The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

The Violent Century - Lavie Tidhar


"The Violent Century" est une uchronie de Lavie Tidhar qui propose une version alternative de ce XXe siècle meurtrier qu'Eric Hobsbawm avait qualifié d'Age des Extrêmes. Une uchronie dans laquelle une expérience quantique incontrôlée a déclenché la Vomacht wave (du nom de son initiateur malheureux), une « vague de probabilité » qui changea pour toujours un certain nombre des humains vivant sur Terre en plus que cela, en super-héros, en Beyond-Men, en Übermenschen. C'était en 1932. Quatre ans plus tard, en 1936, Henry Fogg est contacté à Oxford par le Vieil Homme qui lui propose de rejoindre une équipe spéciale de « changés » destinés à servir leur pays face à la guerre qui vient. Fogg et les autres changés britanniques traverseront presque un siècle de conflits, d'un bout du monde à l'autre, sans jamais vieillir ni avoir une vraie prise sur une réalité qu'ils ne peuvent changer qu'à la marge, tant il est vrai que, comme pour les bombes nucléaires, si tout le monde en a c'est comme si personne n'en avait.


"The Violent Century" est un roman déroutant car on le lit avec passion pour son écriture très originale, sa véracité historique, uchronie mise à part, son récit et ses personnages, alors même qu'on ne sait pas, jusqu'aux toutes dernières pages, quel en est le thème principal – ou même s'il y en a vraiment un.


Dans "The Violent Century", Tidhar centre son récit autour de deux supes britanniques, Fogg et Oblivion. Fogg, qui fut un enfant discret, craintif, harcelé, génère autour de lui un épais brouillard qui facilite grandement toutes les missions d'infiltration. Oblivion, d'une origine modeste aussi qu'il dissimule derrière une allure aristocratique, peut désintégrer la matière, tant animée qu'inanimée. Les deux – et leurs semblables travaillant aussi sous les ordres du Vieil Homme – feront toute la Seconde guerre mondiale, de la Russie à la Normandie en passant par Paris, Sighisoara, Berlin ou Potsdam. Ils verront la furie, les horreurs sans nom, les villes détruites et les civils dépourvus de tout, les déportations et les meurtres de masse (du ghetto de Varsovie à Auschwitz sans oublier les exactions moins industrielles mais non moins meurtrières des Einsatzgruppen).

Ils verront en effet, car leur mission est surtout d'observer. Les vrais supes combattants sont les Américains (Tigerman et consorts, spectaculaires dans leurs uniformes multicolores), les Soviétiques (unis autour de Red Sickle et Rusalka entre autres), et les Allemands (parmi lesquels SchneeSturm ou Blutsauger). Les Britanniques, eux, observent, cachés derrière le brouillard de Fogg. Le monde avance sans eux, les nouvelles puissances sont ailleurs, les Britanniques sont admis à leur table plus par courtoisie que par respect.

Comme le note Fogg : « Americans seem to have a different way of walking, of talking. Bigger and louder than anyone else. They walk, Fogg thinks, like people who own everything they see around them. Like people who have already won the bloody war. »

Il y a dans la description lente d'une Grande-Bretagne qui s'endort doucement, une évocation des paroles du God Save the Queen des Sex Pistols : « There's no future, And England's dreaming ».


Mais "The Violent Century" n'est pas que le chant de déclin des disciples de Malcolm McLaren. Il est aussi le Lili Marleen de Marlene Dietrich, chanson d'amour triste devenue par hasard le tube de la guerre. Car le roman est parcouru par l'amour. Celui de Fogg pour l'ennemie Klara Vomacht, celui, jamais dit mais toujours perceptible, d'Oblivion pour Fogg, celui enfin des changés britanniques pour Tank, leur frère d'armes capturé et torturé par Mengele et ses sbires. La tristesse douce de la chanson de Marlène Dietrich émane de chaque page du roman et en fait le charme presque désuet. Il n'y a pas de joie à la guerre, il n'y a que des vies brisées, des amours perdues, des séparations douloureuses. Le roman est gris et brumeux, comme le voilage de brouillard dans lequel Fogg aura passé, par choix, le plus gros de sa vie.


