Sortie du tome 2 de la trilogie des Cités de Robert Jackson Bennett. Après le très plaisant
Cité des Marches, voici qu’arrive
La Cité des Lames.
Tu sais, lecteur, que je n’aime guère chroniquer des tomes n car la description du monde a déjà été faite par mes soins dans la chronique du premier volume. Je vais donc faire ici une sorte d’inventaire de ce qui est proche et de ce qui diffère, en pointant le fait que, de même que le premier volume pouvait se lire seul, celui-ci le peut aussi, les événements du premier formant un background qui est correctement expliqué dans le deuxième, y compris pour d’éventuels lecteurs qui auraient commencé par celui-ci. J’espère que c’est assez clair;)
Voilà, lecteur, tu sais tout, suis le guide !
La Cité des Lames se passe quelques années après les événements narrés dans son prédécesseur.
Le pouvoir à Saypur a pris un virage à l'opposé de la politique colonialiste revancharde qui était la sienne depuis le Cillement qui a mis fin au Divin.
Shara, devenue la nouvelle dirigeante de Saypur depuis La Cité des Marches, est maintenant contestée par une partie de sa classe politique et il n’est pas impossible qu’un nouveau pouvoir advienne, moins favorable au Continent et à sa reconstruction que celui de Shara.
Nonobstant, tant qu’elle est encore aux commandes, Shara a lancé la reconstruction du port de Voortyashtan, afin d’en faire une porte économique efficace vers l’intérieur du Continent. C’est une société dreyling qui se charge de l’énorme travail d’ingénierie, dirigée localement par Signe, la fille jusqu’ici inconnue de Sigrud, l’assistant aux basses-œuvres de Shara dans le tome 1.
Si j’ai parlé jusqu’ici de Shara, sache, lecteur, qu’elle est ici dans l’arrière-boutique, tirant de loin les ficelles sans apparaitre sur le terrain.
Le personnage principal de La Cité des Lames est la générale Mulaghesh, un personnage secondaire de La Cité des Marches, néanmoins gouverneure militaire de Bulikov et héroïne de la bataille du même nom. Mulaghesh, qui a démissionné après une vague carrière d’état-major puis est allée se perdre au trou du cul du monde non loin d’une bouteille d’alcool fort. Mulaghesh, que Shara parvient à convaincre de retourner sur le terrain pour une mission non officielle à Voortyashtan (l’ancien fief de Voortya, divinité de la guerre et de la destruction), une ville qui reste hostile à Saypur et près de laquelle on a trouvé un métal aux propriétés miraculeuses ; découverte qui ne serait pas étonnante si tout pouvoir divin n’avait pas déserté le monde. WTF in Voortyashtan ?
Dès son arrivée à Voortyashtan, la générale se trouve dans plongée dans un nid de mensonges et de secrets qu’il va lui falloir discrètement démêler pour comprendre ce qui est arrivé à sa prédécesseuse, une agente des services secrets mystérieusement disparue.
De plus, à son grand désarroi, elle retrouve sur place le général Biswal, une vieille connaissance dont le contact la ramène à un douloureux passé qu’elle a toujours voulu oublier.
Car disons-le ici, il y a bien longtemps, Mulaghesh, alors jeune officière, a participé à une opération de longue durée derrière les lignes ennemies sous les ordres de Biswal. Démarrée par hasard puis poursuivie jusqu’à la folie, cette opération a donné lieu à de nombreux crimes de guerre auxquels a participé Mulaghesh et qui l’ont transformée à jamais.
Les particularités de son enquête et la nature de la menace qu’elle découvre pesant sur la ville et le monde lui donneront une chance de s’amender ou au moins de faire la paix avec un passé qui ne passe pas (comme il ne passe pas non plus entre une partie de Saypur et une partie du Continent).
La Cité des Lames est un roman très agréable à lire, un vrai page-turner, même s’il n’est pas un roman parfait.
Avancer dans le temps, changer de personnage principal était plutôt une bonne idée, afin que la trilogie ne devienne pas une sorte de
SAS avec le même agent passant de ville en ville pour « sauver le monde libre ».
De plus, le personnage de Mulaghesh était important dans le volume précédent et il est intéressant de la revoir dans un rôle très différent. A fortiori car c’est un beau personnage qui donne une définition du métier de soldat, tout de service et de loyauté, à laquelle on peut adhérer autant qu’à elle il lui en coûte.
On ajoutera à l’actif du roman que certains personnages sont très bien croqués, Mulaghesh bien sûr, mais aussi Biswal, dans son genre propre, ou Signe dont la dévotion à sa mission de reconstruction est parfaitement admirable.
Enfin, comme dans le premier tome, Bennett présente une histoire et une enquête tortueuse qui excitent la curiosité du lecteur et le poussent à tourner les pages le plus vite possible.
Et ses réflexions sur la guerre, même si elles ne sont pas renversantes d’originalité, ont au moins le mérite d’être là et de dire l’absurdité d’une activité dont les humains semblent totalement incapables de se départir.
Dilemme du prisonnier, quand tu nous tiens...
Néanmoins, il est dommage que, Divin absent, Bennett ait eu recours à une explication, « les vieux serments qui doivent être honorés », qui semble véritablement ad hoc. Je ne suis guère fan des explications ad hoc ni des heureuses coïncidences.
De plus, comme souvent quand les enjeux sont énormes, on peut par moments avoir l’impression que tous les éléments s’enchaînent trop bien, juste comme il faut pour que le menace indestructible soit finalement détruite. A fortiori quand la résolution de l’apocalypse à venir, par ses déductions et ses acteurs hidden in plain sight, prend par moments des allures de règlement de cosy mystery.
On regrettera enfin que certains personnages soient trop génériques. Sigrud (même lui) ou la gouverneure locale par exemple, ainsi que quelques officiers, ne sont là que pour jouer leur rôle et n’apportent guère en terme de développement, même si Bennett essaie de leur donner de la chair mais, imho, d’une manière qui n’est guère convaincante. On peut dire la même chose pour une partie de la situation politique, ce qui concerne les montagnards rebelles notamment ou la position des dreylings par rapport à Saypur.
Ne chouinons pas trop, l’un dans l’autre, l’effet de surprise n’étant plus là, Bennett se sort bien de son tome 2 qui nous permet d’en savoir plus sur un monde étonnant (et une divinité très dérangeante), mais j’espère beaucoup mieux du tome 3, pas encore traduit : City of Miracles.
La Cité des Lames, Robert Jackson Bennett
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