The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Interview de Marguerite Imbert : une flibustière sur ma pile


Marguerite Imbert est une jeune femme dont l'œuvre, encore modeste, promet de grands moments à venir. Après une jeunesse passée à voyager, elle a publié un premier roman de blanche, intitulé Qu'allons-nous faire de ces jours qui s'annoncent ?, qui reçut un très bon accueil.

Mais ici nous sommes sur ma pile, une pile sur laquelle jouent les exclus du camp Chippewa, une pile sur laquelle Peter Murphy est un martyr aux stigmates, une pile sur laquelle on chante La Complainte du vieux marin - un poème de Bruce Dickinson comme chacun le sait. Ici donc c'est le deuxième ouvrage de Marguerite Imbert qui nous intéresse plus particulièrement : une bombe atomique post-apo aussi chatoyante et pétillante qu'imprévisible intitulée Les Flibustiers de la mer chimique ; il était chroniqué là.

Electrisé par le roman mais ni gavé ni rassasié, nous avons demandé à Marguerite Imbert si elle pouvait nous en dire plus sur elle et son roman. Elle a gentiment accepté, ce dont nous la remercions vivement.

Ladies and Gentlemen, Marguerite Imbert :


Bonjour Marguerite et merci d’accepter de répondre à ces quelques questions. Pour commencer, peux-tu te présenter brièvement pour les lecteurs du blog ? Et nous dire en deux mots de quoi parle Les Flibustiers de la mer chimique ?


Bonjour Grom ! Merci à toi pour ta chronique et ces questions, je suis flattée et contente d’apparaître sur ton blog.

En ce qui me concerne, comme j’aime cultiver un côté résolument mystérieux, je bornerai la description à mon habitude de me mâchouiller les cheveux en écrivant et de ronger les carottes pour mettre le cœur à nu et le manger en dernier. 

Quant aux Flibustiers : il s’agit d’une tragi-comédie accidentée qui a lieu dans un futur flou. De l’humanité il ne reste que l’écume, et les survivants ne sont pas les plus raisonnables ni les plus modestes. C’est un roman qui est traversé par la soif d’aventure et l’envie de vivre. La moitié se passe en mer, à bord d’un sous-marin nucléaire occupé par Jonathan et son équipage : les Flibustiers éponymes. Le capitaine est un post-adolescent dégingandé qui a décidé que, foutu pour foutu, il allait faire de la planète son terrain de jeu. Il est despotique, exubérant, et inspire une fascination consternée à son entourage. Et de l’autre côté, sur terre, dans une communauté de survivants, on trouve Alba, qui est aussi un drôle de personnage. C’est une jeune femme à la mémoire artificiellement hypertrophiée, qui a emmagasiné des kilotonnes d’informations sur le patrimoine de l’humanité. Le problème, c’est qu’elle est incapable de faire la différence entre la vérité, la fiction, la propagande… du coup, elle dit beaucoup de bêtises (comme les autres personnages, du reste).


Les Flibustiers de la mer chimique est ton deuxième roman seulement et le premier en Imaginaire. Je n'ai encore lu aucune critique négative dessus. Un triomphe. Peux-tu nous dire ce que ça fait ?


Je relativiserais le terme de triomphe, déjà parce que je n’ai toujours pas d’autographe de Scott Lynch et que mon éditeur constate publiquement que les ventes sont nulles. Plus sérieusement, je crois que je n’ai aucun recul sur la question. J’ai l’impression que le roman est encore assez confidentiel.


Les Flibustiers de la mer chimique. Comment trouve-t-on un tel titre ? Et qu'est-il censé dire au lecteur ?


Le titre de mon livre vient d’une de ses premières phrases, prononcée par Ismaël. Ce naturaliste vieillissant, capturé par les Flibustiers, servira de témoin souvent complaisant aux caprices de Jonathan. Officiellement, les Flibustiers de la mer chimique, ça désigne le capitaine Jonathan et son équipage. En réalité, les Flibustiers désignent l’ensemble des survivants. Tous ces naufragés d’une civilisation enterrée, ces opportunistes qui tentent d’avoir du panache les deux pieds dans l’eau et la langue pâteuse. Je voulais que le titre reflète quelque chose d’intrépide, mais aussi de poisseux, car c’est un monde ambivalent. Un lecteur a qualifié le livre de chausse-trappe moral, en parlant de Jonathan. Il s’étonnait de la sympathie qu’il ressentait pour un personnage aussi tordu. J’en ai conçu une certaine satisfaction. Un flibustier n’est ni un corsaire ni un pirate, mais un agent ambigu dont les allégeances fluctuent. Le titre annonce la couleur.


