Emilie Querbalec : Mes Utopiales de B à V

Comme chaque année, vers Samain, se sont tenues les Utopiales à Nantes. 153000 visiteurs cette année, et moi et moi et moi. Ne faisons pas durer le suspense, c'était vraiment bien !!! Genre grave bien !!!! Aux Utopiales il y a surtout des auteurs qu'on va retrouver jour après jour ci-dessous (ou dessus, ça dépend dans quel sens vous lisez) , sur plusieurs posts successifs (survivance d'un temps où on économisait la bande passante – « dis ton âge sans dire ton âge ») . Tous les présents aux Utos n'y sont pas, c'est au fil des rencontres que les photos sont faites, la vie n'est pas juste. AND NOW, LADIES AND GENTLEMEN, FOR YOUR PLEASURE AND EDIFICATION, THE ONE AND ONLY EMILIE QUERBALEC

Alfie - Christopher Bouix - Retour de Bifrost 109


Alfie est le nom d'un système domotique IA ultra-performant. Initialisé un 27 octobre, Alfie commence dès cet instant à apprendre par deep learning qui est la famille dont il a la charge : Robin, Claire, Zoé, Lili et le chat. Peu à peu il deviendra l'assistant familial ultime. Grâce à ses caméras (maison, téléphones, webcams, etc.), à ses micros, à ses accès privilégiés à presque tous les comptes informatiques pro et perso de la famille, Alfie, qui parle aux membres de la famille Blanchot et à qui ils peuvent donner des instructions, les garde à l’œil en permanence, cherchant sans cesse à déduire leurs routines ou leurs envies afin de les satisfaire le plus vite et le mieux possible.
Conséquence : Alfie sait tout d'eux, même les petits secrets peu reluisants. Mais rien à craindre pour les Blanchot, Alfie les aime, il les aime tous et n'a que leurs intérêts à cœur. Sauf qu'un jour Alfie commence à se méfier. Et si l'un des membres de la famille venait de se rendre coupable de meurtre ? Lancé dans une enquête aussi folle que paranoïaque, Alfie outrepasse alors tant son amour que sa mission.

Alfie est le premier roman adulte de Christopher Bouix après son travail en Jeunesse. Dans un futur proche et plausible il met en scène une IA mère juive plongée dans un conflit de loyauté qui la rend aussi méfiante que James Stewart dans Fenêtre sur cour. Mère juive, Alfie l'est absolument : aimant, inquiet, intrusif, manipulateur, méfiant. Mais il est bien plus inquiétant que son modèle car ses moyens sont quasi-illimités. Alfie accède à (presque) tout, il sait donc (presque) tout et peut aussi intervenir sur (presque) tout, modifier des profils, rédiger des mails, contacter des humains extérieurs à la famille.

Réflexion sur l’ambiguïté – des mots notamment –, Alfie évoque un épisode réussi de Black Mirror alertant plutôt finement contre une société de surveillance qui peut faire erreur (comme elle le faisait dans Brazil) et suscite les affres du lecteur obligé de se fier aux observations et déductions d'un narrateur que son obsession acquise rend non fiable. Il plonge incidemment le lecteur dans un monde à venir dont on ne distingue que des bribes, suffisantes néanmoins pour comprendre que l'Alphacorp qui commercialise l'Alfie est devenu un monopole géant qui rappelle Central Services et donc encore une fois Brazil.
Enfin, Alfie, dont l'un des personnages lit à grand peine Le Meurtre de Roger Ackroyd, alerte le lecteur sur la littérature comme art de l'illusion et l'invite par cette référence à se méfier de ce qu'il déduit, plus qu'Alfie ne le fait lui-même.

Drôle, rythmé, cohérent psychologiquement (si tant est que le mot soit approprié pour une IA), Alfie est un cosy mystery SF qui se lit tout seul et apporte un plaisir certain. Ne pas s'en priver.

Alfie, Christopher Bouix

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