Ascension - Martin MacInnes

Une purge !!! Je ne peux en dire plus car ma chronique sera dans le Bifrost n° 117, et elle ne reviendra ici qu’un an après la sortie de la revue (c’est à dire, pfff…). Je peux au moins donner le résumé de la couv’ car celui-ci est disponible partout : Leigh a toujours été attirée par la mer. Dans son enfance, à Rotterdam, elle plongeait dans les eaux de la mer du Nord pour échapper à une vie de famille malheureuse et à un père instable. Adulte, elle décide de se consacrer à la biologie marine et d’arpenter le globe pour étudier des organismes anciens. Après la découverte d’une fosse en plein océan Atlantique, Leigh se joint à une équipe de recherche dans l’espoir d’y détecter la trace des premières formes de vie terrestre, mais ce quelle trouve remet en question tout ce que nous croyons savoir sur nos origines.    Ses recherches la conduisent bientôt dans le désert de Mojave, au sein d’une nouvelle agence spatiale d’une ambition sans précédent. Toujours plus impliquée dans

The Mercy of Gods - James SA Corey


Futur, planète Anjin. Des humains vivent sur cette planète depuis bien longtemps. Ils ont oublié d'où ils sont venus et comment. Ils sont là, seuls à leur connaissance, avec leur culture, leurs religions, leur cosmogonie, leurs légendes.


Sur Anjin vit, entre autres, un groupe de chercheurs sur lequel l'auteur met le focus dès le début du roman. Dirigé et inspiré par le très brillant Tonner Freis, il comprend huit autres membres parmi lesquels – à des niveaux hiérarchiques variés – le jeune « héritier » Dafyd Alkhor ou l'ambitieuse Else Yannin, dont Dafyd est amoureux alors qu'elle est en couple avec Tonner depuis son arrivée au sein de l'équipe.

Ces gens – comme tous les autres sur Anjin dont le roman ne nous parle pas – ont des problèmes de gens, c'est à dire de relations humaines, de carrière, de contrariétés administratives, de luttes de pouvoir et d'influence. Des problèmes qu'ils trouvent importants mais qui ne sont pas, jamais, des problèmes de survie. La vie a l'air douce sur Anjin. Plus pour longtemps.


Car, ces gens – comme tous les autres sur Anjin dont le roman ne nous parle pas – ignorent qu'alors qu'il s'agitent dans le marigot local la dix-septième flotte de colonisation Carryx fonce vers eux à travers l'espace asymétrique (!), un genre d’hyperespace dont la traversée est assez lente pour ressembler à ce que sont les transits à travers le Flux dans la trilogie de L'Interdépendance de John Scalzi.

Le monde de ces gens et leur vie se terminent car les Carryx viennent subjuguer, dominer, conquérir. Dans les propres mots d'Ekur-Tkalal, gardien-bibliothécaire de la fraction humaine humaine des Carryx : « Nous avons apporté le feu, la mort et les chaînes à Anjiin. Nous avons pris ce que nous jugions utile et éliminé ceux qui résistaient ».


Ces gens – comme tous les autres sur Anjin dont le roman ne nous parle pas – ne savent pas non plus qu'en leur sein agit un espion inhumain (the swarm) dont l'origine et les buts sont longtemps obscurs mais dont on comprend vite qu'il occupe un corps humain après en avoir annihilé la conscience. On a connu plus amical !


Ces gens – comme tous les autres sur Anjin dont le roman ne nous parle pas – vont découvrir la défaite, la mort pour les chanceux, la déportation et la servitude pour les autres, dans un univers nouveau et radicalement étranger dont ils comprennent peu ou pas les règles. Ils devront s’adapter ou périr, résister peut-être. Vaincre paraît inimaginable ; comment d'ailleurs vaincre un empire millénaire ?


The Mercy of Gods est le premier tome de The Captive's War, le nouveau cycle de James SA Corey, déjà auteur de la méga saga The Expanse. C'est une histoire de deuil, d'acceptation, d'adaptation et de vengeance. Une histoire placée par l'auteur sous les parrainages de Le Guin et d'Herbert. Il s'agit donc ici, on peut le supposer, de SF ethnologique.

Et, de fait, c'est bien de la culture Carryx dont il est question dans une bonne partie du roman. Une culture que les humains devront décrypter pour espérer survivre. Une culture d'autant plus étrangère à Dafyd et à ses compagnons que les Carryx parlent peu, n'expliquent pas, créent une tension telle que les humains captifs craignent d'être tués s'ils osent seulement poser une question. Une culture d'autant plus capitale à comprendre pourtant qu'elle est la clef de leur survie, en tant que groupe comme en tant qu'espèce ; les Carryx ne conservent aucun poids mort.