As-tu eu ton mot à dire sur la chatoyante couverture ?


Oui, et j’en remercie régulièrement mon éditeur - j’ai cru comprendre qu’on laissait rarement ce genre d’initiative aux auteurs. Gilles (Dumay, ndg) m’a permis de sélectionner l’artiste et de lui communiquer mes idées en direct. Sparth lui-même, l’illustrateur, était à l’écoute et quelques échanges nous ont permis de nous mettre d’accord. Le résultat m’a fait bondir d’enthousiasme, avant de me coller un énorme complexe. C’est une couverture marrante et caractérielle, autrement dit la promesse d’un contenu original. La peur de décevoir m’a soudain rattrapée par le col.


Les Flibustiers de la mer chimique est un post-ap certes mais un post-ap joyeux « Je ne crois pas que l’apocalypse soit nécessairement une chose triste », et, ce qui est rare, presque un post-ap inchoatif. Quelle sont tes balises/références post-ap et pourquoi avoir choisi de prendre le contre-pied du trope le plus évident du genre ?


J’ai effectivement voulu avoir une approche différente de la catastrophe, à mi-chemin entre la révérence et la dérision. Mais je mentirais si je disais que j’avais fait exprès de détourner les codes du post-apo, parce qu’en réalité je n’en ai pas lu tant que ça. Des histoires de fin du monde, oui (Les fils de l’Homme, Le cantique de l’apocalypse joyeuse, La route, Le mur invisible…) mais je ne me suis jamais posé la question du genre. Par exemple, quand Isabel Allende écrit d’épouvantables histoires de fascisme, elle ne se prive pas de mélanger Histoire et conte de fées. Olga Tokarczuk, de son côté, fait du polar animiste, ce qui est fort chouette. En tant que lectrice, j’ai grandi dans l’idée peu académique que le concept de genre littéraire était très surfait. J’ai eu du mal à en démordre en écrivant. 


Ton roman décrit un monde effroyable peuplé d'individus plus étranges les uns que les autres. Une collection de freaks. Comment as-tu procédé pour créer tes personnages (je pense notamment mais pas seulement à Alba, Ismaël et Jonathan) ? Avais-tu des modèles ? Comment as-tu dosé tes effets pour les rendre à la fois délirants et crédibles ?


Et bien, j’ai essayé de les rendre aimables, chacun à leur manière. Au-delà de leurs manies spectaculaires, de leur lâcheté, de leur ridicule et de leurs morceaux de bravoure, j’ai voulu les doter d’une soif d’être vus et reconnus qui les rend (j’espère) humains. 

Par ailleurs, je me suis méfiée de leurs frasques : je ne voulais pas les résumer à une succession de bons mots ou de crises de nerfs. Je les voulais réalistes dans leur délire. Au bout d’un moment, leurs syncrasies discursives et comportementales sont devenues très naturelles et je n’ai plus eu besoin de me surveiller.


J'ai trouvé Les Flibustiers de la mer chimique très cinématographique. Avais-tu des films, des séries, ou des réalisateurs en tête en écrivant ?


J’aime beaucoup le cinéma, mais non. En revanche, j’écoutais systématiquement de la musique (qui me servait aussi d’index narratif) et je visualisais assez clairement la scène en train de se dérouler. Cela dit, lors de la première relecture, je me suis montée tout un casting imaginaire pour ce livre, dans lequel Paul Dano figure en bonne place. J’espère qu’il sera bientôt adapté, car ni Paul ni moi ne rajeunissons.


Rome d'un côté, le Player Killer de l'autre, deux sociétés peu démocratiques. La survie de l'humanité passe-t-elle nécessairement par une « remise en ordre » ?


Je dirais que la sujétion à un collectif tyrannique, peu importe la forme que prend la coercition (pression sociale, politique, religieuse, militaire…) est un soulagement pour la plupart des gens, peut-être même pour tous (au moins partiellement). Je m’explique : avoir la responsabilité pleine et entière de son destin individuel est un fardeau écrasant, et savoir comment se positionner dans une trajectoire sociétale complexe en est un autre. Rajoutons la soif de participer à quelque chose de plus grand que soi pour se préserver du vertige existentiel et de la cuisante réalisation de sa propre insignifiance à l’échelle cosmique, et vous avez là de quoi briser n’importe qui. 

