Ascension - Martin MacInnes

Une purge !!! Je ne peux en dire plus car ma chronique sera dans le Bifrost n° 117, et elle ne reviendra ici qu’un an après la sortie de la revue (c’est à dire, pfff…). Je peux au moins donner le résumé de la couv’ car celui-ci est disponible partout : Leigh a toujours été attirée par la mer. Dans son enfance, à Rotterdam, elle plongeait dans les eaux de la mer du Nord pour échapper à une vie de famille malheureuse et à un père instable. Adulte, elle décide de se consacrer à la biologie marine et d’arpenter le globe pour étudier des organismes anciens. Après la découverte d’une fosse en plein océan Atlantique, Leigh se joint à une équipe de recherche dans l’espoir d’y détecter la trace des premières formes de vie terrestre, mais ce quelle trouve remet en question tout ce que nous croyons savoir sur nos origines.    Ses recherches la conduisent bientôt dans le désert de Mojave, au sein d’une nouvelle agence spatiale d’une ambition sans précédent. Toujours plus impliquée dans

Saturation Point - Adrian Tchaikovsky


Terre, futur.
The Hygrometric Dehabitation Region, plus communément appelée Zone, est un territoire de jungle totalement dépeuplé depuis plusieurs décennies. La docteur Jasmine Marks y a participé à un programme de recherche qui, faute de financement, s'est achevé dans la précipitation il y a une vingtaine d'années. Marks est rentrée, n'a jamais revu sa directrice de recherche – la docteur Fell – ni ses autres collègues, a trouvé un poste dans une multinationale d'agrotech. Mais le temps a eu beau passer, elle n'a jamais oublié ce qui a été fait dans la Zone, ni ce qui aurait pu l'être, ni surtout ceux qui y sont morts.
Car il faut dire que la Zone est un lieu qui ne permet pas la vie humaine. Dotée d'un humidex (mix chaleur/humidité) absolument monstrueux, la Zone est une forêt tropicale qui tue les animaux à sang chaud ; un humain non protégé y meurt en vingt minutes d'impuissante agonie (voir Le Ministère du futur pour avoir une idée détaillée de la chose, savoir que aussi que, réchauffement climatique oblige, certaines zones terrestres approchent aujourd'hui à grand pas de niveaux d'humidex délétères). C'est ce qui explique que la Zone est peu ou prou laissée à elle-même, l'un de ces lieux que l’humanité a déserté après être parvenue à les rendre impropres à la vie humaine.
C'est pourquoi aussi, quand un crash s'y produit, il faut organiser dans l'urgence une opération de secours. Pour en assurer la réussite, l'exécutif Maxwell Glasshower, de Neosparan Threat Logistics, vient débaucher Jasmine Marks. Elle devra servir de « guide natif » pour ce qui sera, de l'aveu même de Glasshower, une opération de « Search and rescue in the most inhospitable environment currently known to man ». Salaire élevé, chance de revoir la Zone, chance de recontacter peut-être la docteur Fell, Jasmine accepte. Elle partira donc avec un groupe mixte de combattants (!) et d'exécutifs pour ce qui s’avérera être une plongée au cœur des ténèbres.


A la lecture de Saturation Point, on pense bien sûr au Cœur des ténèbres de Joseph Conrad, avec la docteur Fell dans le rôle du colonel Kurtz. Mais attention, s'il y a beaucoup de points communs entre les deux textes, les différences sont tout aussi nombreuses.

Le contexte d'abord.
Le monde décrit par Tchaikovsky est celui de notre futur. Le réchauffement climatique a entraîné la dépeuplement de certaines zones, il a aussi provoqué de massives migrations de survie avec les conflits frontaliers associés, dans un double mouvement de fuite vers le Nord et vers le Sud qui semble n'avoir pas de fin.
Le bouleversement des écosystèmes provoque aussi des successions de pandémies et l'isolement croissant d’humains qui vivent de plus en plus en confinement volontaire.
La production agricole, enfin, a chuté assez pour que des tickets de rationnement soient nécessaires pour acheter de la nourriture, tickets distribués par les firmes qui deviennent donc de fait des féodalités.

