The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Beautiful Star - Yukio Mishima


1962. La Guerre froide bat son plein, la course aux armements nucléaires aussi. Alors qu'Américains et Soviétiques se dotent de bombes H en grand nombre (l'URSS vient d'ailleurs de tester la Tsar Bomba, engin le plus puissant jamais construit), les autres puissances nucléaires commencent à les rejoindre. La crise des missiles de Cuba vient de se produire, elle a mis le monde à une décision héroïque du premier (et sans doute dernier) conflit global. Et, même hors confrontation directe, les essais atmosphériques pas encore interdits épicent l'atmosphère terrestre d'isotopes radioactifs. Y compris l'atmosphère du Japon, le pays d'Hiroshima et Nagasaki, accessoirement patrie de Yukio Mishima.

C'est donc en 1962 que le grand auteur japonais publie "Beautiful Star", un roman étrange hanté par l'ambiance délétère du moment, un roman qu'il considérait comme son chef d’œuvre, un roman encore jamais traduit en anglais (et toujours pas en français). C'est maintenant chose faite, chez Penguin Classics.


1962, Hanno, Japon. La famille Osugi est constituée d'extraterrestres à formes humaines. Juichiro, le père, vient de Mars. Iyoko, la mère, de Jupiter. Akiko, la fille, de Vénus et Kazuo, le fils, de Mercure. (!!!)

Vrai ou faux ? Les quatre protagonistes qui ouvrent le roman en sont en tout cas convaincus. Chacun est persuadé, à la suite de Juichiro, d'avoir vu une soucoupe volante (dont c'est la grande époque) qui lui a prouvé sans erreur possible son ascendance extra-terrestre. Quand le roman commence, la famille est en chemin pour assister enfin ensemble au passage d'un engin alien. Catastrophe, l'engin ne passe pas en dépit des « assurances » que Juichiro pensait avoir. Si l'échec installe quelques doutes entre membres de la famille, aucun ne perd la conviction qu'il est d'origine non terrestre. Ni celle qu'il faut sauver un monde au bord de l'anéantissement nucléaire, en écrivant même à Kroutchev si nécessaire, ou en militant au sein d'une organisation ufologique pacifiste : l'Universal Friendship Association, dont Juichiro est l'âme.


Non loin de là physiquement (mais assez loin dans le texte) vit un autre groupe d'hommes convaincus de venir, eux, d'au-delà du système solaire. Eux voient ensemble des soucoupes. Eux, négatifs, agressifs, dominateurs au moins en pensée, considèrent que l'humanité est un tel échec que la seule priorité décente est d'accélérer sa disparition définitive. Eux cherchent à œuvrer en ce sens, jusqu'à une confrontation qui se solde par une victoire morale de Juichiro à un prix très élevé pour lui.


Seul point commun entre les deux camps : la certitude d'être étranger, et le sentiment de supériorité qui va avec une origine de meilleur aloi. La supériorité d'un guide pour les uns et celle d'un bourreau pour les autres.


"Beautiful Star" est un roman SF très étrange qu'on peut lire presque comme un texte de blanche, d'autant que les preuves effectives de l’origine extra-terrestre des protagonistes sont minces et prêtent à interprétations divergentes (Akiko l'apprend à ses dépens).

C'est en revanche un roman parfaitement inscrit dans son temps et ses peurs, ainsi qu'un vrai roman de Mishima.


Au fil des pérégrinations de ses protagonistes puis d'une longue discussion quasi philosophique, Mishima explore les forces et faiblesses de l'humanité en les plaçant sous la loupe de regards qui se pensent « extérieurs ». Et, là où les humains s'aveuglent, le risque de destruction saute aux yeux de personnes que leur « origine » protège des intérêts, inimitiés et prismes d'analyse humains. Devant ce risque donc plus élevé que jamais, Mishima met face à face l'optimisme fondamentalement bon de Juichiro et le nihilisme destructeur d'Haguro, le maître à penser de la faction adverse. Optimisme bienveillant et nihilisme destructeur, comme les deux aspects conjoints d'une réalité humaine qu'on peut choisir d'aimer ou de haïr suivant le regard qu'on porte sur elle. Comme les choix qu'on peut faire entre s'engager pour la paix et la sécurité ou poursuivre une course mortelle qui ne peut que mal finir.


