The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Feminicid - Christophe Siébert


« Le 28 février 2028, Timur Maximovitch Domachev, ancien journaliste, a été découvert mort, une balle dans la tête...Une rapide enquête a conclu à un décès volontaire, bien que le défunt n'ait jamais possédé d'arme à feu »

C'est ainsi que se passe le premier contact entre le lecteur de "Feminicid" et l'enquête menée par un journaliste assassiné.


Sur les traces de Timur Domachev, tu chercheras les auteurs et commanditaires des plus de 2500 féminicides qu'a connus la ville, femmes enlevées puis retrouvées mutilées, violées, assassinées, sans compter les disparues qu'on ne retrouve jamais, le tout dans l'indifférence générale.

Y a-t-il un système derrière ces morts ? Sont-elles décidées par une volonté unique ? Existent-ils des forces qui font en sorte qu'on n'enquête pas dessus ?

C'est à toutes ces questions que tente de répondre Domachev, ce qui l’entraînera à démêler, peau d'oignon après peau d'oignon, l'histoire de la ville et des hommes qui la dirigent.


Pour cela il devra plonger dans les bas-fonds – mais y en a-t-il de hauts dans cette ville ? – de Mertvecgorod. Il devra, pour tenter de comprendre, arpenter la ville, identifier des suspects, les interroger, les violenter si nécessaire. Mais comme dans une matriochka, chaque visage découvert n'est que le masque sous lequel se cache le visage suivant, dans une régression infinie qui ne peut jamais donner entière satisfaction ; le tableau peut être complété sans fin, il reste toujours des choses qui ne sont pas dites – tues ou non sues –, et si le fantastique s'invite plus ici que dans Images de la fin du monde, l'âme des hommes est au moins aussi opaque que les zones noires qu'habitent les métaphysiques forces du Mal.


Présenté comme le dossier Feminicid de Domachev retrouvé par une hackeuse de talent, l'ouvrage est constitué de longs passages rédigés par le journaliste avant sa mort, de notes prises par lui sur des personnages, des faits, des lieux, de fragments d'interviews, jusqu'à des notices Wikipédia pertinentes. L'ensemble forme un tableau impressionniste dont la trame s'étend du début du XXe siècle (et sans doute bien avant) à ce mois de février 2028 qui clôt tragiquement la vie de Domachev.

On y retrouve le Siébert de Images de la fin du monde, qui va jusqu'au bout de l'abjection parce que d'une part, si ça existe ça doit être montré, et que d'autre part, il est impossible de décrire une cité corrompue par des forces chtoniennes sans montrer l'effet de ces forces sur la population qui l'habite, a fortiori dans un monde soviétique puis post-soviétique en déliquescence avancée, où n'existe que le pouvoir et ce qu'il autorise, que ce pouvoir vienne de l'argent ou d'une position avantageuse dans la structure politico-sociale.

Quand on est en haut, peu importe ce qu'on a dû faire pour y arriver, on se sert (sauf si on est un saint, mais il y en a peu à  Mertvecgorod), et les autres, tout juste des silhouettes, ne sont que des moyens.

Le pouvoir attire, le pouvoir est sa propre fin, pour sortir de l'enfer ou vivre une vie sans limites. Avec les conséquences que Siébert nous donne à voir. Si le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument, comme l'écrivit Lord Acton.


Les quatre jeunes hommes exploités qui deviendront le Clan des Quatre et gouverneront la ville en sont l'illustration, tant dans le processus d'ascension que dans l'usage qu'ils feront de celle-ci, « Leur vie avait bien changé depuis le lager. Quand ils le longeaient en voiture leurs ventres se serraient. Pas parce qu'ils pensaient à ceux qui taillaient des pipes pour une drogue dix fois moins pure que celle qu'on leur filait maintenant, ni parce qu'ils pensaient à ceux qui se laissaient enculer en échange d'une nourriture que désormais ils jetteraient d'un geste dédaigneux, mais parce que, au contraire, leur lien avec tout ça s'effilochait...Cependant, s'ils pressentaient qu'il s'agissait là d’une erreur peut-être mortelle, ils se demandaient aussi lequel trahissait l'autre. Etait-ce en eux le parvenu qui trahissait le crevard en le méprisant, ou le crevard qui trahissait le parvenu en s'obstinant à lui gâcher le plaisir, à lui rappeler le coût de tout ça, la misère sur laquelle leur luxe se bâtissait, alors qu'il aurait mieux fait, au lieu de jouer au professeur de morale, d'en profiter et de fermer sa gueule...En dépit de ces tourments existentiels, qu'ils allaient bien vite étouffer, qu'ils étoufferaient comme des parents assassinant sous un oreiller le nouveau-né qui gâchait leur sommeil, ils se souviendraient de ces quelques mois comme des plus insouciants et des plus agréables de leur vie. Une longue et interminable partouze. La face cachée du socialisme réel. L'envers du décor. Le collectivisme vu du côté de ceux à qui le pays appartenait. »


Peuplé de personnages ambigus et complexes (y compris un avatar méphitique d'Andy Warhol), truffé de situations que leur vraisemblance même rend abjectes, "Feminicid" met en relation Mal métaphysique, Mal des systèmes incontrôlés (ou trop contrôlés), Mal de l'âme humaine.

Pas manichéen pourtant, il affirme aussi que des gens tentent de vivre décemment à Mertvecgorod mais que c'est une tâche titanesque d'y parvenir, quand la vie ne vaut rien et que des forces irrépressibles (humaines mais pas seulement) s'acharnent à pervertir et à détruire dans leur intérêt propre, par la violence extrême et l'inégalité qui pousse aux limites de la survie, « Dans un système non marchand comme celui de l'aeroportlag, il existe une seule monnaie d'échange : soi-même. »

Les féminicides sont certes une entrée dans la ville, mais ils ne sont, hélas, que l'un des avatars de la corruption qui la gangrène et qui n’épargne presque personne. Le système, autoreproducteur, n'a finalement qu'un but, perdurer, parfois sans même savoir si ce qu'il autorise l'y aide.


Ecrit dans une langue aussi pointue que régulièrement hallucinée, parsemé de scènes d'une force incroyable, "Feminicid" est le deuxième ouvrage de Christophe Siébert à se passer dans la ville-enfer de Mertvecgorod. Livre Janus, il se lit sans peine comme un one-shot tout en étant une vraie « suite » ; les nombreuses références à des faits ou des êtres du précédent opus ne gênent jamais la compréhension du nouveau lecteur qui découvre les lieux, mais ces références même offrent à celui qui revient arpenter les rues mortifères de la cité-poubelle des explications détaillées – laissées dans l'ombre lors du premier voyage – concernant la genèse de la cité comme cloaque, la création et l'entretien des réseaux de pouvoir qui la structurent, les courants telluriques – métaphoriques ou réels – qui la parcourent et la secouent.


Dans "Feminicid", sans jamais perdre le nouveau lecteur, le lecteur de retour, après avoir vu le visage du Mal à la fin du premier opus découvre maintenant son Eglise et le complexe étatique mafieux avec qui elle ne fait qu'un.


Feminicid, Christophe Siébert

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