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Gromovar
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Soren Seelow, journaliste au Monde, Kevin Jackson, directeur d'études au Centre d'Analyse du Terrorisme, Nicolas Otero, auteur de BD. Les trois signent une œuvre documentaire magistrale que tout citoyen devrait lire (et que tous les enseignants devraient enseigner) : "La Cellule".
Si l'ouvrage s'ouvre sur l'arrestation de Bilal Chatra dit Abou Hamza le 29 avril 2016 en Allemagne, il se retourne très vite sur les événements qui y conduisent, 18 mois de traque qui n'auront pas permis d'empêcher les attentats du 13 novembre (et ceux de Bruxelles en mars 2016) alors que la menace était détectée mais trop imprécise dans ses détails pour donner lieu à action efficace.
Je ne vais pas ici raconter l'album ni te narrer, lecteur, les très nombreux faits avérés qui en font la richesse. Il y en a trop et l'ensemble de l'affaire est trop complexe pour être résumé. Sache simplement que l'album est le résultat d'un énorme travail de documentation comprenant entre autres ouvrages les rapports d'instruction des attentats et les rapports des commissions d'enquête parlementaires. Tu dois lire, et tu comprendras tout. Je vais juste préciser un ou deux points.
Un point de contexte d'abord, et d’extension du propos. En 2014, la France frappe pour la première fois massivement les troupes de Daesh en Irak car les exactions de Daesh, qui horrifient le monde, lui interdisent de rester bras ballants à les regarder. En Irak mais pas en Syrie, la politique française à ce moment-là y étant opposée en raison d'une doctrine visant à ne pas aider Bachar el-Hassad.
2014 est aussi l'année où est lancé l'appel à ce qu'on appelle le jihad mondial à bas bruit (ou jihad des couteaux), qui enjoint chaque inféodé à Daesh à passer à l'action en utilisant tout ce qui lui tombe sous la main, couteau, pierre, voiture, camion, afin de tuer le maximum de « croisés », « mécréants », « koufars », choisis le tien.
Mais à côté de cette approche – qui fait naître les vocations de ce qu'on appelle incorrectement les « loups solitaires » et qui ont déjà frappé de nombreuses fois en France – en existe une autre, faite d’organisation et de planification. Là, c'est de commandos recrutés, formés, et organisés qu'on parle. Des hommes choisis en fonction de leurs qualités et de leur propension au « martyr », après une formation religieuse et militaire et une mise en situation auprès de « vétérans », et dont les missions sont validées, au moins dans leurs grandes lignes, par une cellule des opérations extérieures de Daesh – situé en Syrie, à Raqqa précisément – qui est l'officine terroriste internationale de l’organisation criminelle et avec laquelle les commandos restent sans cesse en contact par téléphone ou par Facebook (et oui).
C'est dans le cadre de cette seconde politique que sera progressivement formé un commando dont l'objectif avoué (par-delà les élucubrations sur les croisés qu'il faut punir et la dépravation qu'il faut éradiquer) est de sidérer le monde comme l'avait fait Al-Qaïda une première fois avec le 11 septembre avant de le renouveler dans un autre genre lors des attentats de Charlie Hebdo. Faire peur, terroriser, motiver d'autres esprits faibles par le spectacle de « victoires » portées au cœur même de « l'ennemi », c'est le but premier. Second but, clairement exprimé aussi par les idéologues de Daesh, créer dans les sociétés occidentales des fractures religieuses telles que les guerres civiles y deviendraient inévitables (pour l'instant, ça tient).
C'est de cette cellule que seront pensés et organisés les attentats du 13 novembre. Les frappes de la France en Syrie, sur Raqqa même, ne commenceront qu'en 2015, trop tard pour avoir une chance de désorganiser la cellule terroriste si tant est que cela ait pu être possible.
Un point terroristes ensuite. Composé de membres venus de très nombreux pays et agissant aussi dans de très nombreux pays, Daesh dément par ses actes même les justifications faciles qu'elle présente aux esprits faibles et aux idiots utiles. Des attentats ont lieu dans des pays musulmans, des attentats ont eu lieu dans des pays qui ne participaient pas à la coalition en Syrie, des attentats ont eu lieu dans des pays qui ont des législations totalement différentes de la France, des attentats ont eu lieu dans des pays qui sont eux-mêmes d'anciennes colonies, des attentats ont même eu lieu dans des pays qui pratiquent à grande échelle les « accommodements raisonnables » ; et pour finir, quoi qu'en pense Edwy Plenel, quantité des combattants jihadistes ne sont pas des damnés de la terre, leur sociologie le prouve.
