Californie, 1976. La guerre du Vietnam est terminée depuis peu. Gérald Ford est président après un Nixon forcé de démissionner. La course à la Lune est terminée et une Seconde Guerre froide a succédé à la Détente entre Américains et Soviétiques.
Rien de tout cela dans Les Vagabonds, le dernier roman traduit de Richard ‘Dead Boys’ Lange. Les personnages qui peuplent le roman sont aux marges, aux franges même, centrés sur des problématiques qui ne sont que les leurs.
Ces personnages, parlons-en. D’abord Jesse et son frère Edgar, des semi-clodos en vadrouille qui forment un couple forcé depuis qu’à la mort de leur mère Jesse a promis de prendre soin de son frère attardé ; une vie conjointe loin d’être facile pour l'un comme pour l'autre. Ensuite, les huit membres du gang de bikers des Démons qui, cuir, Harley et tout l’attirail, sont craints à juste titre dans la « communauté » des Vagabonds. Enfin, Charles Sanders, un père endeuillé qui a quitté femme et emploi pour se lancer à la recherche des assassins de son fils Benny.
Particularité inédite chez cet auteur, les Vagabonds dont parlent le titre sont, disons-le tout net, des vampires. Vampires certes mais vampires à la mode Richard Lange. Des marginaux, des paumés qui rappellent les enfants perdus du très beau Lesser Dead de Christopher Buelhman et bien sûr les Dead Boys du recueil éponyme. Tout sauf des aristocrates balkaniques ou des bellâtres scintillants, donc.
Porteurs d’une maladie ? malédiction ? que rien n’explique, les vampires de Lange, qui se désignent eux-mêmes comme Vagabonds, vivent des centaines voire des milliers d’années. Ils peuvent en créer d’autres comme eux-mêmes. Ils sont très difficiles à tuer tant leurs capacités de régénération sont stupéfiantes – Wolverine est enfoncé. Ils ne doivent pas rester au soleil dont la lumière les brûle jusqu’à la mort.
Mais le parallèle avec le mythe vampirique s’arrête là ; aucun mumbo jumbo magique dans Les Vagabonds. Si les vampires de Lange doivent boire du sang pour survivre, ils n’ont à le faire qu’une fois par mois environ, quand la faim de sang les prend, ce qui leur laisse l’opportunité de se déplacer et de dissimuler leurs traces – comme des serial killer en errance. Se cacher du soleil le jour implique seulement de trouver un lieu facile à isoler de la lumière, la chambre d’un motel miteux peut donc faire l’affaire. Et, bien sûr, aucune eau bénite ou crucifix dans cette histoire. Les vampires sont une autre espèce, pas des créatures magiques liées au christianisme.
Un parallèle demeure néanmoins, les Vagabonds de Lange ont vécu de très longues vies. Ils sont pour la plupart en partie déconnectés de la modernité. Ils ont des siècles de souvenirs, de regrets, d’amours perdues ou de pertes inconsolables. Ils trimbalent avec eux des haines recuites ou des désirs de vengeance étalés sur des décennies. Ils vivent pour l’essentiel en solitaire ou en petits clans, presque aussi dangereux pour leurs congénères que pour les simples humains qu’ils croisent et abattent comme du bétail – les quelques Vagabonds sédentarisés ont d’ailleurs des « vaches » humaines qui les nourrissent au long cours.
C’est donc un noir glauque que raconte Lange dans le roman. Rien de magique ni de flamboyant dans Les Vagabonds. On suit ici des prédateurs condamnés à « vivre » aux franges de la société et à se déplacer toujours dans une errance aussi constante qu’indispensable, des prédateurs qui, à quelques rares exceptions près, vivent de petits vols ou de petits boulots. D’abris sordides en chambres miteuses, de voitures volées en voitures volées, de prostituées en ivrognes assassinés (les marginaux se nourrissant d’autres marginaux que le monde ne recherchera pas), les vampires de Lange ont une vie que rien ne rend enviable. Et quant Jesse croit retrouver un amour perdu il met en branle involontairement une chaîne d’événements qui conduira à des catastrophes ; Love is Danger chantaient les Virgin Prunes.
De rédemption, ici, il n’y aura guère. Pas pour les Vagabonds dont tous ne survivront pas au roman. Pas pour les humains consentants ou non qui les côtoient ; peut-être seulement pour un Sanders qui finit moins mal que le Nick Hume de Death Sentence après avoir néanmoins plongé jusqu’au fond de l’abjection – un crève-cœur pour cet homme très religieux.
Les Vagabonds, sorte de Dracula des hobos, est un roman de peu de mots qui parvient à être bouleversant parfois, une histoire de guerre secrète sans glamour aucun, une symphonie sobre de la dérive et de l’abandon des marges. Au rayon des bémols, il aurait pu/dû être plus long pour développer certains points et, dans un autre registre, n’étant que peu friand de longues scènes de combat, j’ai regretté leurs répétitions, mais ça c’est moi, lecteur, tu peux avoir d’autres goûts.
Note : il sort bientôt, en janvier.
Les Vagabonds, Richard Lange
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