Je l’ai déjà écrit ailleurs, je connais peu Batman et ce n’est pas l’un de mes supes préférés. La lecture de Batman et Joker Deadly Duo, en créant une légère excitation batmaniaque m’a néanmoins donné l’envie de lire ce que le consensus désigne comme l’une des meilleurs histoires du caped crusader : Batman, The Dark Knight Returns, de Frank Miller. Let’s go !
1985. Frank Miller propose à Dick Giordano, alors directeur éditorial de DC Comics, l’ébauche d’une histoire qui rendrait à Batman la violence et le côté sombre qui étaient les siens avant l’invention de la Comics Code Authority.
1986. La série The Dark Knight Returns commence à paraitre, écrite et dessinée par Miller, avec Lynn Varley à la couleur et Klaus Janson à l'encrage.
Terre-31 (une réalité alternative, quasi-dystopique, à l’univers DC).
La ville, Gotham, est violente au point de paraître infernale. Bruce Wayne a 55 ans. Cela fait dix ans qu’il a raccroché les gants de Batman, juste après le décès de son sidekick Robin. Mais la chauve-souris qui hante son inconscient ne l’a jamais quitté, pas plus que le souvenir du meurtre de ses parents dans la bien nommée Crime Alley. Alors quand le gang des mutants commence à semer la terreur dans la ville, Bruce Wayne réendosse costume, cape et ceinturon, et Batman reprend du service.
C’est donc un Batman bien au-delà de la force de l’âge qui retourne dans la bataille. Un Batman logiquement inquiet sur ses capacités physiques, lui qui, bien plus que ses confrères dotés de pouvoirs, doit faire montre de performances athlétiques hors pair – les nombreuses blessures graves qu’il encaissera lui prouveront qu’il avait raison de douter. Dans cette nouvelle croisade âpre et cruelle, le caped crusader, bien plus violent que dans les histoires post Comics Code Authority, sera assisté par un Alfred devenu bien vieux mais resté fidèle, et surtout une (oui, une) nouvelle Robin qu’il forme pour en faire une héroïne et un second. Sera-ce suffisant ?
Romain Lucazeau le dit justement dans le numéro 9 de Metal Hurlant, la science-fiction n’a pas à être prospective. Mais il arrive qu’elle le soit, presque par hasard. Alors, lire en 2023 une série créée en 1986 est surprenant. Qu’on observe la montée de la violence à Gotham, l’impression d’impuissance que donnent les autorités publiques, les températures anormalement élevées, le regard parfois naïf porté sur de dangereux criminels ou le babil incessant de chaînes d’info qui – infotainment oblige – ne développent que des sujets polémiques dans une pure optique d’audience et tendent, ce faisant, à polariser l’opinion jusqu’à la radicalisation de parties entières de celle-ci, on est forcé de noter que le monde imaginé par Miller ressemble sans doute bien plus au nôtre qu’à celui de 1986.
De 1986, Miller conserve le personnage absurde de Ronald Reagan dans un monde où brûlent les dernières braises de la Guerre froide, et aussi certains éléments qui font inévitablement penser au Watchmen de Alan Moore qui était publié à peu près en même temps (les héros dans la guerre, ou tout simplement le fait de dire une vraie histoire avec un personnage de supe développé comme le serait un personnage « réaliste »). Ce parallèle est amusant quand on sait qu’Alan Moore n’a pas de mots assez durs contre Miller – comme contre beaucoup d’autres d'ailleurs ! Ce parallèle incite à croire, quoi qu’en disent les polémiques, que l’époque était mure pour utiliser enfin vraiment les super-héros en les plaçant dans une société et pas juste dans un décor.
Du début des 80’s, Miller possède aussi, peut-être involontairement, certains tropes : le combat entre Batman et les mutants dans la Décharge par exemple ramène à l’esprit les batailles épiques en blindés entre Judge Dredd et les mutants dans la Terre maudite. Certains dessins dans lesquels l’armure de Batman est très imposante rappellent aussi le juge de Mega City One, de même que les énormes body count des crimes de Joker.
Enfin, le débat, télévisuel et politique, autour du personnage de Batman, évoque celui autour des films de vigilantes qui agitaient régulièrement la critique depuis Joe ou Un justicier dans la ville voire l’opinion entière après que Bernhard Goetz eut tiré sur quatre jeunes Noirs qui avaient, dit-il, tenté de le voler dans le métro de New York – quant aux radicaux illuminés, une scène du comic fait furieusement penser au Peur sur la ville d’Henri Verneuil.
C’est donc à un étonnant voyage dans le temps que convie Batman The Dark Knight Returns, un voyage qui vaut autant sinon plus par son ambiance que par son récit. Un voyage qui se termine par l’effacement d’un héros revenu au côté noir de ses origines et s’effaçant derrière une nouvelle génération à venir qui devra(it) substituer la justice à la quête de vengeance. Un voyage qui s’achève dans un final impliquant Superman dans une sorte de prémonition du Marvel Civil War, et n’est pas, loin de là, la meilleure partie de la série tant elle semble greffée sans solution de continuité à tout ce qui précède.
De ce tournant noir de Batman dériveront les films et le ton nouveau du comic, c’est intéressant et donc à lire.
Batman The Dark Knight Returns, Miller, Varley
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