Christophe Siébert a crée la répugnante et vénéneuse ville de Mertvecgorod. Il a invité le lecteur à la visiter dans Images de la fin du monde, Feminicid et Valentina, trois romans publiés Au Diable Vauvert. Le sightseeing a fait récemment un détour chez d'autres éditeurs avec Hram chez Gore des Alpes et Vive le feu chez Zones 52. Voici qu’arrive Volna, publié chez Mu Editions et précédé d’une préface laudative et méritée de Marion Mazauric, fondatrice du Diable Vauvert et inventrice de Christophe Siébert comme on dit de celui qui trouve un trésor qu’il en est l’inventeur.
2030 et quelques. On est après le Black-Out qui a redessiné drastiquement Mertvecgorod, rendant la ville encore plus dure pour une population qui ne fait qu’y survivre, comme encagée, entre Substitution et retour à une lotek contrainte. On est à Mertvecgorod, ville-monstre qui va bruisser un peu, quelque jours, autour d’un mystérieux singe capucin trouvé par quelqu’une et recherché par d’autres. Un singe capucin qui pour certains représente l’opportunité qui leur permettrait de fuir Mertvecgorod définitivement, et pour d’autres le risque d’un scandale qu’ils ne pourraient peut-être pas se permettre. Quoique…dans le monde de Mertvecgorod les oligarques ont la peau dure.
Volna est un court roman nerveux qui place ses quelques personnages sur une trajectoire de collision jusqu'au crash. On y croise, au fil de chapitres très courts, Anton et ses droogies, Roman et Catherina, le capitaine Sobakov – qui joue à être le Baron Meliadus –, Alina Kouznetzov ou Vassili Siankovski.
Roman, architecte drogué et lâche viré par sa femme pour une conduite disons inconvenante. Catherine, son amie qui l’héberge et va l’aider. Alina, grapheuse et dealeuse lestée d’un énorme compte à régler avec le monde entier. Vassili, ex-militaire en bout de route lancé dans une vengeance par ennui plus que par amitié. Anton et ses gars, tarés ultra-violents sous speed en permanence, petites mains (ou grosses paluches) du capitaine Sobakov, middle manager de la police secrète qui se rêve en baron grandbreton (il faut être Siébert pour imaginer un schizo pareil). Plus quelques autres, qui dominent, aident ou souffrent – ceux qui souffrent étant toujours les victimes collatérales d’une violence indiscriminée qui est autant défouloir à psychopathes que conséquence d’un système dans lequel plus aucun droit n’existe.
Tous tournent autour ou courent après un singe capucin bien particulier. Ou plus précisément autour de ou après ce qu’il porte : une carte SIM qu’on imagine compromettante.
Volna est un roman violent, parfois heurtant, parfois un peu trop elliptique surtout vers la fin, qui rappelle dans son ton cru, plus que ses devanciers, que Christophe Siébert est aussi éditeur de romans pornographiques.
On y suit la folle équipée de deux personnages en quête d’une sortie que d’autres veulent éliminer pour protéger leur position quel qu’en soit le prix.
On y parcourt encore les rues d’une ville dont le destin rappelle fortement celui de la Russie récente, entre désastre écologique, ascension des oligarques et pillage généralisé dans un contexte de délitement de toute valeur ou norme sociale préparé par des décennies de dictature soviétique. A Mertvecgorod ne restent que la survie pour presque tous et une compulsion maniaque à l’accumulation pour les quelques dominants dont le pouvoir terrifiant se fonde sur un appareil répressif dépourvu de toute entrave. Entre les deux, drogués et dealers forment un écosystème du suicide au ralenti et les nécessités de la survie immédiate peuvent faire de tout résident un tueur potentiel.
Volna est enfin un nouveau roman à Mertvecgorod. Dans Mauvais Genre, Sixtine Audebert parlait de « néo-comédie humaine ». On ne saurait mieux dire. C’est bien au projet de Balzac que s’attaque Siébert en réitérant sans répit les visites à Mertvecgorod ; la différence étant qu’ici le projet s’appuie sur un lieu imaginaire, il nous concerne donc.
Faut-il en être un lecteur exhaustif ? Oui, car on y trouve toujours quantité de ces phrases brillantes qui attirent l’œil comme des perles dans un torrent de boue. Exemple avec la définitivement gibsonienne : « Avant le black-out, des drones purifiaient le ciel du kvartal de toute pollution à coups de produits chimiques qui retombaient au sol en microparticules aussi nocives qu’invisibles. Avec la disparition des drones, les nuages sont revenus aussi inéluctablement que la surface d’un marécage se refermant sur un noyé. »
Volna, Christophe Siébert
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