The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Perhaps the Stars - Ada Palmer


Terre 2454. La guerre attendue/redoutée a éclaté. Les Hives sont en guerre les unes contre les autres et, jusque dans leur sein même, se divisent entre partisans de J.E.D.D. Mason et de son programme de Refondation du monde et tenants conservateurs d'un système des Hives qui semble à ces derniers une conquête précieuse de la Raison et du Libre-Arbitre sur la violence et l'arbitraire.

Cette guerre, lecteur, cette guerre de 504 jours, tu la suivras de son début à sa conclusion ; tu suivras même l’établissement de la Paix, et les négociations/jugements qui refermeront un cycle politique vieux de plusieurs siècles.


"Perhaps the Stars", quatrième et dernier tome du monumental Terra Ignota d'Ada Palmer, te raconte la guerre qu'annonçait le tome 3 – le système politique et social du monde, tu le connais, je n'y reviens pas. Il te la raconte, comme dans une tragédie antique, backstage – par une confrontation de discours sur les combats à venir et les combats résolus, de dilemmes moraux et de choix stratégiques. C'est auprès des décisionnaires – dont tu connais déjà tous les noms – que tu seras part au déroulement du conflit. C'est au prisme de leurs interrogations, de leurs incertitudes, de leurs prises de décision toujours difficiles que tu connaîtras les faits de guerre, souvent après qu'ils se soient produits. A Romanova ou à Alexandrie, au siège de l'Alliance ou auprès du trône des Mason, la guerre, loin de n'être qu'une praxis est d'abord un logos. C'est la Raison qui s'y investit pleinement, une Raison instrumentale qui cherche ici non plus le Bien mais l'Efficace.

Mais cette guerre, si cruelle soit-elle pour un monde qui n'en a plus connu depuis des siècles, est différente de celle qui la précédèrent. S'y manifeste une volonté de moindre nuisance qui résulte précisément des siècles pacifiques auxquels elle fait suite. On tente d'être le moins létal possible, on regrette presque chaque mort, vécue comme une perte infinie de potentialités. Et de tous, c'est l'infiniment bon J.E.D.D. Mason qui souffre le plus.


Conséquence logique – mais je n'en dis pas plus – de ce qui précède, la guerre transforme le monde de la manière la plus brutale. Temps et Distance, que voitures volantes et communications instantanées avaient abolis, reviennent avec fracas quand ces deux systèmes cessent complètement de fonctionner. L'humanité (et les décideurs dont nous épions les actes) découvre un monde inconnu d'elle où le brouillard de guerre est la règle, où il est impossible de savoir si ses proches sont morts ou vifs, où toute communauté un peu isolée géographiquement se retrouve littéralement coupée du monde, où tout déplacement est long et dangereux. La quasi ubiquité (et l'immense liberté organisationnelle) permise par le progrès technique n'est plus ; Temps et Distance redeviennent des facteurs, ils deviennent surtout, pour le monde de 2454, une souffrance. Une souffrance encore plus grande pour ceux qui doivent décider, c.a.d. ceux qui parlent, le nouvel Anonymous – qui rédige la chronique avant de laisser, de quelle manière !, sa place –, les Censeurs, les proches de Mason, les ennemis/alliés avec qui on discute, J.E.D.D. Mason lui-même, encore et toujours en contact avec le divin de cet univers.


Car sache-le, lecteur, Ada Palmer t'invite ici à être part à un moment épique (aucune autre adjectif ne conviendrait). Inventant un nouveau sous-genre qu'ont pourrait qualifier de SF mythologique, Palmer introduit sans plus aucune limite les archétypes divins de l'Antiquité. Comme dans l'Illiade les dieux interviennent sur le champ de bataille, et il est devient vite évident que nombre des personnages du roman sont des incarnations nouvelles de figures éternelles – des héros éternels, des champions éternels, on pourrait se croire chez Moorcock ou chez le Jung des archétypes. Mais c'est surtout à Homère qu'on pense, pour l'Illiade bien sûr mais aussi pour une fascinante Odyssée personnelle vécue par l'un des personnages. Pour le ton si particulier enfin, entre dialogue, déclamation et adresse aux dieux. Et si les batailles sont pour la plupart backstage, elles sont néanmoins épiques, Palmer enchaînant des tours de force narratifs et émotionnels faits de morts illustres, de retrouvailles éplorées, de trahisons abjectes, et de destructions bouleversantes. C'est époustouflant, c'est bouleversant souvent.

C'est énorme.

C'est énorme.

C'est énorme.


