The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Vie contre vie - Tristan Garcia - Histoire de la souffrance 2


Vie contre vie est le tome 2 de la trilogie Histoire de la souffrance de Tristan Garcia. Je ne reviens dans cette chronique ni sur le principe ni sur les idées développées dans le tome initial (tu sais, lecteur, que je n'aime pas chroniquer les tomes n), pour les connaître il suffit de cliquer ici.


Le récit-fleuve de Garcia se poursuit donc avec ces 690 pages qui vont de l'Andalousie du XIe siècle à la Birmingham des débuts de la Révolution industrielle en 1791. On y retrouve la narration en textes consécutifs et chronologiques où se succèdent les incarnations des éternelles âmes bleu, rouge, vert, jaune, auxquelles s'ajoutent ici les âmes noir, blanc et gris.

Elles s'incarnent dans la chair d'un médecin andalou lors des guerres civiles qui déchirent le pays, d'une souillon de Bohême qu'on dira sorcière, d'un bourreau mongol, d'une princesse aztèque ou d'un esclave africain aux Amériques, entre autres. Elles s’incarnent aussi de fort belle manière dans des végétaux ou des animaux, car c'est de Vie qu'il s'agit et que la Vie est multiple dans ses manifestations.


Dans Vie contre vie, on assistera toujours à la vérité des souffrances tant physiques que psychologiques qu'éprouve la Vie. Les années passent et le cycle se perpétue, encore et encore (comme le psalmodie Robert Smith à la fin de A forest). Il faut aller vers notre époque, voire au-delà.

S'ajoutent néanmoins quatre éléments :

  • D'abord le lien entre les âmes est rendu plus explicite par l'auteur qu'il ne l'était dans le tome 1, notamment car les sauts sont de courte distance (comme dans le récit de l'Ouest) ou que les âmes se « souviennent » confusément de leur « passé »
  • Ensuite, la confrontation entre les humanités est plus évidente, la guerre, civile, de conquête, ou de palais, est une constante de l'interrelation humaine. Ce ne sont pas que les hommes individuels qui s'opposent, ce sont aussi les groupes humains, les civilisations, avec pour conséquence l'esclavage, le génocide, l'ethnocide. La vie est jeune, l'humanité plus encore, elle a les assauts et les emportements des fougueux daguets. This is no country for old men.
  • De plus, se dessine une forme de confrontation perpétuelle entre deux Idées, deux Volontés antagonistes : Changement et Conservation. Portées par des hommes et des groupes prêts à toutes les destructions, elles assurent un certain équilibre qui rappelle celui de la Loi et du Chaos chez Moorcock.
  • Et si les réincarnations comme les confrontations sont permanentes, il n'en reste pas moins que la vie « avance » par complexification. Et que dans l'humanité, stable biologiquement, c'est par le progrès et sa transmission que s'opère cette complexification. Progrès technique et progrès des idées, imaginés par des hommes en quête et transmis au moyen de livres (deux principalement – dont aucun n'est religieux). Les livres portent la mémoire des hommes car eux-mêmes meurent puis sont oubliés et que la transmission inter-spirituelle est bien trop imparfaite pour s'y fier. Sans les livres, la lutte contre les souffrances physiques ou sociales serait un vain et éternel recommencement, alors que grâce aux livres il est permis de rêver à un monde d'où, grâce à la connaissance et à l'énergie, elle aurait été bannie – c'est la quête que s'assignent peu ou prou tous les protagonistes de l'ouvrage. C'est une chaîne liant pour chacun passé présent et futur relatifs qui s'organise, dont les personnages ont progressivement de plus en plus conscience.


Toujours magnifiquement écrit, à chaque histoire dans le style approprié, s'intéressant autant à la souffrance sociale des femmes ou des vaincus qu'à celle, physique, que partagent les êtres vivants que la mort rattrape, Vie contre vie comporte de nombreux passages d'anthologie comme cette hystérectomie dans une ville assiégée ou une remontée à la force des bras du fond d'un puits qui peut s'apparenter à une (temporaire) Résurrection dans le très brillant chapitre Hexen. Le reste, que je ne cite pas, est à l'avenant, en dépit d'un petit coup de mou dans la dernière histoire, moins impressionnante même si elle semble s'adresser au lecteur lui-même et en faire l'un des agents de la transmission, ici du témoignage de la souffrance alors que les personnages du roman cherchent à propager l'anesthésie – les faits dont le lecteur est témoin depuis un millier de pages attestant alors de la pertinence de la quête des personnages.

A lire, car l'épopée continue et qu'elle est loin d'être finie.


Vie contre vie, Tristan Garcia

L'avis de Feyd Rautha

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