Les Frères Rubinstein, encore et encore. Je ne radoterai pas en disant que c'est excellent, je l'ai déjà fait pour les quatre tomes précédents.
L'histoire continue. 1936, Moïse est une star d'Hollywood. Scénariste puis réalisateur, il est l'auteur bankable que les studios choient. Sa vie familiale aussi est en plein tourbillon avec la naissance de jumeaux qui prennent une place énorme dans le cercle privé du jeune homme. Moïse essaie aussi, sans grand succès, de « caser », tant professionnellement que sexuellement, son frère Salomon. Ce dernier milite de plus en plus activement, en compagnie notamment de Kabira Schwartz, contre l'antisémitisme américain et pour une prise de conscience du fléau qui menace les Juifs d'Europe.
C'est que Salomon a découvert la politique d'Hollywood à l'endroit d'Hitler, un pacte avec Satan qui consiste à donner un droit de regard à l'Etat nazi sur les films tournés (jusqu'au retournage de certaines scènes et/ou à l'aryanisation de personnages) en contrepartie de la poursuite de leur distribution dans le Reich. Cette pratique, concrètement pilotée par le consul allemand Georg Gyssling et justifiée par la nécessité de préserver les emplois du secteur en Allemagne et en Californie, et sans doute aussi les profits des studios, conduisit Hollywood – d'habitude si prompte à s'indigner – a être très accommodante à l'endroit de l'Allemagne nazie dans ses productions.
Après un coup d'éclat étouffé dans l’œuf, Salomon parvient à convaincre Harry Warner – et en dépit de l'avis de son frère Jack – de la nécessité d'agir contre les visées du IIIe Reich. Il est alors envoyé en mission documentaire secrète dans le nouvel empire allemand. C'est sans doute par là que se rejoindront les deux fils temporels, le californien et celui qui conduit le jeune homme à être emprisonné dans le camp d'extermination de Sobibor.
Dans le fil Sobibor justement, la fin est proche. Au-delà des exactions et atrocités qui constituent la norme dans le camp, les déportés les plus conscients sentent de plus en plus que, revers militaires allemands aidant, la liquidation du camp approche. Il devient alors plus que jamais urgent de fuir avant l'issue fatale. L'opportunité de le faire se présentera sous la forme d'un contingent de prisonniers soviétiques qui apporte un sang combattant et encore peu usé par les privations dans le camp. Reste à s'organiser et à trouver le bon plan et le bon moment, sans trop tarder – ironiquement, l'aide des capos sera peut-être décisive.
Comme dans les tomes précédents, Brunschwig met en images les deux faces d'une pièce unique avec le personnage dual des frères Rubinstein. Ethique de conviction contre éthique de responsabilité, instinct de survie familiale et personnelle contre prise de risque calculée pour l'atteinte d'un but plus noble, Moïse et Salomon sont deux aspects opposés mais aussi nécessaires l'un que l'autre de la prise en compte d'une situation de péril jamais vue auparavant.
Avec grande finesse dans le développement et grande maîtrise narrative dans l'entremêlement des fils, Brunschwig met en scène une forme d'aveuglement que symbolise bien le personnage d'Harry Warner qui fraie par nécessité avec une femme d'origine allemande au background politique plus qu'inquiétant.
Aveuglement, volonté de ne pas croire au pire, Billy Wilder, Juif d'origine autrichienne, résuma plus tard le tout en une formule lapidaire : « Les pessimistes ont fini à Hollywood, et les optimistes à Auschwitz. »
Enfin, et pour que les choses soient claires si elles ne l'étaient pas déjà assez, Brunschwig ne néglige pas non plus l'histoire événementielle en plaçant Salomon au cœur de la Nuit de cristal et de la crise de la déportation des Juifs polonais vers la Pologne qui donna l'occasion à ce pays d'exprimer tout son antisémitisme. Le jeune homme témoigne alors pour son temps comme Brunschwig pour le notre.
Toujours aussi réussi et poignant, ce nouveau tome des Frères Rubinstein n'est pas qu'une très bonne lecture, c'est aussi une leçon d'histoire et une utile piqûre de rappel.
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