Problème : pour la première fois depuis qu’existent sur Terre ces hybrides qui abritent dans leur corps gênes humains et gênes oankalis, la métamorphose de Jodhas, destinée à le faire passer à l’état d’adulte, fera de lui un Ooloi, membre du troisième sexe Oankali et pilier de leur société. Et tu t’en souviens, lecteur, ces Oolois sont des génies génétiques capables de toutes les recombinaisons dans les organismes qu’ils touchent. Ils sont donc tout à la fois les intermédiaires entre les Oankalis et le monde vivant, les porteurs éternels de la mémoire millénaire de toutes les espèces vivantes rencontrées, et les intermédiaires obligés de la reproduction.
Problème 2 : Jodhas sera le premier Ooloi issu d’hybride, un prototype donc. S’il se révélait être un Ooloi imparfait, ses pouvoirs de recombinaison génétique risqueraient de causer des catastrophes. L’exil sur le vaisseau oankali en orbite, loin de tout danger potentiel, semble alors être la solution la plus raisonnable, beaucoup dans la société oankali y sont favorables. Mais Jodhas refuse cette option et, dans une société où les informations se partagent librement et où les décisions sont accouchées par consensus, il obtient le droit de tenter de contrôler ses pouvoirs et pour cela, d’abord, de s’accoupler avec des partenaires humains afin se stabiliser son être.
Imago est le troisième et dernier tome de la saga Xenogenesis. C’est aussi le plus court des trois et certainement le plus simple tant dans ce qu’il dit que dans la manière dont il le le dit.
Le focus est mis dans ce tome sur le côté alien. C’est par les yeux de Jodhas, un hybride ooloi, que l’histoire est racontée à la première personne.
Nous suivons sa quête de partenaires humains ; nous suivons aussi celle de son adelphe apparié, Aaor, qui subit la même métamorphose que lui, de façon bien plus risquée et douloureuse. Car il faut savoir que l’accouplement est indispensable à la vie normale de ces Oolois dont la fonction est de stocker, recombiner et faire circuler les gênes de toutes les espèces vivantes croisées au fil d’éons de pérégrinations spatiales. Trouver des partenaires n’est donc pas une option, c’est un impératif. Des partenaires qui doivent être consentants – les Oankalis ne sont pas des violeurs – mais dont le consentement est en partie « forcé » par la physiologie ooloi même. Une forme de viol chimique donc, mais un viol chimique que le Ooloi est presque dans l’incapacité matérielle de ne pas pratiquer.
Fable du scorpion et de la grenouille. Les nombreuses personnes qui vocalisent aujourd’hui
ad nauseam leur high ground moral sauront quoi en penser, je suis trop con pour ça ; me revient juste cette phrase de Wittgenstein :
« Si un lion pouvait parler, nous ne pourrions le comprendre. »
Face aux Oankalis et aux hybrides, ne restent sur Terre que peu d’humains, stériles (pour la plupart). Les autres se sont appariés avec des aliens ou ont été transférés à leur demande vers la colonie martienne créée par les Oankalis où ils peuvent être pleinement humains, porteurs donc toujours de la contradiction auto-destructrice, décrite dans le tome précédent, qui causa guerre mondiale et quasi-extinction.
Face aux humains réticents – ou même consentants –, des Oankalis des trois sexes qui ne sont qu’imparfaitement honnêtes – du moins au début – sur la dépendance physique que crée l’appariement, même volontaire, ou sur le destin final de la planète Terre, destinée à être détruite pour fournir les ressources nécessaire à la prochaine migration spatiale de ces Galactus « bienveillants ».
Les deux groupes partagent pour un temps une planète que des étrangers non invités ont investi, même s’ils l’ont fait – en partie – pour préserver une partie de l’espèce humaine ; mais dans quel but ?
C’est la bienveillance du dominant – de fait, du colon –, souvent sincère mais en partie viciée par une idéologie (qu’on pense à Jules Ferry et au « devoir civilisateur ») dont la source ici est génétique, que met en question ce roman. Jodhas et Aaor aiment leurs partenaires, même s’ils ont conscience que le partenariat qu’ils initient n’est pas libre au point d’être exempt de ressentiment côté humain. C’est l’ambiguïté d’une relation qui tangente la domination alors qu’elle se fonde sur un amour ressenti par le dominant que pointe Butler, montrant de manière claire que si la relation peut être avantageuse pour le dominé, elle n’en répond pas moins à une nécessité vitale pour le dominant qui, s’appariant, sert d’abord ses propres intérêts. Jusqu’à l’ethnocide ?
Tout ceci est abordé à partir d’une histoire (trop?) simple qui sent plus la SF des années 50 que celles des 90’s. Imago se lit avec plaisir et clôt le cycle, même si, à la fin, des fils restent qui auraient pu être développés.
Imago, Octavia Butler
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