L'Ombre sur Innsmouth - Lovecraft illustré par Baranger

Comme deux fois déjà , je signale la sortie d'une adaptation de Lovecraft par François Baranger. Il s'agit cette fois de The Shadow over Innsmouth , ici traduit littéralement L'Ombre sur Innsmouth au lieu du plus traditionnel Le Cauchemar d'Innsmouth . Comme pour les deux adaptations précédentes, je ne vais pas chroniquer un texte connu et maintes fois résumé, analysé, décortiqué. Je te renvoie donc pour l'histoire, lecteur, à la fiche Wikipedia de la nouvelle, fort bien faite si ce n'est qu'à l'instant où j'écris ces mots la version de Baranger ne s'y trouve pas encore. Tu prendras plaisir, j'en suis sûr, à lire la belle préface de Sandy Petersen, notre maitre à tous, à parcourir les rues de la très décatie Innsmouth dans les pas de Robert Olmstead, à pénétrer dans la délabrée Pension Gilman, à contempler la façade du bâtiment abritant L'Ordre ésotérique de Dagon , à côtoyer des Marsh, trop de Marsh. Le "masque d'Innsmouth...

Afterland - Lauren Beukes


Terre, 2023. Une épidémie foudroyante de HCV  vient de tuer 99% de la population humaine mâle. Ne restent que les quelques chanceux que leur patrimoine génétique a protégé sans qu'on sache encore comment.

Une telle tragédie a été un traumatisme pour l'humanité, tous ces hommes étant des frères, des fils, des pères, des maris, des amis. Mais, par-delà le traumatisme moral – et sexuel –, le désastre fut économique aussi, tant sont genrés une grande partie des métiers existants. Il manqua subitement beaucoup de monde dans certains secteurs économiques clefs – techniques et scientifiques notamment –, et, l'épidémie étant toute récente, le déséquilibre n'a pas encore été résorbé ce qui fait que production et ravitaillement sont donc loin d'être optimaux.

Si on ajoute à ces questions, les inévitables fermetures de frontière, états d'urgence, émeutes et/ou tentative de prise de contrôle violente du pouvoir politique, les deux dernières années n'ont pas été de tout repos pour les femmes et les rares hommes survivants. Et je ne parle même pas ici des églises apocalyptique qui ont fleuri, espérant l'extinction ou la résurrection, faisant des femmes les vaisseaux du salut ou les pécheresses qui ont à expier pour que le monde se retisse.

Cerise sur le gâteau, la « Reprohibition » interdit maintenant toute procréation jusqu'à ce qu'un traitement ou un mécanisme d’immunisation soit trouvé. Cette interdiction internationale entraîne, comme prévisible, son lot de trafics et de violations cachées combattus à grand peine par les agences étatiques, FBI notamment.


Miles (un garçon de 12 ans survivant) et sa mère vivent – pas vraiment par choix – dans l'un de ces centres gouvernementaux au sein desquels on rassemble les hommes miraculeusement immunisés contre les effets cancérogènes de l'oncovirus HCV, « pour leur sécurité ». Ils y subissent des tests sans fin dont la finalité est d'isoler les causes génétiques de la protection de Miles et de ses semblables.

Dans l'urgence de la situation, les libertés fondamentales ne sont plus une priorité et la liberté tout court n'est pas vraiment une option, d'autant que le sperme – « l'or blanc » – est devenu une denrée rare qui se trafique, se vend, se vole, Reprohibition et rareté obligent. Alors quand la sœur de Cole, Billie, lui propose une porte de sortie pour elle et son fils, elle accepte immédiatement. C'est ce qu'elle veut, et elle peut faire confiance à sa sœur, non ?

Ben, de fait, pas vraiment.

Débute alors (dès la première page du roman) une course poursuite à travers des USA polytraumatisés.


Le background que j'ai donné au dessus – et qui est impressionniste dans le texte – n'arrive que peu à peu (rapidement néanmoins) dans le récit. Le roman commence par la fuite de Cole qui vient visiblement de tuer ou de blesser gravement Billie. Cette dernière ayant planifié l'enlèvement de Miles au profit d'une riche mafieuse, il devient vital pour Cole d'emmener Miles loin des griffes de Billie ou de ses complices, et idéalement de réussir à prendre un bateau pour l'Afrique du Sud dont elle est originaire – bien que blanche et mère d'un fils métis.

Mis à part les quelques flashbacks nécessaires pour poser la situation, le récit, très speed et graphique, alterne entre le point de vue de Cole fuyant avec Miles (déguisée en Mila pour sa sécurité, y compris envers le lecteur à qui il est désigné par des pronoms féminins) et celui d'une Billie toujours vivante qui traque sa sœur – en compagnie de deux tueuses aussi déjantées qu'impitoyables – autant pour toucher sa commission que pour sauver sa vie des conséquences fatales d'un échec ; elle a promis, elle doit livrer.