Chanson encore avec le We'll Meet Again de Vera Lynn. Un texte traversé par la certitude/souhait que : « We'll meet again, Don't know where, Don't know when, But I know we'll meet again some sunny day ». Car le lieu que visita Fogg plusieurs fois, le lieu dont la séparation en fait un homme perpétuellement malheureux, le lieu pour lequel il n'hésita pas, un jour, à trahir, le lieu où tout commença et où tout doit finir, est ce « perfect summer’s day » dans lequel vit pour toujours Klara (nickname : Sommertag), cette fermette dans un univers de poche où le monde, la guerre, les guerres peuvent être oubliés, où la lumière est belle, la température douce, les odeurs florales, l'amour de Klara certain.

Un lieu omniprésent dont Klara est la clef : « Klara reaches for the handle, her hand engulfs the metal and she presses it down, her white hand on the silver of the metal, and she pushes the door open and a bright, an impossibly bright light bursts forth from the opening door, bright impossible sunlight and the smell of fresh hay and grass and the humming of insects and flowing water: the smell of summer. Klara laughs delightedly. Come on! she says. Sunlight transforms their corner of the street. She pushes the door fully open and goes in, pulling Henry after her. »


Ce qui fait de Fogg un homme dans un monde où l'horreur succède à l'horreur, de Leningrad à l'Afghanistan en passant par le Vietnam, est l'amour qu'il éprouve pour Klara. Car il y a tant à oublier, même pour lui : « They had come at the soldiers with knives, like berserkers. War robbed you of heroics as much as of humanity. » 

Ce qui en fait un héros est une question à laquelle ni Fogg ni le roman ne répondent. Tidahr offre juste la réponse du créateur de Superman (jamais créé dans ce monde) appelé à témoigner à Jérusalem : « I think, yes, you need to first understand what it means to be a Jew...look. Those of us who came out of that war, he says. And before that. From pogroms and persecution and to the New World. To a different kind of persecution, perhaps. But also hope. Our dreams of heroes come from that, I think. Our American heroes are the wish-fulfilment of immigrants, dazzled by the brashness and the colour of this new world, by its sheer size. We needed larger-than-life heroes, masked heroes to show us that they were the fantasy within each and every one of us. The Vomacht wave did not make them, it released them. Our shared hallucination, our faith. Our faith in heroes. This is why you see our American heroes but never their British counterpart. Ours is the rise of Empire, theirs is the decline. Ours seek the limelight, while theirs skulk in shadows. ».

Voilà pourquoi peut-être il n'y a plus non plus de supes français, à la question de Serge Lehman Tidhar propose une réponse.


Ecrivant en phrase très courtes, souvent non verbales, allant d'avant en arrière dans le temps du récit, citant pour s'amuser Spiderman ou Netrunner, faisant témoigner Stan Lee et Joe Schuster au procès de Vomacht/Eichmann, décrivant un monde dans lequel Oblivion comprend dans un rêve d'opium que des cases et des bulles ne peuvent suffire à remplir la fonction : « He feels his world shrinking, the room compresses around him, becomes two-dimensional, a frame; it traps him inside it, and he tries helplessly to flee, the square like a window squeezing him inside...He makes to move and is at once caught, suspended, in a new frame, and then again, each movement a frozen moment inside a panel. In the next his mouth...opens in a helpless cry, the words emerge from his mouth: EEEIIIGGHHH! What the—he thinks, and the thought bubbles above his head in the next frozen frame, like a cloud. Oblivion, scared, punches as a shadowy figure materialises beside him, KA-BOOM THWK! The shadow dodges, fires at him, BLAM! BLAM! Oblivion rolls, ahead of him is a light, an opening, he crawls through ever narrower frames, his body passing from one to the other, etched between cages of black ink, POW! A gunshot explodes, somebody screams, AAAARRGGHH!...No, no, until at last the frames that hold him blow open, like windows, and set him free. Hush, now, the other man says, and Oblivion settles, like a child, on the bed and closes his eyes until, at last, he sleeps. », Tidahr livre ici à l'humanité désespérément noire des Watchmen de Moore un contrepoint d'où toute  possibilité de rédemption n'est pas absente.


Les deux aspects sont intéressants. Tidhar, à l'opposé de Moore, veut croire en la force de l'amour comme antidote au mal par-delà l'escroquerie super-héroïque. Si l'on en veut une preuve, la dédicace du livre suffit : « To Elizabeth, my own perfect summer’s day ».

Un beau livre, à savourer comme une chanson douce.


The Violent Century, Lavie Tidhar

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