The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

The Body Scout - Lincoln Michel


"The Body Scout" est le premier roman de Lincoln Michel, auteur connu jusqu'alors pour des nouvelles et des éditions d'anthologies. C'est un texte cyberpunk qui lorgne fortement sur le biopunk et a pour cadre un New York à venir dans laquelle, en dépit de toutes les adversités, le baseball est toujours le sport le plus populaire.

Là, lecteur, je t'entends. Tu te dis que tu ne connais rien au baseball, que tu te fous du baseball et que tu n'as aucune envie de lire un roman dont les personnages principaux gravitent tous autour de cet univers. Je suis comme toi, hypocrite lecteur. Je ne connais rien au baseball et je m'en fous. Mais c'est un milieu d'études (plus qu'un background donc) qui en vaut un autre et, surtout, jamais ma méconnaissance du jeu n'a gêné ma lecture : quand (ce fut assez rare) une phase de jeu ou une action était citée explicitement c'était toujours en fond d'écran, je ne perdais donc rien à ne pas savoir de quoi précisément il s'agissait. Je comprenais en revanche que c'était important pour le narrateur, Kobo, mais ça je le savais avant même d'ouvrir le livre. Le thème du roman est l'interaction entre sport et nouvelles technologies dans un cadre cyber/biopunk mâtiné de Noir, tu peux donc, lecteur, y coller le sport d'illustration de ton choix, le roman n'en sera guère différent.


Le roman, parlons-en maintenant. Kobo, porteur d'un bras et d'un œil cybernétiques, entre autres, est un un ex-joueur de baseball de la Cyber League of Baseball. En partie cyborg, il appartient à une espèce d'hommes de plus en plus largement méprisée. Dénicheur de talents pour les Yankees, il est très loin de pouvoir, avec son salaire, financer les nouveaux implants qu'il voudrait installer ou payer ses dettes à la société de crédit qui a financé les précédents. Disons, pour faire simple, que Kobo est dans une merde financière noire, d'autant qu'il passe plus de temps à rêver de nouveaux implants qu'à songer à payer les anciens.

Un soir qu'il est chez lui à ruminer ses problèmes, il reçoit un appel étrange de JJ Zunz, la star des Mets dans la Future League of Baseball, la League qui a remplacé la CLB après que les Big Pharma aient racheté les équipes historiques de baseball grâce aux énormes bénéfices générés par leur lutte constante contre virus mutants et autres biohazards. Plus aucun cyborg dans la FLB, simplement des joueurs chargés jusqu'aux yeux de tous les upgrades chimiques de pointe que mettent au point les labos. Les joueurs de la FLB sont comme des Formule 1, sans cesse améliorés à partir d'un châssis de base dans un processus constant d'innovation technique. Et, ai-je oublié de le dire, les Mets appartiennent à Monsanto. Leur nom complet est Monsanto Mets et leurs labos sont parmi les meilleurs du monde.

JJ Zunz était aussi le frère adoptif de Kobo. Et peu de jours après l'appel nocturne Zunz meurt sur le terrain, victime d'un empoisonnement aux effets spectaculaires. Kobo se lance alors dans une quête éperdue de la vérité qui l’entraîne à très grands risques bien plus loin qu'il n'aurait pu, ou toi lecteur, l'imaginer.


Soyons honnête. J'ai trouvé le roman un peu long à démarrer, à s'installer. Tu trouveras peut-être aussi. Mais une fois les pièces en place, il devient un roller coaster qui ne rechigne devant aucun artifice pour t'en mettre plein les yeux.

Je pense aussi que ce n'est pas pour le style qu'on appréciera ce livre. Histoire et personnages le tirent. C'est ici suffisant.


Contexte d'abord :


