Avec le Livre Troisième de l'Intégrale, voici enfin la suite et fin du grand cycle Promethea d'Alan Moore et JH Williams III.
Si tu as lu les chros précédentes tu sais, lecteur, que j'ai trouvé l'histoire du tome 1 passionnante et originale. Tu sais aussi que le tome 2, dont nul ne peut nier l'immense originalité, m'avait largement fatigué tant les questions auxquelles il répondait n'étaient pas les miennes sur une aussi longue distance. Tu sais enfin que, tome 1 ou tome 2, le traitement graphique (où se déploie l'immense créativité de JH Williams III sous la supervision scénaristique de Moore) est un pur émerveillement, Williams III explosant tous les cadres, travaillant son lettrage, ses cadrages, ses effets graphiques de manières toujours diverses et toujours adaptées, sans parler de la qualité intrinsèque de son trait.
Voici donc qu'arrive le tome 3, que j'ouvre avec inquiétude.
Revenue de son voyage dans l'Arbre de Vie jusqu'à la Tête de Dieu, Promethea/Sophia redevient, au terme d'un procès délirant où le Roi Salomon tient le rôle de juge, la seule Promethea active contre les prétentions des Promethea Stacia/Grace.
Problème : elle ne veut plus de la fonction depuis qu'elle sait qu'elle est celle qui doit causer la fin du monde, selon un prophétie plusieurs fois millénaires.
Problème dans le problème : le FBI est toujours à ses trousses, d'autant que le monde continue à tourner de travers entre disparition d'enfants et retour de tueurs en série, et viendra la chercher jusqu'à Millenium City, la ville de Tom Strong. Et là, de manière assez convaincante, Moore lie les destins de Promethea et de Strong et de son groupe.
Ce mashup est intéressant car
Tom Strong, le héros type de pulp, genre
Doc Savage ou autre de la même eau, et ses alliés, récupérés des
comics America's Best, sont utilisés – certes par leur créateur – au mieux de leurs personnalités respectives mais surtout car Williams III – qui n'est pas leur dessinateur original – les traite dans le style original, tant dans l'apparence physique que dans le traitement graphique des cases, aussi rétro qu'un vieux Superman.
Ce n'est pas le cas des autres fils scénaristiques (j'en compte au moins trois) qui semblent abandonnés en cours de route devant l'inéluctable fin du monde.
Ainsi donc, l'apocalypse est toujours dans les tuyaux. Malgré les tentatives les plus désespérées d'empêcher « la fin du monde » – jusqu'à une qui rappelle furieusement
Point Limite – nul ne parvient à arrêter ce qui doit de toute éternité advenir.
Promethea, jouant son rôle, fusionne quelques moments durant toutes les consciences et tous les temps, montrant ainsi à tous les humains qu'ils sont, chacun d'entre eux, parts d'un grand Tout, et que chaque moment de l'univers est relié à tous les autres. De cette épiphanie, certains sortiront grandis, meilleurs, dans un monde que le dessin de Williams III montre transformé sans être radicalement différent. D'autres n'en tireront aucune conséquence, d'autres encore croiront juste avoir halluciné. La fin du monde était une prise de conscience nécessaire mais la Vie est sacrée et la Liberté aussi. Pas question de détruire le monde ou de contraindre au changement. Nul n'aurait du craindre que la fin DU monde advienne ; elle n'est qu'une possibilité de fin D'UN monde.
Après un dernier chapitre mystique pur que j'ai survolé, l'album contient de jolis épisodes des aventures très cozy de la première Promethea, ainsi que des aventures vécues par Tom Strong et les America's Best. Plaisant et amusant. Enfin, un story-board complet, des couvs et des sketchs terminent le gros et bel ouvrage.
Bilan de lecture de ce tome 3 : Inquiétude à moitié levée (les éléments du scénario font plus décor le long du chemin que chemin lui-même), mais plaisir toujours aussi immense à admirer la mise en images de la Bible d'Alan Moore (ou, plus lumineux encore, les vitraux de la cathédrale mystique qu'il entend bâtir avec cette série). Certaines trouvailles graphiques sont impressionnantes et on se croit souvent dans les Sandman tant les divers traitements collent parfaitement aux moments, aux situations ou aux personnages. Le génie de Williams sauve le cycle des obsessions de moins en moins contrôlées de Moore (même si on doit lui concéder qu'il sait raconter, jusqu'aux histoires auxquelles on n'adhère pas).
Alors Sandman ou Promethea ?
Dans l'idéal, Sandman et Promethea, ce sont deux monument qui méritent de figurer dans chaque bibliothèque.
Si on ne doit avoir qu'une Intégrale, Sandman sans hésitation, bien meilleure scénaristiquement.
Si on n'a pas les moyens d'acheter sept volumes de Sandman et qu'on veut néanmoins voir ce qu'est un vrai créateur graphique et un scénariste génial (qui hélas tourne pas mal en rond) Promethea. Ou alors on achète plutôt les sept Sandman d'occase ;)
Promethea, Livre Troisième, Moore, Williams III
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