Si la forme est impressionnante, le fond ne l’est pas moins. Tissant un récit encore plus complexe dans les motivations des acteurs que dans les actes qu'ils donnent à voir, Palmer place tous les personnages patiemment développés depuis trois tomes dans une situation inédite pour tous – même si certains l'attendaient ou l'espéraient. Il s'agit ici de trancher le nœud gordien (sans jeu de mot) d'un système politique et social sclérosé qui avait préféré effacer les motifs de dissension plutôt que de les traiter. Un système qui, de plus, avait fini par engendrer pour chacune des Hives des trajectoires profondément divergentes, tant dans les objectifs poursuivis que dans la gouvernance ou les modes d'influence. C'est ce système que J.E.D.D. Mason veut refonder pour l'améliorer alors que le réel est venu briser l'illusion utopique d'un monde pacifié par la Raison pure et la volonté de paix. Ce système, né des Guerres religieuses et créé pour les empêcher à jamais, qui n'empêchera pas – et sera même aux principes – d'une nouvelle guerre de tous contre tous ; voilà pourquoi Hobbes est présent dans les pensées et les dialogues.


Refonder un système hypocrite et lâche en gardant l'objectif mais en changeant la méthode, sans s'en remettre à un Léviathan omnipotent, c'est ce que cherche à faire J.E.D.D. Mason, être étrange et étranger qui, de son regard éloigné, voit sans faux semblant ce qui, dans les Hives, est dérive et corruption.

Prenant en compte la totalité de la vie terrestre et extra-terrestre possible, voulant rendre une place digne à ceux des humains qui vivent hors du système des Hives, enjoignant chacun à prendre sa part dans la responsabilité de soigner le monde, J.E.D.D. Mason, guerre finie, est loin d'avoir gagné la paix.

Il faudra pour cela trancher, décider, sanctionner, ou pardonner, agir en un mot pour que d'un monde qui s'était cru idéal et avait dû douloureusement admettre qu'il ne l'était pas en naisse un meilleur, encore plus libre, bienveillant et juste, mais assis cette fois sur la réalité de la nature humaine et non sur la vision idéalisée et fausse d'une humanité qui se serait améliorée en mettant sous le tapis les sources de conflit sans les faire disparaître.

Arbitrer l'allocation des ressources entre les objectifs différents de l’humanité, éduquer la population aux systèmes algorithmiques qui font fonctionner le monde, renouer avec une métaphysique qui avait été dissimulée à la face du monde alors qu'elle était toujours là juste sous son nez, faire avec les genres sans sacrifier à des valeurs patriarcales inégalitaires, affirmer la valeur suprême de la vie, même en temps de guerre, et la mettre en pratique d'une façon encore jamais vue auparavant, fonder, en d'autres termes, un nouveau Contrat social, c'est le projet de J.E.D.D. Mason. C'est à l'humanité maintenant de le réaliser. Une humanité à laquelle Palmer, à la toute fin, assigne la grande et belle mission de partir vers les étoiles, de plonger dans l'inconnu pour rencontrer ce qui s'y trouve.


Conclusion incroyable d'une tétralogie qui ne l'est pas moins, "Perhaps the Stars" clôt un cycle qui est allé de la philosophie des Lumières aux archétypes antiques. Tout ce qui est humain s'y trouve, du niveau individuel avec ses superbes grandeurs et ses infâmes bassesses jusqu'au niveau collectif/politique rongé toujours par la nécessité d’organiser une cité humaine sans en avoir le plan. Άνθρωπος φύσει πολιτικών ζώον, « l'homme est par nature un animal politique », mais c'est si compliqué de l'être quand chaque homme a une idée différente de la cité idéale.

"Perhaps the Stars" est un chef d’œuvre évident et d'ores et déjà un classique de la SF dans ce qu'elle a de meilleur. Pour interroger l'humain et le faire avec une terrifiante emphase les Grecs eurent Homère, nous avons Ada Palmer.


Perhaps the Stars, Ada Palmer

L'avis de Feyd Rautha

Commentaires

lutin82 a dit…
Bon faut que je m'y mette!
Gromovar a dit…
Ben, je crois, oui.
Anonyme a dit…
Sait-on le quand d’une française version ?
Gromovar a dit…
Il sera coupé en deux (car il est gros).
Première moitié en février 2022.
Anonyme a dit…
Ouais c'est vachement bien ! T'as vu que t'étais crédité dans les remerciements d'ailleurs :o ?
Gromovar a dit…
Yep. J'ai failli mourir de plaisir en le voyant ;)