Maintenant imaginez une humanité rétrogradée au rang de tribu désordonnée, où chacun doit justifier à titre personnel de son utilité au groupe. La seule façon d’y survivre, sauf à disposer d’exceptionnelles ressources, c’est de placer des lois entre soi et le chaos. Des lois qui, de préférence, ne font pas peser sur vous l’avenir de l’humanité ni le vôtre en particulier.  

L’idée que l’humanité tende intuitivement vers des modèles sectaires, mystiques et autoritaires n’est ni nouvelle ni originale, je te l’accorde. En revanche, je m’évertue à écrire des personnages réflexifs qui vont assumer leurs tendances auprès du lecteur, les lui jeter en pâture. Ils ne font pas mystère des tropes qui les animent.


Ce roman, en plus d'être barré et drôle, est précieux car il présente une vision nuancée et complexe des faits et des gens. D'où te vient ce sens de la mesure, des paradoxes et de la complexité humaine, tellement rare dans une littérature française qui met un point d'honneur à être manichéenne ?


Déjà, merci pour le compliment qui rachète un peu l’empreinte karmique de ce mois de décembre. Je vais te faire une réponse très ennuyeuse, mais j’imagine que je dois cette approche à mes auteurs et réalisateurs favoris. Enfant, on me faisait la lecture avec Tove Jansson, qui n’écrit que des personnages dépourvus d’intention et de morale. On dirait des livres mignons, mais en réalité, c’est l’apprentissage de l’angoisse existentielle. Et puis il y a eu des classiques comme Sa Majesté des mouches, Le ventre de Paris, Belle du seigneur…

Le naturel n’existe pas dans ces romans. Tout comportement est examiné dans ses détails moléculaires. Les mouvements de la pensée sont interceptés au vol, décryptés, moqués, mais compris. C’est ça, la vraie tendresse. Or, quand j’écris mes personnages, je veux leur accorder le crédit qu’ils méritent. Je ne veux pas leur faire de procès d’intention, je ne veux pas les piéger dans une cage archétypique depuis laquelle ils ne pourront pas se défendre. Je ne veux pas non plus les valider. J’ai la conscience péniblement aiguë de mes défauts, et quand j’écris un personnage, peu importe son degré de violence ou de mesquinerie, je n’arrive pas à me sentir moralement supérieure. Au contraire, je ressens une familiarité vaguement honteuse, démoralisante mais aussi inspirante.


J'ai trouvé gonflé et valeureux que, dans un monde où chacun est gagné par la peur de sa propre ombre, tu n'hésites pas à aller « trop loin » avec notamment le personnage du capitaine, ses pratiques et ses goûts, ou le sort des obèses. Qu'est ce que ce courage – ou cette détermination – nous dit de toi ?


Que je papillonne avec aisance en société ? 

Plus sérieusement, merci pour ce nouveau compliment, mais je ne crois pas le mériter. J’écris des personnages imparfaits et je fais confiance au lecteur pour se débrouiller avec leurs lacunes, leurs tactiques manipulatoires, leurs erreurs sincères et leurs vices. J’ai envie que mes personnages se déploient dans toute leur ambivalence. Cela veut dire qu’ils ne seront pas toujours honnêtes. La plupart du temps, ils ne seront pas admirables. La particularité des Flibs, c’est que je ne signale pas au lecteur quand il est en train de lire une connerie. Mais je n’ai pas non plus essayé de les faire passer pour des perles de sagesse. Quand Jonathan raconte la diaspora juive à Ismaël, le lecteur a toutes les clés pour deviner qu’il tire son histoire d’une source douteuse. La différence entre mes personnages et le lecteur, c’est que ce dernier a les moyens de vérifier ses informations.


Nouveau genre pour toi par rapport à Qu'allons-nous faire de ces jours qui s'annoncent ? Comment se passe la relation de travail entre un auteur et son éditeur dans ce genre de situation d'initiation ?


Eh bien, j’ai carrément changé d’éditeur, c’est dire à quel point les genres sont traditionnellement cloisonnés. Mon éditrice de blanche, Véronique Ovaldé, a lu le manuscrit et l’a fait passer à Gilles. La question de savoir dans quelle collection seraient publiés les Flibs a fait débat en interne. Les marchés de l’imaginaire et de la littérature dite blanche sont étanches et ont tendance à se toiser. On ne savait pas trop par quel bout aborder mon roman. Apparemment, il y a peu de transfuges de genre. Véronique s’est montrée curieuse et bienveillante, mais il est arrivé qu’on me fasse ressentir un genre de déclassement en passant côté SF. Un lecteur m’a demandé si j’avais prévu de me remettre à la véritable littérature, maintenant que je m’étais un peu amusée. J’aurais dû lui répondre qu’aucune dose de fun ne pouvait compenser la tannée que représente mon prochain roman de blanche.


