Yal Ayerdhal in Bifrost 118 - La fin de la guerre éternelle

Dans le Bifrost 118 il y a les rubriques habituelles. Critiques des nouveautés, scientifiction and so on. Il y a aussi un édito d'Olivier Girard qui rend un hommage appuyé et émouvant à Yal Ayerdhal , un grand de la SF française qui nous a quitté il y a dix ans et dont je me souviens de le gentillesse et de la capacité d'attention à tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, appartenait à ce milieu qui était le sien et qui est le nôtre. Dans le Bifrost 118 , il y a   donc un gros dossier sur Yal Ayerdhal (qu'on appelait entre nous simplement Yal) . Un dossier sur l'homme actif et en colère qu'il était, de ses combats pour le droit des auteurs à son militantisme intelligent (il y en a) . Dans le  Bifrost 118  il y a aussi une plaisante nouvelle de Yal Ayerdhal,  Scintillements . Il y raconte comment finit la "guerre éternelle" entre deux civilisations galactiques qui n'auront jamais pu communiquer. Dans un écho déformé de Lem ou d'Haldema...

La Fille qui se noie - Caitlin R. Kiernan


Rhode Island, aujourd’hui. India Morgan Phelps vit seule, plus ou moins, dans une maison dont elle a vaguement hérité, entre petit boulot et isolement dans une culture classique que la modernité n’a pas pénétrée.


Fille d’une mère et d’une grand-mère toutes deux schizophrènes et suicidées, India (qui s’acronymise elle-même Imp, « lutin ») écrit l’histoire de sa hantise. Elle l’écrit pour toi, lecteur, mais aussi pour elle-même, pour sa psy, pour son amie, pour Dieu sait qui encore.

De quelle hantise s’agit-il ? D’une « vraie » hantise ? Factuelle, comme elle dirait. De la vraie hantise d’Imp donc, par la mystérieuse Eva Canning, rencontrée deux fois pour la première fois à quelques mois d’intervalle ? Ou des conséquences d’un mème arrivé jusqu’à Imp par le biais d’une fille en mal de suicide et d’un peintre aux œuvres inquiétantes qui évoquent des sirènes, sans en oublier un autre dont le malaise prend la forme floue de louves.


Schizophrène sous traitement comme ses deux plus proches ancêtres, Imp est l’archétype du narrateur non fiable. Si peu fiable qu’elle a même conscience de l’être et l’exprime explicitement.

Imp se trompe, oublie, se souvient, revient en arrière, saute des passages, ment par omission ou par nécessité. Bien fol celui qui se fiera aveuglement au compte-rendu d’Imp.

Et que nous dit-elle, si imparfaitement qu’elle s’admoneste elle-même parfois, se reprochant de ne pas dire assez la vérité ou de ne pas proposer de chronologie fiable ? Qu’elle était solitaire, qu’elle a failli ne plus l’être, qu’elle est maintenant hantée, qu’elle cherche un sens à ce phénomène, qu’elle aime passionnément une fille trans rencontrée par hasard et que la hantise d’Imp a fait fuir, qu’elle ment à sa psy mais pas toujours, qu’elle peut s’isoler et laisser sa vie partir à vau-l’eau par passion, qu’elle accumule et expose les références littéraire et artistiques comme un malade possédé par un syndrome de Diogène culturel. Jusqu’à une résolution finalement moins trouble que la progression narrative ne le laissait imaginer.


Caitlin R. Kiernan, qu’on connaît bien en France depuis Agents of Dreamland, un récit d’une surprenante maîtrise et d’une grande originalité, livre encore ici un texte, antérieur, dont la narration témoigne de belles qualités de construction. Porte ouverte dans la psyché d’une schizophrène peut-être hantée, La fille qui se noie – dont on ne sait si elle est Eva dans des eaux glacées ou Imp dans sa folie – est l’Ulysse de Kiernan, progressant au milieu des monstres du monde réel et de ceux qu'engendrent le sommeil de la raison, parcourant le fil étroit qui sépare celui d’Homère de celui de Joyce. Un roman contemporain complexe pour lecteurs de Poppy Z. Brite.

La fille qui se noie, Caitlin R. Kiernan, Bram Stoker Award et James Tiptree Jr Memorial Award


La maison ne reculant devant aucun sacrifice, trouve ci-dessous, lecteur, le tableau fictif du roman créé sur un site de fan :

La fille qui se noie

Commentaires

Thomas Day a dit…
Très belle critique...
Gromovar a dit…
Grazie mille.