Daryl Gregory : I’m Not Disappointed Just Mad AKA The Heaviest Couch in the Known Universe

Conseil aux nouveaux auteurs : Faites attention quand vous plaisantez en ligne. Imaginez, vous faites une blague sur l’écriture d’une histoire ridicule, quelque chose que vous n'écririez jamais ; ce n'est qu'une bonne blague jusqu’à ce qu’un éditeur en entende parler et vous demande d’écrire cette histoire. Il y a quelques années, sur un site, je disais à quel point Iain Banks était mon écrivain préféré mais que si je devais écrire un space opera, ce serait sur deux fumeurs défoncés qui manquent la guerre interstellaire parce qu’ils essaient de déplacer un canapé d’un bout à l’autre de la ville. Jonathan Strahan est alors intervenu et a dit : Je publierais ça. Ha ha ! Très drôle. Il a alors ajouté : Non, vraiment. Plus tard, on s’est croisés à une convention, et il m’a dit : Alors, cette histoire façon Iain Banks ? Et voilà, c'est fait ! Je sais, c’est une histoire absurde, mais en ces temps sombres... Sachez juste qu’elle a été écrite avec beaucoup d’amour et d’admir

L'Equateur d'Einstein - Liu Cixin


Liu Cixin, ingénieur et écrivain de SF, est sans conteste le plus connu des auteurs de SF chinois en France. Après plusieurs romans dont l'imposante trilogie du Problème à trois corps, sort aujourd'hui, toujours chez Actes Sud, "L'Equateur d'Einstein", le premier volume de l'intégrale de ses nouvelles, dans des traductions réalisées ou révisées par Gwennaël Gaffric.


Ayant déjà beaucoup lu et chroniqué (parfois longuement, parfois plus brièvement) l’œuvre de Liu, je ferai ici un essai de présentation générale des tropes de l'auteur, en m'appuyant sur les textes présentés dans "L'Equateur d'Einstein" sans les développer outre mesure.


Les nouvelles présentées ici sont des textes de jeunesse de Cixin, parfois encore en recherche de style ou de caractérisation. Aucune, néanmoins, n'est mauvaise, même si certaines ressemblent plus à des blagues potaches ou à des esquisses à peaufiner qu'à des textes parfaitement aboutis. L'ensemble est intéressant car on y trouve déjà en germe ce qui sera le style et les préoccupations de Liu (et aussi d'une partie des auteurs chinois de SF).


On y croise une foi absolue en la science. Scientifiques et ingénieurs sont des héros, des hommes habités/obsédés par l'exploration du monde de la connaissance comme les grands explorateurs du passé le furent par celle du monde physique. Ces héros scientifiques – et/ou ceux qui sont militaires – font passer les nécessités du monde avant celles du soi ou de la famille ; les personnages de Liu ne sont pas ces individualistes contemporains que pressentit Tocqueville.

On y lit des descriptions souvent poétiques et toujours évocatrices qui signent l'écrivain en formation.

On y devine un tiraillement constant entre tradition et modernité, entre famille et société, entre ruralité traditionnelle et modernité urbaine qui rappelle les constats des sociologues de l'école de Chicago au début du XXe siècle. Soucis caractéristiques d'un pays en transition rapide d'une économie agricole à faible productivité à une économie industrielle puis de plus en plus servicielle à productivité élevée. Les mêmes questionnements agitent la littérature indienne.

On y voit l’irrésistible attrait qu'exerce la ville, zone riche et « lieu illuminé », aimant pour des paysans qui vivent durement dans la partie de l'économie que Baumol qualifierait « d'archaïque ».

On y lit, sous la plume de Liu, la fierté ouvrière des hommes qui se cassent le dos (ou les poumons) pour développer le pays. Elle rejoint la fierté de l'homme humble qui accomplit de grandes choses (par l'entremise de la science). Tous sont décrits avec grand lyrisme. 


Et dans ce mélange constant de poésie et de SF, de Hard SF et de phlogistique (au sens de très lâchement expliqué), Liu exprime aussi un mélange de fierté nationale et de crainte devant la certitude de la guerre (inévitable car humaine, quoi qu'en pensent les illusionnés contempteurs de la Red Team) qui viendrait de l'Ouest. Les USA y sont perçus comme des adversaires naturels de la Chine (avec la Russie comme nouvelle Belgique), dans un piège de Thucydide qui ne peut que se refermer sur les deux grandes puissances, passée et à venir.

Pas grand chose en revanche sur l'autoritarisme politique ou la société de surveillance. Pas facile de s'aventurer sur ce terrain j'imagine. Et puis, tout le monde n'est pas obsédé par ces sujets. Liu n'est pas le fils caché de Damasio.


Ouvrons le feu (on l'ouvrira plusieurs fois dans les histoires de ce recueil) avec Le chant de la baleine, un texte amusant et assez peu crédible qui lorgne vers une version hitek de Pinocchio et la baleine. Amusant, dispensable aussi.


Aux confins du microscope est un texte qui mêle spéculation scientifique et phlogistique à la Liu en ramenant sur le tapis la controverse Aristote/Démocrite qu'il transpose dans une Chine légèrement post-contemporaine. On y ressent déjà ce qui sera l'admiration constante de Liu pour les scientifiques et les ingénieurs, pour les mystères non résolus de la physique aussi.


L'Effondrement est aussi une forme de réponse à une question de physique, celle de l'expansion. C'est un texte amusant auquel on peut reprocher d'être vite prévisible.


