"Nod Away" – tome 1 sur 7 dont 5 à paraître !!! - est un comic de Joshua W. Cotter, un pavé de 240 pages densément remplies.
Futur proche. L'énorme station spatiale U.S.S. Integrity est en orbite autour de la Terre. On y travaille, entre autres, à la création d'un trou de ver stabilisé destiné à exfiltrer un jour l'humanité d'un planète qu'elle a consciencieusement ruinée. On y travaille aussi à la mise en conformité éthique du réseau social Innernet, une liaison psy révolutionnaire accessible à 60 % de la population mondiale (les 40% restants n'étant pas compatibles). C'est pour se consacrer à cette tâche que la docteur Melody McCabe vient pour la première fois dans l'espace.
L'Innernet en effet, le « merveilleux » système de liaison point à point entre cerveaux humains qui permet à chacun d'accéder au savoir à court ou long terme de tous les autres, est entaché d'un péché originel récemment rendu public : il est implémenté dans le cerveau d'une véritable enfant (qui par ailleurs ne s'en porte pas plus mal). Scandale public, menaces, terrorisme religieux, et finalement la promesse de remplacer le cerveau humain qui fait fonctionner l'Innernet par une IA qui en serait le clone. Melody McCabe a pour mission de calibrer cette IA.
En 240 pages noir et blanc riches en texte, "Nod Away" propose au lecteur de suivre deux fils.
L'un, minoritaire et encore très cryptique, représente – on peut le penser – le développement d'une forme de conscience dans l'Innernet (ou de l'Innernet ou accessible à l'Innernet). Pour le moment, pas beaucoup plus à faire que de lire et noter en attendant qu'il s’éclaircisse.
L'autre, plus classique, documente les mois passés par Melany dans la station. Les mois, dont chaque jour compte. Car c'est la vie de Melany qui y est décrite en détails et au ras du sol. Son voyage en navette jusqu'à la station en compagnie d'une très bavarde voisine de siège, son accueil compliqué par une réceptionniste peu serviable, sa prise en main par Lance, l'assistant de laboratoire qui débloque la situation, ses premiers contacts avec ses futurs collègues de travail.
Et puis la routine, la lassitude même, une fois passée l'excitation du début.
Et puis aussi, un garçon très collant mais jamais agressif, une histoire romantique entre collègues qui se développe lentement, un ex resté sur Terre pour ce qui se présente comme une « pause », une chef de service hautaine, un gros con astronaute, et Le génie scientifique misanthrope, j'ai nommé le docteur Serious.
Qui, à mi-chemin de l'album (soit 140 pages), est au centre d'une catastrophe scientifique qui lance le récit dans une direction aussi noire qu'effrayante (tu regardes dans l'abime, toussa...).
"Nod Away" est un comic marqué par l'étrangeté. Si le monde décrit n'est pas si éloigné du nôtre, on sent dès l'abord que quelque chose ne va pas.
Et, paradoxalement, c'est le caractère banal de toute la première moitié qui signale, comme en creux, que tout est trop calme et quelque chose va arriver. Car les lignes de tension ne manquent pas, entre un projet visiblement rushé, l'urgence d'une fuite humaine loin de la Terre, le sentiment de malaise qu'on éprouve tant à savoir que l'Innernet passe par le cerveau d'une enfant qu'à voir ses utilisateurs se déconnecter volontairement de leur entourage du moment pour suivre des résultats sportifs ou avoir une conversation à distance (le smartphone en bien pire). Le tout est banal, quotidien, prosaïque, un show don't tell qui fait pénétrer le lecteur dans un monde à venir sans en avoir l'air – sauf au tout début où l'interview en talk show de l'inventeur de l'Innernet explique le réseau tout en pointant la vacuité consternante des talk shows.
Banal, quotidien, prosaïque, mais néanmoins captivant. Car première moitié comme seconde, l'attention aux détails, le rythme de la narration, le nombre des personnages secondaires avec lesquels Melody McNabe a une vraie interaction sans oublier l'expressivité des visages et des corps font qu'on se passionne pour ce lieu, ce moment, cette vie, cette héroïne. Il y a un peu de Derf Backderf dans ce mode de narration qui rend le trivial passionnant – jusqu'à ce qu'ici la trivialité cesse radicalement.
Le dessin à l'encre sans fioriture exprime tant les sentiments que les interactions entre personnages. Il donne au lecteur l’impression d'y être, au cœur d'une situation normale – qui, certes, finit par dégénérer – à laquelle il pourrait presque s'identifier.
"Nod Away" est un très bon album lu d'une traite. Plus qu'à commander le tome 2 pour en savoir plus – tout en sachant que le coup des 7 tomes GRRM l'a déjà fait.
Nod Away, Joshua W. Cotter
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