L'Ombre sur Innsmouth - Lovecraft illustré par Baranger

Comme deux fois déjà , je signale la sortie d'une adaptation de Lovecraft par François Baranger. Il s'agit cette fois de The Shadow over Innsmouth , ici traduit littéralement L'Ombre sur Innsmouth au lieu du plus traditionnel Le Cauchemar d'Innsmouth . Comme pour les deux adaptations précédentes, je ne vais pas chroniquer un texte connu et maintes fois résumé, analysé, décortiqué. Je te renvoie donc pour l'histoire, lecteur, à la fiche Wikipedia de la nouvelle, fort bien faite si ce n'est qu'à l'instant où j'écris ces mots la version de Baranger ne s'y trouve pas encore. Tu prendras plaisir, j'en suis sûr, à lire la belle préface de Sandy Petersen, notre maitre à tous, à parcourir les rues de la très décatie Innsmouth dans les pas de Robert Olmstead, à pénétrer dans la délabrée Pension Gilman, à contempler la façade du bâtiment abritant L'Ordre ésotérique de Dagon , à côtoyer des Marsh, trop de Marsh. Le "masque d'Innsmouth...

Ymir - Rich Larson


Futur, loin d'ici.

La « Compagnie » est une mégafirme multiplanétaire – comme il y en a aujourd'hui de multinationales. Elle exploite les minerais sur les mondes frontières tels que Baldr ou encore Ymir (deux noms tirés de la mythologie nordique). Elle y emploie, dans des conditions inhumaines, des employés indenturés auxquels elle a – à un moment ou l'autre – imposé la Soumission. Elle est détestée pour cela mais, comme elle réprime les révoltes dans le sang et use de méthodes punitives particulièrement cruelles, elle est surtout crainte et, in fine, obéie.

Problème stratégique pour elle : de l'exhorte de Machiavel à « se faire craindre plutôt qu'aimer », la Compagnie a oublié la suite qui avertit le Prince : « Cependant le prince qui veut se faire craindre doit, s’y prendre de telle manière que, s’il ne gagne point l’affection, il ne s’attire pas non plus la haine ». La Compagnie est haïe, et elle a sans cesse besoin de troupes pour assurer obéissance et discipline dans des mondes frontières qui ressemblent à des terres de western. « Res dura et regni novitas me talia cogunt moliri, et late fines custode tueri ».


Aux menaces constantes de révolte s'ajoute sur les mondes frontières la présence aléatoire de grendels, monstres biomécaniques laissés par une race d'Anciens disparue qui construisit aussi les Ansibles utilisés pour la « téléportation de matière hors planète ». Pour abattre les monstres, la Compagnie utilisent des tueurs spécialisés. Yorick est l'un d'eux et, entre deux missions, il est envoyé en chasse sur Ymir pour traquer le croquemitaine qui vient d'y apparaître et de tuer quelques mineurs avant de se terrer quelque part au fond d'une des mines.

La traque au grendel est une activité à haut risque ; elle est plus déplaisante sur une planète comme Ymir, gelée, sombre, à la population rebelle et à la surface rapidement mortelle. Elle l'est encore plus pour Yorick, dont c'est la planète natale, un monde qu'il quitta après s'être engagé au service de la Compagnie.

Fils d'un outremondain (sans doute) et d'une mère autochtone dure et violente, frère d'un cadet sensible et fragile qu'il tente de protéger, Yorick, que les locaux méprisaient pour son origine mêlée, l'est encore plus depuis qu'il a basculé chez l'ennemi, il y a vingt ans déjà. Son retour ne sera donc pas source de réjouissances. Sur Ymir ne l'attendent que de mauvais souvenirs, celui d'une mère morte et d'un père absent, celui d'un frère trahi ou qui a trahi, celui d'une guerre de Soumission qui fut dure et inhumaine et durant laquelle Yorick commit des actes qui rendaient son maintien sur Ymir littéralement impossible. Ne se trouve pour lui sur Ymir qu'une vive hostilité qui pourrait virer rapidement à l'agression ouverte.


Mais le sang chante pour le sang. Aussi dépité qu'il soit d'être revenu sur Ymir, Yorick se prend à espérer retrouver le frère qui y est resté. A espérer comprendre ce qui les a séparés. A espérer sans doute une réconciliation ou, au moins, une explication. Et il est prêt à prendre de grands risques pour cela.


Situé dans l'univers SF particulier de Rich Larson, Ymir est un foisonnement d'idées techniques et politiques. Si les mégacorps et les travailleurs indenturés ne sont pas inédits en SF, les technologies déployées par Larson dans Ymir sont un beau condensé du type d'Imaginaire qu'il crée depuis un moment maintenant. Entre cyberpunk, SF, western, et fantasy dévoyée (la meilleure), Ymir pullule de réseaux, d'IAs with agency, d'augmentations corporelles et d'armes intelligentes. On y trouve aussi les damnés de la glaise que sont, partout sur Terre et ailleurs, les mineurs (la chair à canon du développement industriel) qui au prix de leur santé et de leur sécurité extraient les minerais dont la civilisation a besoin.


Cyber et punk (violemment violent) par tous ses pores, Ymir est SF par le lieu de son action, les voyages interplanétaires en stase et l'absence sinistre des Anciens. C'est aussi un western avec saloon, moonshine et combat de rues dans lequel deux frères se retrouvent et s’entre-déchirent, et dans lequel aussi les Pinkertons du moment sont envoyés pour discipliner une population frondeuse de pionniers à mettre sous le joug. C'est enfin une adaptation libre de Beowulf – bras coupé compris (Wikipedia est ton ami, lecteur).


Son personnage principal, Yorick, anti-héros défiguré et surpuissant, est un personnage tragique autodestructeur en quête de pardon et d'une loyauté qui ne lui ferait pas honte. Il forme avec son frère et avec Ymir même une entité pathologique qui doit trouver sa résolution dans le roman au prix de grandes violences. Ymir est donc autant un roman d'action sous nitro que la description du cheminement intérieur de Yorick, de l'inconnaissance vers la connaissance, de l'illusion vers la vérité.


Après toute ces qualités, il importe de dire ce qui, à mon sens, est moins réussi.

Au milieu du roman, mission accomplie, Yorick comprend une chose et change alors radicalement son fusil d'épaule. C’est alors pratiquement une deuxième histoire qui commence. L'épiphanie qui fait en un instant du collabo un résistant m'a paru bien trop rapide et bien trop ad hoc. De ce fait, la deuxième partie – dont je trouve qu'elle use en plus d'un Deus ex Machina facile pour que les objectifs des héros soient atteints – fut lue dans un état de non suspension d'incrédulité qui m'a laissé à l'extérieur du déroulement d'événements auxquels je n'adhérais plus guère.


Ymir est donc un roman qui offre un univers de qualité et un personnage qui ne l'est pas moins (du moins dans la première partie). Je pense qu'il vaut la peine d'être lu pour connaître le Larson romancier, lui qui écrit d'habitude des nouvelles. Je crois néanmoins qu'à ce jour les nouvelles sont son genre.

PS : Notons que j'ai particulièrement apprécié la traduction inspirée de Pierre-Paul Durastanti.


Ymir, Rich Larson

L'avis de Feyd Rautha

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