Ressortie aujourd'hui dans la toujours pertinente collection Dyschroniques du
"Destination fin du monde" de Robert Silverberg qui n'était plus disponible en
français depuis longtemps.
Rappelons que la maison d’édition indépendante Le passager clandestin est
une toute petite maison radicale, engagée et militante contre une certaine
forme insatisfaisante du monde. Au milieu des non fictions, on y trouve la
collection Dyschroniques qui remet à l’honneur des textes anciens de grands
noms de la SF. Nouvelles ou novellas posant en leur temps les questions environnementales,
politiques, sociales, ou économiques, ces textes livrent la perception du
monde qu’avaient ces auteurs d’un temps aujourd’hui révolu. On notera que chaque ouvrage à fait l’objet d’un joli travail d’édition,
chaque texte étant suivi d’une biographie/bibliographie de l’auteur, d’un
bref historique des parutions VO/VF, d’éléments de contexte, ainsi que de
suggestions de lectures ou visionnages connexes. Une bien jolie collection
donc.
En 1966 est publiée dans le magazine New Worlds une nouvelle de Roger Zelazny,
For a Breath I Tarry. Moorcok dirigeait alors la revue et Zelazny
faisait partie, comme lui, du mouvement de renouveau Imaginaire qu'on appelait alors New Wave. Nommée Nébula et finaliste Hugo, le nouvelle a été republiée
un grand nombre de fois. Elle arriva en France dans le
Livre d'or de la science-fiction consacré à Zelazny en 1983, dans une
traduction de Jean Bailhache, sous le titre "Le temps d'un souffle, je m'attarde". Elle n'avait pas été republiée depuis. Elle l'est aujourd'hui dans sa
trad. d'origine révisée par Dominique Bellec.
Futur indéterminé. Lointain. L'humanité a disparu. Éteinte. Deux «
super-cerveaux » cybernétiques, Solcom et Divcom, ont été chargés de « reconstruire la Terre » par l'Homme,
juste avant son extinction définitive il y a des éons. Quand les deux viennent à s'opposer sur des questions de préséance, Solcom
propose d'encourager la récente passion pour l'Homme d'une de ses plus puissantes machines, Gel, afin de déterminer qui de lui ou de Divcom
devrait « gouverner » le monde.
Gel donc. Qui parcourra la Terre, en compagnie d'un robot nommé Mordel, pour apprendre tout ce qui est possible sur l'Homme défunt et tenter de
devenir humain lui-même. Une tâche assurément herculéenne.
Gel qui apprendra la langue de l'Homme, sa science, son art. Qui découvrira
avec un grand dépit qu’être un humain ce n'est pas analyser, accumuler,
comprendre. Qu'être un humain c'est avoir des sensations, c'est ressentir,
c'est éprouver, c'est expérimenter des émotions de joie, de peur, de fierté,
entre autres, qui ne sont le produit d'aucun algorithme. Qu'être humain impose
inévitablement d'avoir un corps humain, des perceptions humaines, un système
nerveux humain. Que c'est donc parfaitement impossible à une créature
cybernétique comme lui qui ne sait que mesurer et analyser.
Gel alors, toujours décidé, qui va se changer en son propre demiurge. En son
propre Docteur Frankenstein. Qui, comme ce dernier, va récréer la vie humaine.
Mais qui va aller plus loin et se transférer lui-même dans un corps humain,
seul moyen d'être enfin vraiment humain.
Gel, tel un ruban de Moebius, sera
donc le créateur et la créature, le docteur et le monstre, seul moyen sans
doute d'accomplir son rêve d'humanité.
Ecrit alors que faisaient rage les questions autour de la cybernétique et de
l'intelligence artificielle, "Le temps d'un souffle, je m'attarde" semble
prendre partie pour le philosophe Hubert Dreyfus contre les optimistes de la
Singularité.
Une conscience artificielle est-elle possible ou l’expérience humaine est-elle
incommensurable à toute autre ? Aujourd'hui où nous semblons être entourés
d'intelligences artificielles qui n'ont d'IA que le nom et le buzz marketing,
la question n'est pas tranchée. Peut-être que la réponse de Zelazny – Il faut
être humain pour l'être – est le seule qui vaille ; une question que ne se
posent pas les machines qui survivent à l'Homme dans la nouvelle Circuits de
Rich Larson.
Le temps d'un souffle, je m'attarde, Roger Zelazny
L'avis de Mondes de poche
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