Si Le chant de la baleine fleure le merveilleux scientifique mâtiné de Narcos, les deux textes qui le suivent auraient pu servir de base à des épisodes de Twilight Zone. Entre l'étrangeté de la situation, la réponse ou le contexte science-fictif, et la résolution à chute, il y a de vrais similitudes. Ce sentiment de proximité reviendra plusieurs fois à la lecture de certains des textes rassemblés ici.


Avec ses yeux (publiée dans Bifrost 87) est aussi vernienne que profondément émouvante. Elle joue pour la première fois dans le recueil sur les fibres du patriotisme et du sacrifice pour plus grand que soi qui reviendront aussi à intervalles réguliers dans les textes suivants. Un très joli texte.


Le Feu de la terre est un long et beau texte. Hommage appuyé et lyrique au labeur et au courage des mineurs qui paient de leur vie l'énergie qu'ils offrent à la Chine et à son développement, elle est encore une fois une ode au progrès technique, à la vision des ingénieurs, à la nécessaire persévérance, même après de premiers échecs et même lorsque ceux-ci sont catastrophiques. On retrouve dans la personnalité de Liu Xin, le héros malheureux de l'histoire, ces caractéristiques que Schumpeter attribuaient à « l'entrepreneur », ce héros qui parvenait à provoquer par son intelligence et son pouvoir de conviction les révolutions technologiques. Beau texte, descriptions hallucinées, discours inspirés. A lire sans faute.


On y sauve la terre en la déplaçant dans l'espace : Terre errante, que tout le monde connaît maintenant grâce à la mauvaise adaptation cinéma qui en a été faite, est encore une fois un hommage à la puissance de la science et de l'ingénierie ainsi qu'un appel à la raison froide du calcul contre les emportements irrationnels des foules.


L'instituteur du village est un très beau texte qui est moitié nostalgie et dévouement et moitié quasi-bullshit phlogistique. Le personnage de l’instituteur rural décrit par Liu est une si belle création qu'il fait passer la pilule du reste (la guerre spatiale à échelle galactique), et que même l'improbable fin s'interprète comme la dernière dette que contracte l'humanité envers un instituteur dont le travail et la bonté sans faille l'ont sauvée. Un texte émouvant dont les qualités éclipsent complètement les défauts.


Le Micro-Age est une fable écologie plutôt bien foutue à condition d'accepter l'histoire invraisemblable qu'elle raconte. Tolkien écrivit Le Hobbit pour son fils, Liu pourra lire Le Micro-Age à l'enfant qu'il aura peut-être un jour.


Le Destin est une nouvelle à chute amusante, très Twilight Zone encore, qui prouve que l’aile du papillon...même si, ici, ce n'est pas de papillon qu'il s'agit. Je n'en dis pas plus.


Brouillage de toute la bande de fréquences est une histoire de guerre et un hommage à la littérature russe. Invasion de l'Ouest en Russie, Chine en ligne de mire. On y parle héroïsme, sacrifice, et on on valide presque la prédiction d'Einstein : « Je ne sais pas comment sera la troisième guerre mondiale, mais ce dont je suis sûr, c'est que la quatrième guerre mondiale se résoudra à coups de bâtons et de silex. »


Le Messager est un petit texte amusant mais prévisible qui n'est pas un pastiche d'Erich Zann en dépit du rôle central qu'y joue un violon. Il met en scène Einstein et un mystérieux visiteur. Sympatoche, sans plus.


Le Battement d'ailes d'un papillon raconte comment un père – scientifique – rêve de régler les problèmes de la Terre en usant de la théorie du chaos en météorologie. Sur fond de guerre, encore, son rêve se révèle bien difficile à réaliser, jusqu'à une conclusion définitive. Science, guerre, sacrifice, nécessités du monde qui surpassent celle de la famille, tout Liu Cixin est dans ce texte, en version courte.


Le Soleil de Chine est un récit d'installation dans l'espace proche puis très lointain. Tout les thèmes abordés depuis le début de cette chronique s'y trouvent concentrés ; je ne me répète pas. Un beau texte, plein d'espoir et de volonté.


La Mer des rêves mêle de nouveau poésie et science, Hard SF et phlogistique. Spectaculaire, impressionnant, sans doute pas totalement convaincant. Ce qui est excessif est insignifiant, c'est le risque ici avec un alien qui rappelle, en beaucoup plus puissant, cet Homme impossible que vainquirent les Fantastiques.

L'Ere des anges est un texte éprouvant qui annonce les conflits à venir sur le génome humain entre conservateurs et innovateurs. Un texte riche qui était chroniqué ici.


L'Equateur d'Einstein, un texte un peu étrange dans sa construction qui invoque le vide quantique et exprime mieux que tout la passion (au sens étymologique du terme) des scientifiques pour les grandes questions de leur discipline, leur capacité à donner jusqu’à leur vie pour y répondre. On préfigure ici ce qui sera le suicide des physiciens dans Le problème à trois corps ; l'amour de la science est aussi dévorant que ça, il surpasse tout, englobe tout. « Mon cœur n'aura pas le courage de battre dans un Univers à jamais impénétrable », affirme l'un des personnages.


A lire, pour pénétrer mieux encore qu'avec ses romans, dans la pensée et les préoccupations de Liu Cixin.


L'Equateur d'Einstein, Liu Cixin

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