"The Empire of Gold". Dernier tome de la trilogie, non encore traduit, on peut imaginer que De Saxus s'en chargera comme pour les deux premiers.
A Daevabad, la cocotte-minute a fini par exploser. Attaquée par surprise, la ville est tombée. Prise, elle s'effondre lentement sur elle-même, alors que celle qui l'a conquise s'enfonce de plus en plus vite dans une meurtrière folie vengeresse qui ne connaît aucun limite.
La Libération a viré à la Terreur. Les morts se comptent par milliers. Les exilés et les réfugiés aussi, éparpillés dans le monde entier loin de la cité mythique.
Pour les plus illustres d'entre eux il est temps de faire face à leur destin, et de payer de leurs désirs et d'une partie de leur intégrité la nécessité impérieuse de mettre fin à la dérive dictatoriale de celle qui prétendait « libérer » au moins les membres de sa tribu et qui, pour les gouverner, les asservit et les assassine au même titre que tous les autres, n'hésite pas à s'associer aux ennemis millénaires ifrits et à violer toutes les règles les plus sacrées du monde des djinns, massacre autant « son » peuple que « sa » ville dont la magie ne tient plus qu'à un fil.
D'une confrontation victorieuse, de l'indispensable chute de la conquérante, naîtra peut-être une nouvelle Daevabad, plus juste et plus démocratique.
Je ne raconte pas, donc :
"The Empire of Gold" a les qualités de ses deux prédécesseurs. Action, aventure, rebondissements, magie, grand spectacle. Mais :
Différence 1 : le niveau a très clairement augmenté et les joueurs du jeu des trônes utilisent maintenant des puissances magiques colossales.
Différence 2 : aux longues descriptions des deux premiers tomes qui racontaient un monde féerique en succèdent ici d'autres qui décrivent un enfer en voie de décomposition avancée.
Différence 3 : exil oblige, on sort de Daevabad, on côtoie, on prend langue et on cherche alliance avec d'autres tribus et d'autres peuples magiques, chacun dotés de leurs propres intérêts et agendas. Les dirigeants en fuite de Daevabad, qui présidaient plus ou moins directement aux destinées de la cité, découvrent qu'ils ne sont parfois plus que des fuyards, des pions dans les jeux des autres.
Tous les personnages principaux doivent ici plus qu'auparavant faire face aux mensonges, aux vieux secrets de famille ou d'Etat, à l'Histoire falsifiée, aux alliances improbables ou au contraire impossibles. Un embrouillamini historique et personnel tel que la guerre pourrait durer mille ans.
Alors, ceux qu'on peut appeler les héros du cycle devront passer par-dessus les contradictions et résoudre (parfois douloureusement) les conflits de loyauté et de sentiments pour tenter de faire – à un prix très élevé – ce qui est juste pour le plus grand nombre. Ils devront aller quand nécessaire contre leur famille, leur tribu, leurs amitiés, leurs amours – et, mais c'était sous-entendu, leur sécurité propre.
Quant à celui qui est le maudit du cycle, celui qui fut esclave pendant des siècles avant de servir librement et par foi aveugle une mauvaise cause, il synthétise dans son corps surpuissant souillé et ravagé les contradictions de tous les autres et les errements d'une maîtresse convaincue qu'une vengeance aveugle et sans limite pourra seule laver le tort fait aux siens dans le passé.
C'est clairement le plus beau personnage de la galerie intéressante et travaillée que Chakraborty a créé pour peupler son récit.
Il est passionnant de voir à quel point l'autrice est capable/désireuse de décrire la complexité des situations (même celles de domination), la richesse interne de tout individu (dont aucun n'est tout blanc ou tout noir et dont chacun a, au moins dans sa logique propre, de bonnes raisons d'agir), la folie du ressentiment libéré qui ne peut mener qu'au meurtre de masse et à la destruction (les Cambodgiens et tant d'autres peuples « libérés » en savent quelque chose), la folie de la foi aveugle qui fait perdre toute rationalité (tant d'exemples qu'on ne saurait choisir), la nécessité du sacrifice pour le bien commun (car le héros devient sacré en s'offrant corps et âme aux nécessités contingentes de sa cause).
"The Empire of Gold" est la fin grandiose d'un cycle qui fut un grand plaisir de lecture. Un cadre enchanteur, une histoire complexe aux racines profondes, des personnages riches et déchirés, S.A. Chakraborty a clairement écrit une bien belle série de romans.
Si on doit énoncer un léger regret, on dira que si la relation condamnée d'amour/effroi entre Dara et Nahri est finement traitée, celle d'amour timide et sursautant entre Ali et Nahri fait vraiment très adolescente. On préférera donc les déchirements tragiques de Dara et Nahri aux émois énamourés d'émo suicidaire qui caractérisent la relation entre Ali et Nahri. Heureusement cela ne concerne que quelques pages, sinon ce serait insupportable.
The Empire of Gold, Daevabad 3, S.A. Chakraborty
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