Dans le Vieux Royaume (pas celui de Jaworski), l'empereur règne en tyran sur une population qui doit subir son très sanguinaire joug. Vieux et craignant la mort, le souverain a pris la décision d'accomplir un pèlerinage à travers son pays au cours duquel « son peuple aimant » pourra le couvrir de cadeaux prélevés sur ses maigres ressources – un moyen de flatter l’ego du despote en aggravant encore la misère du peuple. A l'issue du pèlerinage, l’empereur embarquera à la Cité Divine pour les terres lointaines où il espère trouver l'immortalité. Un rêve pas si absurde dans un monde où la magie existe et pour un monarque qui a emprisonné sous son palais l'impératrice, rien moins que la Lune tombée sur la Terre , une divinité qui a offert sous la contrainte ses dons aux trois enfants du « couple ». Trois enfants si cruels et terrifiants qu'on ne les appelle que les trois Terreurs. Assurément une belle famille.
Le Pays sans lune est le deuxième roman de Simon Gimenez publié en français, après un Cantique des Etoiles où je m'étais, disons, ennuyé. J'y entrai néanmoins sans idée préconçue car ici il s'agissait de fantasy, après la SF du Cantique. Autre plat, autre sauce.
Honnêtement, le roman commence bien, et mon plaisir à le lire était grand.
D'abord grâce au mode narratif. Dans Le Pays sans lune, Jimenez raconte plusieurs histoires sur plusieurs niveaux. Première, troisième et deuxième personne en fonction des moments, le Pays sans lune est l'histoire racontée au spectateur – qui pourrait être le lecteur – d'une pièce de théâtre. C'est aussi celle de deux héros, Jun et Keema, aussi différents qu'on puisse l'être et embarqués à leur corps plus ou moins défendant dans la fuite de l'impératrice et sa quête de restauration de la justice par l'élimination du règne fou de l'empereur. C'est celle encore de quelques personnages secondaires, parmi lesquelles une tortue et un oiseau violet ou les chefs des grandes familles du royaume. C'est enfin celles de tous, du plus puissant au plus humble, qui interviennent en italique pour exprimer leurs pensées – souvent tragiques, parfois les dernières – devant la situation en cours de description. L'ensemble de ces voix donne une vraie dynamique au récit et ouvre le champ des interprétations et de l'empathie possible.
Ensuite car Jimenez ne se prive d'aucun effet « pyrotechnique » pour raconter son histoire. Les puissants sont très puissants, les pouvoirs sont très spectaculaires, les créatures sont magiques, les oppositions sont sanglantes au point qu'on pourrait s'y croire dans un film de Tarantino. Ca frappe, ça tranche, ça explose, et ça se résout dans l'expulsion très visuelle d'hectolitres de sang souvent éjectés de cous qu'une lame a privé de tête. C’est du grand spectacle assumé comme tel.
Après car la manière dont Jimenez dit l'histoire est accrocheuse, mêlant spectateurs et spectacle, passé et présent, jusqu'à une disparition du quatrième mur qui, si elle était prévisible, apporte un petit plus au récit et met le lecteur au centre de ce qui ressemble furieusement à un opéra chinois, avec archétypes, cris, arias, effets pyrotechniques, démesure, personnages masqués et même roi singe – j'adore l'opéra chinois.
Enfin car le rythme de résolution des mystères et de progression dans la quête est très satisfaisant (ni trop lent ni trop rapide), du moins dans les deux premiers tiers.
Il y a donc un vrai charme à ce récit qui séduit et emporte.
Puis, vers l'attaque du dernier tiers, le rythme et l'éclairage changent et mon intérêt à commencé à lentement se déliter.
Arrive un moment où l'histoire commence à se déployer plus qu'avant dans un monde en partie onirique, et plus qu'avant backstage. Un moment où les épreuves semblent passer sans trop de difficultés, et où on a alors d'assister à une démo de jeu vidéo plutôt qu'au jeu lui-même. Ceci uniquement dans le but de donner un cadre à la Danse (!). Oui, la Danse (!). A partir de ce moment, l'histoire est explicitement décrite comme une danse. Une danse que dansent les personnages, les héros notamment, lorsqu'ils suivent le Rythme de la terre (!) qui est celui du monde. Ton serviteur est un bourrin, tu le sais, lecteur, et il a commencé à se méfier quand il a été question de mettre en parallèle quête, révolution et danse.
Cette fin de danse (qui conserve néanmoins la forme spectateurs/spectacle) se centre progressivement, par le focus que met Gimenez, sur les relations d'amitié/amour qui se développent entre Jun et Keema. « Il me regarde », « je le regarde », « il me voit le regarder », « je le vois me regarder », « on nous voit nous regarder » (l’oiseau par exemple), et on se frôle et on on se tease, et blablabla. Même s'il n'y a pas que ça, clairement c'est là que s'est déplacé l'intérêt de l'auteur – c'est tellement vrai que c'est exprimé explicitement à la toute fin du récit « tu as raison, le corps baigné de clair de lune te le confirme, c'est bien une histoire d'amour. Tranchante jusqu'à l'os (!) » quand, comme le disait Yul Brinner dans Les Dix Commandements, « tout est écrit et accompli ».
Passer du politique à l’intime, du global au trivial, Jimenez fait ses choix, qui affadissent son texte, c'est son droit.
D'autant que la narration première, troisième et surtout deuxième personne fait qu'on se retrouve à avoir peu d'empathie ou d'affect pour les personnages ; peu pour les héros et, disons, rien ou presque pour les seconds rôles qui apparaissent et disparaissent au rythme (décidément !) des entrées et sorties de scène.
Et qu'au bout de 500 pages, on finit par se dire aussi que l'expression des pensées en italique, dont on pouvait trouver que c'était une bonne idée au début, n'est pas toujours utilisée de manière optimale en ceci que, l'étant à tort et à travers sans règle compréhensible, elle perd de sa puissance de dévoilement pour ressembler parfois à un simple gimmick.
Décidément, Jimenez et Gromovar, ça le fait pas.
Le Pays sans lune, Simon Jimenez
Les avis de Cédric et de Lorhkan
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