Quelques mots pour dire le bien que je pense de l’adaptation du Notre Dame de Paris de Victor Hugo par Georges Bess, dernière en date après celles de Frankenstein et de Dracula.
Comme pour les deux albums précédents, je ne vais pas ici décrire ou analyser un roman classique bien connu. Simplement te faire savoir, lecteur, que Bess réalise ici en images la tâche qu’Hugo s’était donnée : rendre vie au Paris médiéval et protéger par des mots l’architecture gothique que le XIXe siècle, fou de progrès, mettait à mal. En effet, entre les pages de l’album et plus encore dans son édition Prestige au format 27x36, c’est le Paris de la fin du XVe siècle qui explose aux yeux du lecteur, le Paris du Moyen-Age finissant.
Un Moyen-Age finissant qui n’a pas encore découvert l’Amérique mais dans lequel se développe cette imprimerie qui tuera, si l’on en croit Hugo, la sculpture et l’architecture comme arts de la narration édifiante – et créera accessoirement les conditions de réalisation du plus grand schisme qu’ait connu l’Église catholique d’Occident.
Une France où approche la fin du règne de Louis XI, « l’universelle Aragne », un tyran si on en croit Hugo, royaume dans lequel Paris n’est qu’une ville bien moins étendue qu’aujourd’hui, centrée autour du palais royal et des bâtiments médiévaux tels que le Palais de Justice ou, parlons-en, la cathédrale Notre dame de Paris, achevée fin XIVe siècle alors que le roman se passe fin XVe.
C’est ce Paris que Bess donne à voir, à travers une histoire qui emprunte beaucoup d’éléments au gothique dont Hugo est peu ou prou contemporain.
L’imaginaire collectif retient d’abord le personnage de Quasimodo, sonneur sourd et contrefait des cloches de Notre Dame et vrai simple recueilli après son abandon par l’archidiacre Frollo à qui il voue une fidélité dont Hugo comme Bess – version courte – disent : « ...Quasimodo aimait l’archidiacre comme jamais chien...n’a aimé son maître ».
Mais Notre Dame de Paris est d’abord et surtout l’histoire d’Esmeralda (la couverture ne s’y trompe pas), bohémienne, enfant trouvée, qui succombera au désir pervers d’un religieux, possédé par sa convoitise, qui agit comme ces hommes qui préfèrent tuer leur femme plutôt que de la voir leur échapper. En cela, comme en son amour irraisonné pour le capitaine Phoebus qui se joue d’elle alors qu’elle « l’aime » parce qu’il est beau et « la protégera », croit-elle, Esmeralda, victime, est éminemment contemporaine.
Aveugle à la désinvolture d’un Phoebus qui jette sa gourme avec une bohémienne naïve alors qu’il est fiancé à une femme de son rang, soumise aux manigances et au chantage d’un Frollo qui veut en faire sa chose et n’y parviendra jamais même si Esmeralda doit mourir pour cela, Esmeralda est une victime archétypique, ses déboires caractéristiques des tourments qui guettent les femmes qui « allument » sans même rien faire la flamme du désir concupiscent dans des esprits dérangés.
Si on y ajoute la superstition et la bigoterie (que Hugo entend aussi dénoncer) ainsi qu’un système judiciaire dont le seul mérite est d’exister (avec torture, procès pour animaux, et procès-farce présidé par un juge sourd interrogeant un prévenu sourd), le drame annoncé n’a plus qu’à se dérouler.
Au coté d’Esmeralda lors de ses épreuves se dresse Quasimodo, qui ne peut empêcher l’inéluctable, seulement venger et mourir.
Ce roman, qui touche au sublime, montre la vilenie d’une époque vile peuplée d’hommes vils ; il montre aussi hélas les souffrances qu’elle engendre pour les innocents.
Bess lui donne vie en reproduisant fidèlement ce Paris médiéval qu’Hugo décrivait. Notre Dame de Paris, grandiose – qui était à l’époque entourée de petites rues et venelles et pas dégagée comme aujourd’hui –, le Palais de Justice, les maisons à encorbellement, tout est sous les yeux du lecteur, parcouru par une populace nombreuse et bigarrée.
Et, même si le dessin est plus classique, plus sage, que dans les deux albums précédents de Bess, Notre Dame de Paris compte de grands moments visuels : la Cour des miracles, la sonnerie des cloches auxquelles Quasimodo se balance, le supplice de Quasimodo sur le pilori, l’assaut sur Notre Dame par l’armée des gueux, le gibet de Montfaucon, etc.
Mais surtout, surtout, le corps d’Esmeralda dansant, superbe, libre, forte, lumineuse, tout ce que n’est pas le bossu Quasimodo (dont pourtant l’âme est belle, comme celle du monstre de Frankenstein) ni le sombre Frollo (dont l’habit reflète l’âme noire). Et si Esmeralda, torturée, cède aux brodequins, elle ne cédera jamais à Frollo même quand il offre de la sauver, libre jusqu’à la mort telle une Antigone médiévale. Deux siècles après ses premiers pas de danse, Bess lui redonne vie et lui rend hommage.
Notre Dame de Paris, Bess, Hugo
Commentaires
Cette BD est magnifique, Bess un grand dessinateur.Le Paris médiéval est reproduit admirablement.
Et toujours dénoncer les injustices qui perdurent comme Hugo le dénonçait.
Le personnage de Esmeralda est dessiné un peu comme une Barbarella,hypersexuée.C’est certainement voulu par l’auteur pour la faire correspondre à 2023.Je me suis posé la question.
De plus, dans le roman, elle est très souvent vue à travers le regard de Frollo qui devient de plus en plus cinglé en pensant à elle. Donc ça parait plutôt judicieux. C'est comem ça qu'il la voit.