  • Un monde en déliquescence (noir et cyber/biopunk).
  • Le niveau des eaux est monté, une partie de NY est inondée, une autre vit derrière un mur anti-inondation. Le métro est inondé, les plus riches vivent dans des appartements aériens, les plus pauvres dans des « immeubles » souterrains (c'est d'ailleurs dans un tel immeuble que se sont connus Kobo et Zunz, c'est là aussi que moururent les parents de Kobo, dans un effondrement qui lui coûta son bras droit) ; les SDF font comme ils peuvent et ils peuvent peu.
  • L'air est si pollué qu'un smog omniprésent oblige à vivre avec des masques filtrants ou derrière d'énormes purificateurs d'air (comme dans les stades de baseball par exemple). Et on se pollue les poumons en fumant des cigarettes « gommes » qui anesthésient douleur et stress.
  • Les zootechs, animaux génétiquement modifiés, pullulent. Ils servent en général à nuire et sont donc sévèrement contrôlés par les autorités. Les biotech servent aussi à produire des variétés sans fin d'upgrades chimiques, même si les organes robotisés sont toujours développés. Le clonage a produit des Néandertaliens, esclaves en Russie d'une société qui les utilise comme des zeks.
  • Les upgrades sont une drogue douce/dure pour beaucoup de citoyens. Ils sont l'équivalent des opioïdes dans le désir qu'ils créent et ils engendrent une dette colossale qui résonne avec celle des prêts étudiants. Rien ne bon n'en sort mais ça fait marcher le commerce.
  • Les relations de travail appliquent un libéralisme chimiquement pur. La protection sociale n'existe pas, la santé est une marchandise et il faut la payer si on veut en bénéficier.
  • Les « Etats Restants » sont dirigés par le Président Newman, dont on comprend vite qu'outre d'être une sorte de Trump du futur, populiste et xénophobe, il est aussi l'homme de paille des Pharma dont il satisfait les désirs autant qu'il les anticipe. Toute innovation biotech est source de profits potentiels pour les unes et d'avantage militaire pour l'autre. Alors, même si des lois limitent ce qui est faisable, police et autorité savent fermer les yeux quand nécessaire.
  • La « paix civile » est troublée par les Edénistes, des activistes qui refusent toute modification du corps humain, cyber comme bio. Ils ont une branche dissidente qui vise, elle, à libérer tous les zootechs pour qu'ils trouvent leur place dans l'écosystème et que le monde en sorte définitivement transformé.


Personnages ensuite :


Kobo, qui narre, est un loser magnifique.

Obsédé par son problème de dette et son besoin de nouveaux implants, il n'en éprouve pas moins un amour profond et sincère pour son frère adoptif. Amour blessé par l'éloignement d'avec Zunz consécutif à la starisation de celui-ci, blessure qui n'empêche en rien Kobo de se mettre gravement en danger pour lui rendre justice.

Minable et généreux à la fois, construit par les traumas de sa vie autant que par les faiblesses qu'il a développé lui-même, Kobo est un personnage fascinant et attachant qui, tel Atlas, prend le mystère entourant la mort de Zunz sur ses épaules, quoi que ça puisse lui coûter. L’obstination faite homme (ou cyborg).

Fondamentalement honnête, il ne comprend pas les tenants et aboutissants de ce qui se trame (car il se trame du lourd, du très lourd, derrière la mort de Zunz) jusqu'à les avoir sous les yeux, et ne sent jamais venir les trahisons qui ne manquent pas de se produire. Qu'importe. Il mène son enquête pas à pas et progresse sur la voie de la vérité en dépit des obstacles surhumains (parfois au sens littéral) qui lui sont opposés.


Autour de Kobo, une galerie de personnages secondaires tous travaillés et tout sauf cookie-cutter intervient et crée l'écosystème dans lequel Kobo se meut et mène son enquête désespérée.

Amis, parents, alliés, ennemis, tout se brouille souvent jusqu'à ce que ne reste comme certitude que Kobo lui-même et sa quête. Un Kobo qui ne pourrait pourtant fonctionner sans ce réseau relationnel et qui l'opposera rapidement à un adversaire que Michel pousse au bout de la caricature du milliardaire grotesque. Le monde d'ailleurs est si graphique qu'il peut sembler cartoony, plus que dans Neuromancien par exemple, sans que, étrangement, ça nuise à la crédibilité de l'ensemble tant ça paraît être le développement logique de tendances actuelles.


Personnages et contexte se rencontrent donc dans une enquête tortueuse, pleine d'action et de surprises, qui consterne le lecteur par la pertinence tragique de la prospective (ou de la transposition) de l'auteur autant qu'elle le met à la torture par son refus jusqu'à la presque dernière page de lui expliquer enfin ce qui s'est vraiment passé sur le terrain des Mets. Une enquête qui tangente la saison de baseball, tout au moins sa dernière partie, et entraînera Kobo des stades aux bureaux directoriaux en passant par les labos des équipes et d'autres endroits encore moins ragoutants (dans la forme ou le fond ou les deux  à la fois).


"The Body Scout" est un roman surprenant qui parvient à innover tout en respectant l'esprit du genre. On y retrouve l'excès visuel de La fille automate, biopunk aussi.  On y pastiche même Gibson avec une phrase easter egg : « The sky was an ocean of black oil punctuated by the lights of cars and blimps floating like strange amoeba in a dirty sea. ».

Agréable, amusant, glaçant, souvent émouvant, toujours flashy. A lire, même si on ne connaît rien au baseball.


The Body Scout, Lincoln Michel

Commentaires

Baroona a dit…
Le baseball ça ressemble à un gros frein pour une potentielle traduction, non ?
Gromovar a dit…
Je le crains. Mais ça sera bien dommage.