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Gromovar
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Christophe Siébert a crée la répugnante et vénéneuse ville de Mertvecgorod. Il a invité le lecteur à la visiter dans Images de la fin du monde, Feminicid et Valentina, trois romans publiés Au Diable Vauvert. Le sightseeing a fait récemment un détour chez d'autres éditeurs avec Hram chez Gore des Alpes et Vive le feu chez Zones 52. En attendant Volna, en octobre chez Mü.
Vive le feu est un court roman qui se passe durant les années 2020. C'est l'histoire d'un double anéantissement. Celui de Masha, la quarantaine, ex-prof virée pour excès haineux sur les réseaux sociaux, et celui de Pavel, 16 ans, mineur en sécession familiale habité par le projet de témoigner au monde. Témoigner au monde car ni Masha ni Pavel ne peuvent plus en supporter la marche. Ni les succès et la gloire immérités, ni le luxe et les passe-droits de ceux que leur fortune exonèrent du droit commun, ni la médiocrité des petites vies normées de ceux qui, par adhésion, contrainte ou indifférence, acceptent de jouer le jeu du système.
C'est aussi l'histoire de deux échecs, car le système est trop gros (plutôt que trop fort) pour être ébranlé par deux révoltés si déterminés soient-ils. Deux échecs inévitables, écrits dès l'abord. Ne restaient qu'à en connaître les modalités.
Dans Vive le feu, Siébert revient à Mertvecgorod avec son ironie glacée et ses phrases-chocs coutumières. Mais ici la ville est en arrière-plan, loin derrière les deux personnages omniprésents. Les amoureux de la ville-monstre en seront pour leur frais et regretteront sûrement de ne pas l'arpenter plus.
Le focus ici est sur Masha et Pavel. Sur la détresse intime de Masha, que ni alcool, ni médicament, ni exutoire informatique ne parviennent à soulager. Sur celle de Pavel, complice et manipulateur à la fois, qui n'est pas plus qu'elle outillé pour vivre dans le monde qui est le sien. Tous deux sont habités par une douleur constante qui a besoin d'être hurlée pour ne pas rester complètement stérile, qui nécessite une expression pour cesser d'être solipsiste et un bouc-émissaire sur laquelle se décharger et ainsi impacter le réel. Deux douleurs intérieures, deux rages, qui se potentialisent à la rencontre de deux solitudes. Une rencontre paradoxale dans laquelle même le sexe est empêché – sauf dans une version effrayée et fragmentaire –, dans laquelle Masha accepte l'ascendant d'un Pavel qui ressemble tant aux élèves qu'elle méprisait profondément, dans laquelle les deux forment une monade qui exclut de facto le reste du monde et tourne définitivement le dos à tous les ponts déjà brûlés dans le passé.
Mais à quoi sert de hurler si personne n'écoute ou même n'entend ?
Pas la société, pas les médias, et encore moins la psychiatrie, qui ne sait rien d'autre qu'abrutir pour rendre les comportement problématiques moins probables au prix de transformations physiques irréversibles.
Masha et Pavel n'ont pas d'illusion sur leur possibilité de changer le monde : « Nous préférons perdre en jouant selon nos règles plutôt que gagner en jouant selon les vôtres ». D'ailleurs, s'ils le pouvaient, que voudraient-ils ? Veulent-ils quelque chose d'autre que tirer leur révérence ?
Croient-ils au moins que leur révolte et leur action d'éclat seront écoutées ? Qu'ils livreront au monde un témoignage audible au milieu du bruit ambiant de la société du spectacle ? Quelle est la part de jeu dans leurs actes ? Eux le savent, ou peut-être seulement Pavel.
Misfits par nature autant que par construction, Masha et Pavel n'ont ni projet ni message politique sérieux, juste une forme de romantisme noir confinant au nihilisme – de leur manifeste, Masha elle-même dit : « Ce texte imparfait et naïf nous convenait ».
Il y a chez Masha et Pavel la recherche lente mais constante d'une forme particulière de suicide égoïste, ce suicide qui résulte, pour Durkheim, d'une trop faible intégration au groupe social d'appartenance. Dans l'univers de Masha et Pavel il n'y a pas/plus de lien, et là où Klara, dans Valentina, validait et renforçait du lien en organisant des obsèques, ici les obsèques qui se produisent sont des démonstrations par l'absurde de l'absence de toute solidarité. Dans le marigot urbain indifférent, Masha et Pavel sont deux atomes intriqués en marche vers la désintégration.
Vive le feu, Christophe Siébert
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