Les personnages ensuite.
Jasmine Marks n'est ni le Charles Marlow du roman de Conrad ni le capitaine Willard du film de Coppola. Revenue dans la Zone pour des raisons sur lesquelles elle n'est longtemps pas claire, y compris vis à vis d'elle-même, Marks, en dépit de ses connaissances théoriques, est largement incapable de traiter les problèmes que pose la Zone à l'expédition. Elle est plutôt une sorte de bagage que le groupe déplace avec lui, observant et notant dans un journal dicté ce qui sera le récit de l'aventure que lit aujourd’hui le lecteur.
Ceci est d'autant plus vrai qu'elle réalise vite qu'on ne lui a pas tout dit sur les motifs véritables de l'équipée et que, dans le véritable contexte, son utilité est encore moins grande.

La Zone enfin.
Personnage à part entière, la Zone est foncièrement hostile. Empêchant l'évaporation, elle tue les animaux à sang chaud en élevant la température de leur corps au-delà des limites acceptables par leur métabolisme.
Ni mammifère ni oiseau donc. Mais la Zone n'est pas morte pour autant. Elle grouille d'une vie ectotherme, possiblement agressive, qui a pris possession des lieux abandonnés par ses adversaires endothermes. Elle engloutit en un temps record sous des croissances végétales accélérées les villes et les villages qu'abritaient la Zone, et jusqu'aux bases scientifiques telles que celle dans laquelle Marks a travaillé jadis. Elle est donc un creuset de vie, intense mais résolument autre.
Vue ici sous l'angle opérationnel, La Zone est si hostile qu'elle peut vaincre même les humains de notre avenir et leur technologie plus avancée que la nôtre. Elle sera l'ennemie constante du petit groupe auquel appartient Marks. Hélas, elle ne sera pas le seul…


Saturation Point est une novella d'aventure stressante. A ce Cœur des ténèbres dont j'ai déjà parlé répondent aussi L'île du docteur Moreau pour les expériences génétiques, Annihilation pour le retour à une forme primordiale de nature libérée des hommes, Predator même, si on veut, et qu'on visualise le petit groupe de soldats surentraînés pris dans une jungle qu'ils ne parviennent pas à vaincre.
C'est aussi un texte militant pour le préservation des écosystèmes humains (car la Terre, elle, s'en sortira toujours, elle l'a déjà fait plusieurs fois), et un avertissement contre un avenir noir dans lequel les firmes seraient des seigneurs dont les individus ne seraient que les serfs.

L'histoire est dite à travers le regard de Jasmine, qui ne voit pas tout, n'entend pas tout, ne comprend pas tout. Cette narration embedded avec cône de vision limité rend le caractère stressant de l'expédition pour la scientifique qui n'est ni assez armée ni assez informée pour avoir une vue d'ensemble de la situation et encore moins pour la gérer correctement.
Ce brouillard de guerre est intéressant, il place le lecteur dans la même position que les membres de l'expédition, gênés par la nébulosité constante du lieu et la défaillance de leurs appareils de communication. Il est intéressant aussi car il dit bien l'impuissance fondamentale de l'individu balloté par des systèmes institutionnels opaques qui s'affrontent et sur lesquels il n'a pas de contrôle
Force du récit qui est aussi une faiblesse.
C'est parfois peut-être un peu trop brouillon voire foutraque – et à la fin le twist donne l'impression de tomber du ciel – mais néanmoins cette descente vers les profondeurs de la jungle puis vers celles de la Terre même inquiète assez pour qu'on s'accroche à la lecture et qu'on lise jusqu'au bout afin de savoir comment ce désastre va se terminer. Et on y a passé un moment plaisant. Environnement, génétique, aventure, fusillades, cadavres, on connaît pire manière de passer deux heures.

Saturation Point, Adrian Tchaikovsky
L'avis de Feyd Rautha

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