De villes partiellement fantomatiques en festivals de rue off-limit, de cérémonies religieuses en sex club monosexe, de Boston à Miami, c'est à un road movie violent que tu assisteras, lecteur, avec l'embarquement pour l'Afrique comme objectif à atteindre.


Dans ce road movie, c'est la détermination de Cole que tu apprécieras, la certitude monomaniaque – en dépit du bon sens – d'avoir raison et d'être dans son droit de Billie qui te stupéfieras, la transformation de Miles en Mila puis en dévote que tu regarderas avec incrédulité tant elle paraît peu crédible, notamment dans sa partie conversion religieuse, même si on admet que le puberté démarrante du jeune garçon le bouleverse sûrement.

Et comme tous sont sur des trajectoires de collision tu assisteras à un spectacle rapide et brutal qui pourra t'apporter les plaisirs des films d'action américains. Grand spectacle. Pop corn et coca.


Mais, plusieurs choses me semblent ennuyeuses dans "Afterland".


D'abord, il y a dans le ton de Beukes, sa manière de faire parler ou penser ses personnages, qui dénote une volonté notable de faire souvent casual et même parfois mutin. Un ton qu'on pourrait qualifier dans le Sud de « bien brave ».

Ensuite, Beukes écrit dans son afterword « Mon but est d'être intersectionnelle ». Il n'était pas nécessaire de le dire, Lauren, ça exsude de chaque page d'un livre qui coche méthodiquement et avec application toute les cases du bingo du progressisme différentialiste au point qu'on dirait qu'elle remplit un cahier de devoirs de vacances.

Enfin, progressiste un jour progressiste toujours, Beukes parsème le livre de quelques réflexions « bien senties » qui disent le bien ou le mal. Problème, ces saillies militantes sont si courtes et banales que leur apport au débat ne dépasse guère celui d'un billet de fortune cookie.


Mais, peut-être est-ce moi. Peut-être que toi, lecteur, tu aimes. Peut-être que tu aimes qu'on soit un peu léger même dans un thriller apocalyptique, peut-être que tu aimes qu'on soit intersectionnel en plus de raconter une histoire, peut-être que tu aimes qu'on fasse de la politique light histoire de ne pas oublier ce qu'on aime et ce qu'on réprouve sans se prendre la tête pour autant. C'est ton droit.


Néanmoins, le roman pose aussi problème imho sur deux points tout autres.

D'une part, tout bien réfléchi, Beukes ne fait finalement pas grand chose de son background. Place l'histoire dans un pays un peu chaotique (la Colombie par exemple). Fais de Miles le fils d'Escobar traqué par les ennemis de son père et emmené par sa mère vers le salut sans pouvoir se tourner vers des autorités hostiles. Tu auras le même roman. Le monde et la place de Miles dans celui-ci justifie la fuite, le monde n'est pas exploré par Beukes qui se contente de le survoler.

D'autre part, Beukes travaille ses personnages par de nombreux flashbacks qui leur donnent une forme d'épaisseur (un peu comme King, d'où le blurb sans doute). Mais là où les personnages de King se remémorent les faits et les choses d'une culture et d'un monde communs que King fait ainsi passer au lecteur à travers la mémoire de ses personnages, Beukes, d'une génération et d'une sensibilité qui fait du moi le centre du monde, ne rappelle à l'esprit des siens que les événements privés de leurs petites vies banales, forcément insignifiants pour tout autre que pour eux. Là encore le monde n'est rien, seuls comptent les persos et leur égos respectifs.

On  notera de plus, parce qu'on est vil, que le libéralisme affiché de Cole ne s'étend pas aux choix de vie de Miles en dépit d'un discours qui affirme le contraire. Van Zanten avait montré comment les parents aident les enfants à « choisir » ce qu'eux-mêmes préfèrent. Mais c'est un détail.


Alors voilà, lecteur. J'aime beaucoup le post-apo et c'en est un peu donc j'aurais dû beaucoup aimer. J'ai depuis toujours un problème avec les textes de Beukes auxquels je trouve souvent autant de qualités que de défauts. A toi de voir, je sais que je ne t'aide pas, j'espère au moins t'avoir un peu éclairé.


Afterland, Lauren Beukes

L'avis (+ positif) de Feyd Rautha

Commentaires

Verti a dit…
C'est peut-être moi qui devient un vieux con, mais en regardant les lauréats des prix de SF de ces dernières années, j'ai vraiment l'impression qu'il y a une grosse baisse de qualité et que les lubies sociétales du moment priment sur le reste. Quand on compare les lauréats du World Fantasy Award des années 80 et ceux d'aujourd'hui, il n'y a pas photo... Désolé pour cette diatribe qui n'a pas grand chose à voir avec ta critique...
Gromovar a dit…
Si, si, ça a tout à voir.
Nosu vivons les années genderpunk ou intersectionpunk.
Ca passera comme tout ce qui a précédé mais, en attendant, ça donne une grand nombre de piètre livres englués dans l'idéologie comme des fruits dans du sirop de sucre.