Daryl Gregory : I’m Not Disappointed Just Mad AKA The Heaviest Couch in the Known Universe

Conseil aux nouveaux auteurs : Faites attention quand vous plaisantez en ligne. Imaginez, vous faites une blague sur l’écriture d’une histoire ridicule, quelque chose que vous n'écririez jamais ; ce n'est qu'une bonne blague jusqu’à ce qu’un éditeur en entende parler et vous demande d’écrire cette histoire. Il y a quelques années, sur un site, je disais à quel point Iain Banks était mon écrivain préféré mais que si je devais écrire un space opera, ce serait sur deux fumeurs défoncés qui manquent la guerre interstellaire parce qu’ils essaient de déplacer un canapé d’un bout à l’autre de la ville. Jonathan Strahan est alors intervenu et a dit : Je publierais ça. Ha ha ! Très drôle. Il a alors ajouté : Non, vraiment. Plus tard, on s’est croisés à une convention, et il m’a dit : Alors, cette histoire façon Iain Banks ? Et voilà, c'est fait ! Je sais, c’est une histoire absurde, mais en ces temps sombres... Sachez juste qu’elle a été écrite avec beaucoup d’amour et d’admir

La Grande Guerre de Charlie - Mills - Colquhoun


Charley's War – "La Grande Guerre de Charlie" – est une BD de Pat Mills dessinée par Joe Colquhoun et publiée sous forme de courts strips de trois puis quatre pages dans la revue Battle Picture Weekly entre 1979 et 1988. Le label français Delirium en a publié une intégrale en dix volumes ; pour fêter ses dix ans d'existence il sort aujourd’hui une ouvrage de belle taille contenant l'intégralité des épisodes consacrés à la Bataille de la Somme assortis d'interviews des auteurs et de reproductions de certaines couvertures. Il fallait bien que je m'y plonge.


Décidé à montrer les horreurs et la cruauté sans nom d'une Grande Guerre dont on pensait bêtement qu'elle serait la Der des Ders, Mills le fait à travers le personnage de Charlie, un jeune Anglais de 16 ans guère futé mais très patriote qui s'engagea en mentant sur son âge quand on lui dit que son roi avait besoin de lui.

Arrivé en France au milieu des Pals Batallion, Charlie se retrouve sur le front juste avant l'offensive de la Somme, la plus grande boucherie que vécut l'armée britannique durant toute la guerre. Chanceux (le mot est-il approprié ?), il la traverse de bout en bout sans être tué alors qu'autour de lui il voit mourir quantité de ses copains (sans oublier les 500000 autres tués, blessés, ou disparus – ce qui signifie pulvérisés – dont Charlie n'a pas directement connaissance).


Cette "Grande Guerre de Charlie" dont tu es le témoin, lecteur, ne diffère pas par ses atrocités des autres Grandes Guerres dont je t'ai déjà parlé sur ce blog.

Tu y croiseras hélas encore une fois :

  • le cortège des morts sans nombre et souvent sans nom
  • les ordres absurdes d'un commandement aussi insensible aux souffrances des soldats qu'incapable de prendre la mesure de la guerre industrielle moderne
  • la froideur et la morgue de la plupart des officiers (encore plus prononcée dans l'armée britannique que dans la française, survivance aristocratique oblige)
  • l'horreur des gaz de combat ou des lance-flammes
  • le sacrifice inutile et scandaleux de fantassins courant sur ordres au-devant des mitrailleuses qui les fauchent dans le no man's land
  • les combats au corps à corps dans les tranchées, affrontements bestiaux où il faut tuer ou être tué
  • les cours martiales express dont on sort condamné à mort sans raison
  • les exécutions de prisonniers en dépit des conventions internationales
  • l'espoir paradoxal de la blessure handicapante qui permet de rentrer au pays autrement que mort
  • la dureté inhumaine d'une police militaire prompte à voir des lâches dans des hommes qui ont, eux, connu le front, et de médecins militaires qui ont pour seul objectif de renvoyer les blessés au combat.


Tout cela tu l'as déjà vu et lu si tu es un habitué de mon tag. Mais comme toute œuvre, "La Grande Guerre de Charlie" est unique.

Tu y rencontreras :


  • le jeune Charlie, loyal à ses compagnons d'infortune et toujours assez courageux pour vaincre sa peur
  • la famille de Charlie, qui s'inquiète pour lui et n'a pour toute information que les « bonnes nouvelles » de la propagande et les lettres volontairement édulcorées, jusqu'à la licence poétique, d'un Charlie qui raconte la guerre sans les inquiéter avant de ne plus pouvoir le faire du tout
  • les copains de Charlie, amis à la vie et souvent à la mort, sur qui il compte et qui comptent sur lui
  • le sergent Tozer, dit « le vieux Bill », assez humain pour être le pilier sur lequel ses hommes s'appuient
  • le lieutenants humain, proche de ses hommes et qui le paie lourdement, et le salaud qui exprime un mépris indifférent pour eux, avec pour résultat la mort à court terme, comme par négligence
  • les troupes allemandes aussi désemparées que les britanniques, et autant possédées par l'esprit de vengeance, une atrocité répondant à une autre, et un ami perdu à un autre
  • et bien d'autres choses encore


  • tu vivras des moments épiques au long d'une bataille qui dura cinq mois (bilan : une avancée de 12 kilomètres et trois villages pris ce qui n'empêcha pas le commandement britannique de la qualifier de « grande victoire »).
  • tu participeras à une longue et hallucinante équipée en char d'assaut (les premiers de la guerre, considérés comme des armes inhumaines).
  • tu verras les premiers avions de combat jeter du ciel des fléchettes métalliques pour transpercer les fantassins en-dessous.
  • tu assisteras à l'une des dernières charges de la cavalerie britannique.
  • tu découvriras, effaré, la tactique consistant à lancer deux gaz de combat différents afin que l'un prépare le terrain à l'autre.
  • tu t'indigneras devant les exactions du fictif bataillon allemand d'élite du colonel Zeiss
  • tu verras l'ignominie des exécutions d'abris lors d'un très long repli sous les assauts allemands qui, changement d'ordres, ne profiteront même pas de leur avancée.
  • tu seras témoin de l'immense courage de soldats choisissant de se sacrifier pour protéger leurs camarades.
  • tu verras les trains emportant les morts ou les blessés croiser les colonnes de soldats « frais » montant au front pour le remplacer.


Tout ceci tu le connaîtras grâce à un scénario si proche de ceux qu'il décrit que tu ne pourras que t'y attacher – jusqu'au moment où une balle ou un shrapnel t'obligera à t'en séparer –, un scénario fruit des recherches approfondies de Pat Mills pour dire le vrai, un scénario plein jusqu'à la gueule de souffle et de moments épiques, seuls à même de rendre justice à la conflagration vécue par les tommies, ces petits gars tout simples qu'on avait convaincu de venir.

Et tu le verras grâce à des dessins de Colquhoun si précis, documentés, clairs, que tu regretteras juste qu'ils ne soient pas tous king size (le format avait ses exigences). Fonce !


La Grande Guerre de Charlie, La Bataille de la Somme, Intégrale, Mills, Colquhoun

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