Eric LaRocca - As-tu mérité tes yeux ?

Agnes Petrella est une jeune américaine un peu dans la dèche. Elle est lesbienne aussi, ce qui ne change pas grand chose à l'histoire au début alors que « dans la dèche » en est le point de départ. En ce 26 mai 2000, Agnes, qui a besoin de 250$ pour payer son loyer du mois, poste sur un forum queer une annonce pour mettre en vente un épluche-pomme vieux de plus d'un siècle. Contrairement à ce qui se pratique habituellement, elle a composé pour ce faire un message de presque quatre pages dans lequel elle explique avec force détails à quel point cet épluche-pomme est un élément important de son histoire familiale et donc à quel point aussi il lui est pénible de s'en séparer. Nécessité faisant loi elle s'y est finalement décidée mais, dit-elle, elle ne consentira à vendre l'objet qu'à un collectionneur sérieux (!). Deux jours plus tard, après quelques réponses insultantes, Agnes en reçoit une intéressante d'une certaine Zoe Cross qui dit être intéressée et prêt...

Crasse rose - Fernanda Trias - Retour de Bifrost 112


Futur proche. Uruguay sûrement. Il y eut d'abord l'invasion des algues, puis l'holocauste des poissons et la disparition des oiseaux. Ensuite arriva le brouillard, puis le vent rouge qui souffle régulièrement et amène avec lui une terrifiante maladie. Quelques jours d'incubation suffisent et les contaminés perdent leur peau, la voient les quitter jusqu'à les changer en écorchés vifs. La mort suit en général, sauf pour quelques cas chroniques qui n'atteignent pas ce stade ultime. Aigus et chroniques, tous sont « soignés » au Clinicas par un Etat qui n'a pas le pouvoir de faire grand chose d’efficace. De fait, les zones côtières touchées par la maladie sont confinées, et avant même ce moment beaucoup les ont fuit. Ne restent dans la ville du roman que ceux qu'une raison ou l'autre a incités à rester. Parmi eux la narratrice.

Mariée puis séparée, sortie d'une relation insatisfaisante due autant à son asexualité assumée qu'à la distance que Max, son mari, n'a cessé d'entretenir avec elle, la narratrice est aussi la fille d'une mère imparfaite, égoïste, blessante et peu aimante. Elle rêve de partir au Brésil et même, syndrome de Stockholm, d'y emmener sa mère. Pour cela il lui faut de l'argent, et donc elle garde à mi-temps Mauro, un enfant atteint d'un syndrome qui l'empêche d'être rassasié, l'enfant lui aussi d'un mère imparfaite qui s'en décharge volontiers sur la narratrice comme sa propre mère se déchargeait sur une autre femme que la narratrice avait fini par considérer comme sa mère – là, lecteur, tu as compris que Bifrost n'était pas la cible.

Fatiguée, dépressive, la narratrice est restée pour les deux seules ancres qu'elle s'impose, en attendant aussi d'avoir réuni assez d'argent pour pouvoir partir. Mais est-ce vraiment un projet ou juste un rêve absurde ? Peut-être que cette ville vide d'humains et de bruit est ce qui convient à sa fatigue spirituelle ?

Décrivant des relations toutes insatisfaisantes, une nature polluée au point de devenir mortelle, et une alimentation qui se partage entre nourriture industrielle répugnante et pénurie de produits frais jusqu'à des carences qui se manifestent chez la narratrice par l'apparition du scorbut, Trias décrit un monde déprimant qu'elle veut, j'imagine, présenter comme une métaphore du nôtre. En dépit de son ambiance post-ap – et du titre de gloire que lui a conféré le fait d'avoir écrit un roman de confinement avant le Confinement –, Trias livre ici fondamentalement un roman de blanche. Plutôt joliment écrit, il comporte aussi son lot de phrases définitives censées nous transmettre la compréhension du monde de l'autrice ; et comme toujours dans ce genre, à de très rares exceptions, ça fait pompeux et presque puéril.

Crasse rose, Fernanda Trias

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