Surtout, par-delà les craintes et thèmes du moment, "Beautiful Star" est un vrai roman de Mishima.


Situé dans une petite ville encore très traditionnelle, le texte documente le Japon des années 60, « occupé » par l'armée américaine, « habité » par la terreur communiste, encore largement bigot et sexiste. Dans le Japon du roman il ne fait pas bon être une femme, encore moins une jeune fille qui ne satisfait pas aux conventions sociales.


L'ordre social perçu est strict, rigide, apparemment inébranlable. Il impose son joug à des individus qui n'existent presque pas dans le monde holistique de la société traditionnelle japonaise. Ainsi, comme dans ses autres romans, Mishima propose ici une littérature de la contention qui décrit des individus corsetés dans le filet des règles formelles et informelles. Une littérature de lenteur, de sentiments, et d’interprétations, dans laquelle un geste ou un mot sont aussi importants par ce qu'ils sont que par ce qu'ils suggèrent (rappelant par exemple son roman Une soif d'amour).


Des normes et une contention qui forcent les individus à se dissimuler derrière des masques, comme les extra-terrestres du roman qui répètent sans cesse qu'ils doivent paraître humains et agir comme tels, comme l'imposteur qui dit avoir eu sa révélation alors qu'il portait un masque, comme Mishima lui-même se décrit sans le dire dans le très beau Confession d'un masque.


Loin de la société qui oblige à se cacher, existent deux trésors réservés à de rares privilégiés : la beauté (en tant qu'absolu qui s'incarne parfois dans réel) et la pureté personnelle (avec le sentiment de supériorité qui l'accompagne). Les chercher est une obligation, les trouver un accomplissement. Ces deux quêtes sont des obsessions permanentes des personnages, d'Akiko notamment, comme c'est le cas de tant des personnages de l'auteur japonais, le Mizoguchi du Pavillon d'Or en étant peut-être le plus bel exemple pour ce qui est de la beauté et le Honda de Chevaux échappés pour ce qui est de la pureté. Ici, habités aussi par ces obsessions, les personnages font par ailleurs preuve d'une vraie innocence qui est la manifestation visible de leur pureté de cœur (c'est vrai pour tous les membres de la famille Osugi, même Kazuo, le fils, parfois séduit par les tropes de la virilité, démontre sa naïveté dans le texte).


Enfin, face à un peuple qui n'existe pas en tant qu'acteur dans la culture japonaise traditionnelle et à des masses auxquelles Haguro ne croit pas pour faire advenir la guerre, seule l'action héroïque, poétique, peut entraîner un basculement vers cette guerre finale qu'il appelle de ses vœux. Difficile de ne pas faire un parallèle avec la mort de Mishima lui-même, à l'issue d'une tentative désespérée et, disons-le, un peu ridicule d'en appeler aux masses conscrites à l'issue d'une forme étrangement puérile de coup d'Etat.


"Beautiful Star" est donc un roman indispensable pour complétiste de Mishima (Exemple : votre serviteur). Il n'est en revanche pas le plus abordable pour découvrir l’œuvre. Ce n'est pas non plus un roman de gare. Choisis ton camp, camarade !


Beautiful Star, Yukio Mishima

Commentaires

Roffi a dit…
J’ai déjà lu et apprécié Mishima,un romancier troublant.
Chouette s’il est traduit en français, ça a l’air bien.
J’avais lu aussi une bio Ma mort est mon chef d’œuvre de Li-an.
Gromovar a dit…
Espérons-le.
Et oui, Ma mort est mon chef d'œuvre est excellent : https://www.quoideneufsurmapile.com/2019/10/mishima-ma-mort-est-mon-chef-doeuvre.html
Roffi a dit…
Merci pour le lien.
Je lirai la chronique.