Tout n'est que mensonge dans la propagande d'une organisation totalitaire qui ne recherche que le pouvoir et l'hégémonie. Mais il faut admettre qu'en jouant sur un sentiment d'humiliation construit depuis des décennies au moins par des organisations militantes religieuses et politiques et en s'adressant à des hommes et femmes prêts à croire littéralement une version fantastique (presque fantasy) de la religion, Daesh est parvenu à recruter massivement et à séduire bien au-delà de ceux qui la rejoignirent.
Enfin, un point enquête. L'opération du 13 novembre a été préparée et menée sur presque neuf mois. Pendant neuf mois, les fanatiques illuminés qui constituent le(s) commando(s) vont se déplacer entre les pays d'Europe, faire plusieurs allers-retours en Syrie, s'équiper et s'armer comme pour la guerre, sans que rien ne puisse être fait à temps. Tout du long, les services occidentaux les cherchent et tentent de les mettre hors d'état de nuire. Tout du long, hélas, ils échouent.
D'Abaaoud aux frères Abdeslam en passant par Abrini ou Abou Hamza sans oublier les autres que je ne cite pas, ces hommes, qui ont basculé dans le Al-wala' wal-bara', utilisent mensonge et dissimulation (taqîya), téléphones uniques et codes, liens familiaux et de quartier, mais aussi de vrais papiers européens qui leur permettent de circuler assez librement, dans l'espace Schengen notamment. Ils profitent de l'absence d'interconnexion des différents fichiers de police européens, de l'absence de fichiers des passagers de transports aériens, de l'absence de coordination en temps réel entre les forces antiterroristes européennes.
Etat de droit, habitudes professionnelles, manque de moyens, il y a un peu de tout dans l’explication à ces failles. Qu'importe pour les terroristes, ils les exploitent au maximum, aidés de plus – divine surprise – par une crise migratoire dont Daesh est en partie à l'origine et qui permet à nombre de membres des commandos du 13 novembre de passer les frontières en se dissimulant au milieu du flux des réfugiés ; le but est d'entrer dans l’espace Schengen, après, tout sera facile.
C'est donc en dépit de la certitude de l'existence d'une opération en cours que les services antiterroristes ne parviendront pas à trouver à temps les commandos ou les cibles. On n'accablera pas les services belges de terrain (pourtant à l'épicentre géographique et démographique de l'affaire) que leur manque flagrant de moyens empêchera plusieurs fois d'analyser à temps des éléments importants – ce ne sont pas eux, hélas, qui fixent leur budget.
On sera en revanche plus critique sur une opération qu'ils lancent trop tôt sans coordination avec leurs partenaires (l’arrestation de Verviers), ce qui permet à Abaaoud d'échapper à la souricière qui lui était destiné en Grèce. On s'étonnera (mais les moyens matériels et théoriques manquent là aussi) de la manière dont les suspects interrogés parviennent sans trop de difficulté à enfumer les agents interrogateurs européens, preuve d'une méconnaissance de la pensée et des modes d'action islamistes dont on espère qu'elle n'est plus d'actualité aujourd’hui ; d'Etienne (+) à Kepel en passant par Rougier, entre autres, ce ne sont pas les spécialistes de ces questions qui manquent dans un pays comme la France.
"La Cellule" est un album qu'il faut imho lire pour comprendre, alors que le procès est en cours, comment la nuit du 13 novembre a été possible. Documenté, illustré de documents originaux chaque fois que possible, clair en dépit de la complexité, et pudique quand nécessaire, "La Cellule" devrait être ta prochaine lecture, lecteur. Tu y verras comment des idiots du village fanatisés sont parvenus à tuer presque 200 personnes qu'ils ne connaissaient pas. Tu y liras la longue liste des noms de ces victimes, de Charlie Hebdo à Bruxelles, immolés sur l'autel du totalitarisme religieux ; une liste qui n'est pas hélas pas close, car le jihad à bas bruit est pour longtemps d'actualité.
La Cellule, Seelow, Jackson, Otero
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