Eric LaRocca - As-tu mérité tes yeux ?

Agnes Petrella est une jeune américaine un peu dans la dèche. Elle est lesbienne aussi, ce qui ne change pas grand chose à l'histoire au début alors que « dans la dèche » en est le point de départ. En ce 26 mai 2000, Agnes, qui a besoin de 250$ pour payer son loyer du mois, poste sur un forum queer une annonce pour mettre en vente un épluche-pomme vieux de plus d'un siècle. Contrairement à ce qui se pratique habituellement, elle a composé pour ce faire un message de presque quatre pages dans lequel elle explique avec force détails à quel point cet épluche-pomme est un élément important de son histoire familiale et donc à quel point aussi il lui est pénible de s'en séparer. Nécessité faisant loi elle s'y est finalement décidée mais, dit-elle, elle ne consentira à vendre l'objet qu'à un collectionneur sérieux (!). Deux jours plus tard, après quelques réponses insultantes, Agnes en reçoit une intéressante d'une certaine Zoe Cross qui dit être intéressée et prêt...

Idoles - Ken Liu in Bifrost 110


Dans Bifrost 110, on trouve toutes les rubriques habituelles et un très complet dossier consacré à Alastair 'Inhibiteurs' Reynolds.

On y trouve aussi une bonne nouvelle de Ken Liu (en écrit-il de mauvaises ?) intitulée Idoles. Publiée initialement dans le recueil Made to Order de Jonathan Strahan, elle est ici traduite en français par l'éminent Pierre-Paul Durastanti.

Il y a trois ans j'en disais ceci :

Idols, de Ken Liu, est une fable en trois actes sur la reconstitution virtuelle de personnes disparues, à partir des traces que celles-ci ont laissé, sur le net ou ailleurs. Non sentient, l'idole (image étymologiquement, et dont le titre rappelle le Idoru de W. Gibson) est une simulation de ce que pourrait être la personne, de ce qu'elle pourrait dire ou répondre, basée sur les données disponibles, donc largement dépendante de la qualité et du volume de celles-ci. Le but est d'avoir un programme qui ressemble à l'original, qui serait donc capable de passer une forme nouvelle de Turing permettant de déterminer si celui qui parle est l'original ou une simulation.

Les affres du deuil, mais aussi l'envie d'avoir à sa disposition sa star favorite favorise le développement de ces logiciels, mais c'est lorsqu'ils sont utilisés dans le monde des affaires pour simuler le déroulement d'une négociation, ou en justice pour aider à la sélection du jury voire calibrer mieux interrogatoires et contre-interrogatoires, qu'on se dit que des simulations de ce type apparaîtront un jour ou l'autre ; on se dit aussi qu'ils deviendront l'objet de manipulations quand seront crées des données publiques factices dans le seul but de générer chez l'adversaire des simulations imparfaites donc fautives. Mise en abyme, régression à l'infini, les constructs risquent de devenir alors moins des répliques imparfaites – puis-je me reconnaître dans mon construct ? et quelle part de mon image publique fabriqué-je, consciemment ou non ? – que des créations originales ad hoc, sources de tromperies.

Un grand texte qui pose les bonnes questions, comme souvent chez Ken Liu.


Après relecture, j'ajoute que les réflexions finales de Bella Doubet sur le caractère nécessairement composite du Soi, sur l'infinité de facettes dans lesquelles piocher lorsqu'on se met en scène au sens goffmanien du terme, sur l'éventail des possibles de vie suivant qu'on privilégie telle ou telle autre de ces facettes m'a furieusement remis en mémoire L'homme-dé, le classique de Luke Rhinehart. Je profite de l'occasion pour conseiller très vivement de lire cet indispensable roman culte imprégné tant de psychanalyse que d'ironie anti-psychanalytique et si fortement assaisonné à l'humour et au sexe qu'il doit figurer dans la bibliothèque de tout honnête homme (il est dispo en France Aux Forges de Vulcain).

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