Race éminemment sympathique donc, les Carryx sont une espèce dont on comprend peu à peu qu'elle a une organisation aussi rigide que hiérarchisée, semblable à celle des insectes sociaux. Fonctions spécialisées, capacités reproductives variables, tout est lié pour chaque Carryx à sa position dans le pyramidal édifice social. Cette position détermine ce qui est attendu de chaque individu, elle détermine aussi ses attributs et capacités physiques, qui changent dès qu'un changement de statut social se produit. Pas de principe de Peter chez les Carryx, c'est le succès ou l'échec dans ses fonctions qui déterminent les changements de statut. « Nature essentielle et place dans la société. Un animal ne choisit pas cela. Et les Carryx non plus. Les Carryx changeaient avec leur statut social. Leur place dans la société déterminait littéralement la forme de leurs corps. »


Parlons des animaux maintenant. Est animal tout non-Carryx. Les humains bien sûr, mais aussi toutes les autres espèces que les Carryx ont dominées au fil de millénaires d’expansion. Dominées ou éliminées, selon des critères d'utilité propres aux conquérants. Aucun autre que l'utilité. Les espèces qui ne prouvent pas qu'elles seront des rouages utiles et évidemment subalternes du système Carryx seront éliminées. Les autres survivront, utilisées dans la servitude au mieux de leur capacité pour le système.

Soumises et méprisées, considérées comme des animaux dont le contact même est dégradant pour les Carryx qui y sont contraints par leur fonction, car les Carryx se considèrent arrivés au sommet d'une lutte très spencérienne pour la domination et la survie qu'ils jugent aussi naturelle qu'incontournable. Pour eux, la paix ou la coopération ne sont pas des options : « Votre espèce n’est pas la première que nous avons rencontrée avec l’illusion que la paix est un état souhaitable...Cette illusion n’a jamais été l’erreur des Carryx. Nous savions dès le moment où nous avons su quoi que ce soit que ce qui peut être soumis, doit l’être. Les espèces qui existent assez longtemps pour atteindre des ordres supérieurs d’intelligence le font uniquement en surpassant sans relâche les autres espèces autour d’elles. Et c’est cette épreuve sans fin et itérative de nous-mêmes contre l’univers qui nous pousse éternellement vers une plus grande puissance et efficacité ».

De parfaits petits nazis tout comme de parfaits petits capitalistes concurrentiels à l'échelle des espèces. Le tout conditionné en interne par une biologie impérative qui fait de chacun ce qu'il doit être dans le système, voire l'éjecte par la mort de celui-ci si nécessaire.


Découvrir les Carryx est donc une nécessité vitale pour Dafyd et ses compagnons d'infortune, et c'est un plaisir d'ethnologie littéraire pour le lecteur.

Hélas, cette découverte est très lente, et elle est le fait de personnages qui inspirent pendant longtemps une faible sympathie. Ces chercheurs avec leurs histoires d’ego blessé, d'amour déçu ou satisfait, de compétition interpersonnelles, voire, et là, oui, c'est plus grave, de survie au jour le jour, ne provoquent que peu d'empathie. Ceci, combiné à des développements nécessairement très lents qui, dans le contexte, étaient peut-être inévitables, peut créer une forme d'ennui à la lecture sauf si on se passionne pour les émois (et moi) des personnages.

Et pourtant, la confrontation entre trois points de vue, celui des humains, celui des Carryx (par flashes) et celui de l'espion interne (the swarm, par flashes aussi), est intéressante à observer par les abîmes de différences qu'elle met en lumière.

Et pourtant aussi, c'est de la survie et de l'adaptation dans les camps de la mort ou dans les systèmes de colonisation qu'il s'agit, de la perte absolue de tout repère, de toute logique, de tout droit, de toute compréhension de la situation. Une déshumanisation complète qui transforme les individus en outils, dépourvus de toute individualité, parfaitement génériques, interchangeables et remplaçables dans les yeux des esclavagistes : « Il n’y avait rien à dire qu’ils n’aient pas déjà dit, et personne n’avait de nouvelles expériences à raconter. Ils vivaient tous la même vie dans des corps différents ».

L'anéantissement de l'individu avant celui, parfois, de la vie elle-même.


C'est donc des thèmes importants qui sont traités dans un roman qui manque de liant et d'énergie imho.

Chaque lecteur verra bien s'il sympathise assez avec les personnages pour s'impliquer et prendre un vrai plaisir, ou s'il lit The Mercy of Gods d'un œil plus clinique et détaché. Dans tous les cas, le voyage n'est pas désagréable même s'il sera plus excitant pour les lecteurs impliqués que pour les autres. Choisis ton camp, camarade !

Et si The Mercy of Gods ne t'a pas convaincu, tu liras avec profit Primo Levi


The Mercy of Gods, James SA Corey

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