Ici et maintenant (version Histoire secrète). Meru Marlow est une jeune journaliste d’enquête un peu à la dérive. Après un livre qui s’est très bien vendu, elle cherche depuis longtemps et vainement un autre sujet intéressant à traiter. Jusqu’à l’affaire des passagers amnésiques du vol 815, qui ranime la flamme et la lance sur un secret titanesque dont elle était à mille lieux d’imaginer l’existence et au cœur d’une confrontation planétaire dont elle devient l’enjeu.
Meru commence son enquête en recherchant le seul passager du vol 815 que l’amnésie n’a pas affecté, Henry Lyme. Au milieu de dangers sans nombre que rien ne laissait imaginer au départ, aidée par un étrange « agent de la CIA », Meru traque Lyme du Mexique à l’Asie du Sud-Est. Lorsqu’elle le retrouve enfin, caché dans un village isolé, il lui raconte l’histoire incroyable du Mind Management, une organisation secrète qui influe depuis des décennies voire des siècles sur la marche du monde. Dans quel but ? Avec quels appuis ?
Ce qui est sûr en tout cas, c’est que la dite organisation emploie des individus dotés de pouvoirs exceptionnels tous liés au contrôle de l’esprit – à l’exception des Immortels qui sont les gros bras du MIND MGMT. Ce qui est sûr aussi, c’est que Lyme était l’un des plus puissants agents du MIND MGMT, et qu’il a très gravement dérapé. Ce qui est sûr encore, c’est que le MIND MGMT a été dissous et qu’il semble qu’il soit en cours de reconstitution. Ce qui est sûr enfin, c’est qu’après avoir expliqué tout cela à Meru, Lyme lui efface la mémoire à l’aide de ses pouvoirs avant de la renvoyer à sa vie d’avant. Et que, mémoire vierge, elle s’y remet : déprime, enquête, traque, révélation. Again and again and again.
Mais chaque itération la voit un peu plus épuisée. Et chaque itération la rapproche du moment où le cycle samsariesque des renaissances mémorielles s’achèvera, non dans la dissolution du nirvana mais dans l’inévitable confrontation entre ceux qui veulent ressusciter le MIND MGMT et ceux qui s’y opposent. Quand l’histoire commence on ne donne pas cher des seconds.
Commençons par le commencement :
MIND MGMT c’est laid. Pas laid comme certains trouvent que
Sandman l’est.
Sandman est riche de styles qu’on peut ou pas apprécier,
MIND MGMT est juste laid
(encre et aquarelles foutraque au point que parfois on hésite sur l’identité d’un personnage). Travaillé sans doute, mais laid.
Disons la suite : la série complète est constituée de trois gros albums et à la fin du premier on peut vraiment se demander comment ce qui semble aussi linéaire dans le récit qu’éclaté dans les toppings pourra acquérir une cohérence.
Et pourtant, soyons clair, MIND MGMT est une très bonne série. Au fil du millier de pages réalisées dans plusieurs styles différents qui livrent à la fois la trame principale (avec ses boucles récurrentes) et des éléments d’information (nombreux) dont la fonction est de présenter des personnages ou des situations à venir, la série se décante au point de faire émerger une cohérence du chaos des boucles mémorielles, autour d’un attracteur étrange qui est le récit des événements présents et la vérité des faits passés. Et alors ça devient de plus en plus brillant.
Brillant car du foutoir émergent, point par point, le rôle de chacun et les relations qui les lient.
Emergent les agents assassinés et ceux qui sont restés dormants, les toujours actifs et les néo-recrutés, les vieilles haines et les amours consumées, les monstres et les freaks, les mages et les scientifiques, l’ultra-rationalité et la folie de la perte de contrôle.
Emerge l’histoire d’une organisation qui a travaillé seule avant de s’allier aux puissances étatiques, qui a voulu le meilleur pour l’humanité avant de s’assurer avant tout de sa propre survie, qui a aidé les freaks du monde à trouver leur place avant d’en engendrer de toutes pièces de manière artificielle, qui a été un havre pour certains et une prison pour d’autres, etc.
Matt Kindt raconte cette très longue histoire en la présentant comme un assemblage de dossiers archivés. Papier jauni, fac-similé de documents, notes de bas de pages ou de bords de pages, enluminures diverses, la création de Kindt ne se trouve pas seulement dans les cases, elle occupe l’ensemble de chaque page. C’est un travail colossal auquel s’est astreint l’auteur, qui, bit par bit, point par point, a composé un paysage impressionniste de très grande qualité qui ne se donne à voir que très progressivement au lecteur. Mais alors, quel choc ! Et quel plaisir !
A lire et sans doute à relire dans la version française de Thomas de Châteaubourg, réalisée par les orfèvres de Monsieur Toussaint Louverture.
MIND MGMT Intégrale 3 tomes, Matt Kindt
Commentaires
Je me suis peut-être totalement planté, faute de garder en mémoire pas mal d'éléments (je lis moult bd en même temps, même si j'ai relu en diagonale les précédents), et pour autant, j'ai passé un bon voire très bon moment, notamment lors de certains encarts sur des membres qu'on ne reverra pas. C'est nettement plus ambitieux que Dept.H qui était plaisant à sa manière, et j'avoue qu'il y a une audace chez cet auteur qui m'épate: il n'a pas peur que ses visuels rebutants ou naïfs fassent écran avec le reste de sa proposition artistique. Ça m'a peut-être rendu plus exigeant: "si t'es aussi brut de décoffrage dans ta mise en scène (dans le récit de Meru, pas pour l'architecture globale), alors ton histoire doit vraiment être imparable".
Hâte d'avoir la suite de Folklords !
Je pense vraiment et tu sembles le confirmer qu'il vaut mieux lire les trois tomes en enfilade même si ça prend quelques jours. Sinon, je pense que la manière dont les éléments se décantent est moins explicite.