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Gromovar
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Thierry Robin est un BDaste passionné de Chine. Il est l'auteur de la série Rouge de Chine, qui ne suffit qu'un temps à combler son envie de ce pays, d'y vivre, d'écrire dessus. Il fallait donc pour la satisfaire qu'advienne "Pierre rouge Plume noire", un album à l'histoire éditoriale peu banale. Qu'on en juge.
Il y a quelques années, le château en ruines de Hai Long Tun (le Château du dragon de mer) fut classé au patrimoine mondial de l'Unesco avec d'autres sites de la même province du Guizhou. Les autorités locales voulurent alors en faire une attraction touristique internationale. Entre autres initiatives il fut décidé de réaliser un album de BD racontant l'histoire (pourtant largement méconnue) du château et de sa destruction durant la dynastie Ming, une histoire imaginaire épique destinée à romantiser le site. L'agence Beijing Total Vision fut chargée de la tâche. Elle contacta pour ce faire Robin, l'auteur de Rouge de Chine.
Suivirent trois années de travaux préliminaires, de rencontres, de négociations, d'écritures et de réécritures, sous l’œil jamais absent d'officiels du PCC, ainsi qu'une installation avec armes et bagages en Chine pour travailler sur place à l'album. Suit un temps perdu mal expliqué, et enfin le livre sort en Chine en 2019. Un ouvrage, dit Robin, qui fut apparemment peu apprécié par ses commanditaires. Retemps perdu, Covid, Robin rentre en France puis l'album sort chez Dargaud. Voilà comment il arrive ici, presque dix ans après le début de l'aventure.
« Un livre de commande que j'ai essayé de faire mien »
C'est ce qu'en dit l'auteur. De fait, le scénario de "Pierre rouge Plume noire" est très linéaire, semblable d'une certaine façon à ceux de ces albums qu'on trouve à acheter dans les boutiques de souvenirs des lieux historiques. Avec ici une particularité, l'histoire est inventée car on ne sait plus vraiment ce qui a conduit à la destruction d'une forteresse dont ne reste pas grand chose, même pas des murs debout.
Livre de commande donc.
Mais Thierry Robin parvient néanmoins à y mettre sa patte.
D'abord son histoire est racontée par un corbeau (mobile et cynique) à la montagne (immobile et pacifiste) qui porte littéralement la forteresse et sent ainsi sur son dos les frémissements des armées en marche. La montagne symbolise la permanence, regrettant les folies de passions humaines qui seront très vite oubliées, comme toutes celles qui les précédèrent.
Ensuite, il parvient à mettre de la vie dans le siège désespéré qu'il raconte, quand un roitelet local et ses troupes tentèrent de tenir tête à un empereur Ming. Ce faisant – comme le Franck Ferric de Trois Oboles pour Charon – il décrit l'absurdité de la guerre dans sa vérité, développant à loisir les efforts, les souffrances et les massacres qu'elle impose pour préserver l'honneur de dirigeants éphémères ou conquérir un topos dont personne bientôt n'aura plus rien à faire. Il montre aussi un système féodal inégalitaire dans lequel même si tous, gueux et nobles, se réfugient ensemble derrière les murailles d'une forteresse censées les protéger d'un même destin funeste, les humbles y mangeront leurs maigres provisions dans des baraques de fortune quand les puissants se gaveront de somptueux festins dans de luxueuses suites. Cerise sur le gâteau, il fait danser tout ce monde condamné d'avance sur l'air d'un roi puéril et fou qui joue à l'artiste, enfermé dans les appartements royaux, pendant que les troupes impériales font le siège de Hai Long Tun, que les réserves s'épuisent, et qu'en dépit du courage et de l'abnégation de quelques-uns l'issue fatale ne fait guère de doute.
Tout ceci, Robin le raconte à l'aide de dessins majestueux. Il ne lésine ni sur les pleines pages ni sur les doubles et illustre avec une puissance certaine tant les meurtrières pluies de flèches que les murailles supposées infranchissables de la forteresse ou les sanglants affrontements en face à face de fantassins qui paient de leur vie l'orgueil de leurs dirigeants.
Les couleurs désaturées de Pan Zhiming ajoutent au trait à l'encre et aux a-plats noirs de Robin une touche « ancienne » qui donne à l'album l'allure d'un vieux parchemin historique.
Le tout forme un joli album qui, en dépit de sa linéarité et de quelques anachronismes de dialogues, est agréable à lire. L'auteur de La Mort de Staline livre ici une œuvre moins personnelle mais néanmoins réussie dans son genre.
Pierre rouge Plume noire, Robin et Zhiming
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