Enfin, comment Les Flibustiers de la mer chimique s'inscrit-il dans ton œuvre, après un premier texte réaliste ? Et sais-tu déjà vers quoi tu pencheras la prochaine fois ?


J’ai été perçue comme une autrice engagée parce que j’écris sur des thèmes qui font l’objet de réflexions et d’actions militantes. Je trouve qu’il s’agit d’une étiquette usurpée. Je n’ai ni l’érudition ni l’ambition sociale d’une militante. Cela ne signifie pas que rien ne me tient à cœur, mais mes livres n’ont pas vocation à convaincre, démontrer ou influencer. Ils peuvent le faire, incidemment ou accessoirement, mais ce n’est pas ce qui les anime. Cette pseudo-neutralité a ses limites, bien sûr : je passe mon temps à me trahir en écrivant. 

On a par exemple confondu mon intérêt pour l’écologie en tant que matière narrative avec un positionnement politique. Cela changera peut-être, mais pour le moment, je considère que mes opinions ne regardent que moi (et franchement, elles n’ont rien de la profondeur qui les rendrait indispensables). En revanche, ce qui me passionne dans la question climatique, c’est la relation de l’humain à son environnement naturel. Chez certains, le divorce est tout à fait consommé et ça me fascine. Chez d’autres, la fragilisation des écosystèmes est une fracture du soi qui se creuse de jour en jour. Dans Qu’allons-nous faire de ces jours qui s’annoncent ?, j’avais un personnage de militaire qui se concevait de manière très fusionnelle avec la montagne. Et dans les Flibustiers, la pauvre Judith a pris de plein fouet la responsabilité de l’humanité dans la dégradation des écosystèmes, et elle en est tombée malade de chagrin. S’il y a bien quelque chose que je veux raconter, c’est les stratégies compensatoires de l’humain face à ce qui le bouleverse et menace de l’anéantir. Qu’il s’agisse d’anéantissement physique ou émotionnel, concret ou métaphorique, c’est ça que je veux raconter. Si l’on s’en tient à ça, au risque de paraître de mauvaise foi, je ne considère pas les Flibs comme un texte irréaliste. Je vous recommande d’écarter les pieuvres héroïnomanes pour digérer cette affirmation.

Un nouveau personnage devrait bientôt rejoindre les rangs, pour reboucler sur ta question. J’écris un roman de blanche assez désespérant, dans lequel on entendra parler d’anxiété climatique. 


Et pour finir, le plus important : reviendras-tu un jour dans le monde des Flibustiers ?  ;)


Un second tome est effectivement dans les tuyaux. Le roman est conçu pour se suffire à lui-même, mais j’ai laissé un certain nombre de portes ouvertes en prévision d’une suite. 
Il faut d’abord que je finisse l’horrible roman dont je vous parlais tout à l’heure, et, s’il me reste encore des choses à raconter et une quantité minimale d’amour-propre, je m’attaquerai à ce deuxième tome !


Un énorme merci à toi - encore - et au plaisir de te relire prochainement.

Commentaires

Gilles Dumay a dit…
Si on permet à l'éditeur de se défendre : il n'existe aucune trace écrite ou audiovisuelle où je qualifierais les ventes des Flibustiers de la mer chimique de "nulles". D'un point de vue mathématiques, elles ne sont pas nulles, car elles ne sont pas égales à zéro.
Plus sérieusement, 1/ je connais bien des auteurs qui aimeraient avoir de telles ventes en ce moment 2/ commenter les ventes d'un livre d'imaginaire trois mois après sa sortie, ça n'a pas grand sens de mon point de vue. Le livre vit sa vie, lentement mais sûrement : il y a du réassort toutes les semaines, et il a même été le meilleur réassort du mois décembre de tout le département imaginaire. Le marathon ne fait que commencer.
C'est un roman qui s'installe, dont on parle beaucoup, nous allons le défendre chez Albin Michel pendant encore des années.
Voilà, après le contexte général est difficile, on ne peut le nier.
Gromovar a dit…
Merci pour ces précisions.
Et je suis tout à fait convaincu qu'il va vivre sa vie, longue, d'autant plus si itw et articles continuent de le rendre visible.
Alexander Dickow a dit…
Merci Gromovar (et à l’autrice bien sûr), ça donne envie.
Gromovar a dit…
Tu peux y aller sans crainte.