez savoir d'où viennent vos idées. Et c'est le problème que les lecteurs de science-fiction ont, je pense, avec les écrivains grand public qui décident d'écrire de la science-fiction [ou les jeunes auteurs qui se targuent de ne pas lire les classiques, NdG].
Les lecteurs se disent : « Vous savez quoi ? Ils ne connaissent pas l'histoire. »
Ces auteurs naïfs se disent : « Je vais écrire un livre sur une machine à pneus parce que personne n'a jamais fait ça. Je vais écrire un livre sur les clones. »
Certaines personnes le font très bien. Je trouve
qu'Hishiguro, par exemple, est incroyable. Je pense que
Klara et le Soleil est fantastique. Je pense que
Le Géant enfoui, son roman de fantaisie d'auteur, est fantastique. J'en suis un grand fan.
Mais beaucoup d'entre eux ne le font pas. Ils disent : « Ouais, je n'ai pas besoin de savoir quoi que ce soit de tout ça. Je vais juste l'inventer. » Parfois, ça marche très bien, par chance. Mais ce qui m'inquiète un peu, ce sont les gens qui écrivent de la science-fiction aujourd'hui et qui ne connaissent rien d'avant les années 1980, parce que ce sont les fondations, et sans les fondations, vous ne pouvez pas écrire. Vous pouvez être en désaccord avec les fondateurs, vous pouvez réagir contre eux, mais vous devriez les connaître.
Merci. Merci beaucoup. Ça a été un plaisir. C'était intense.
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