Daryl Gregory : I’m Not Disappointed Just Mad AKA The Heaviest Couch in the Known Universe

Conseil aux nouveaux auteurs : Faites attention quand vous plaisantez en ligne. Imaginez, vous faites une blague sur l’écriture d’une histoire ridicule, quelque chose que vous n'écririez jamais ; ce n'est qu'une bonne blague jusqu’à ce qu’un éditeur en entende parler et vous demande d’écrire cette histoire. Il y a quelques années, sur un site, je disais à quel point Iain Banks était mon écrivain préféré mais que si je devais écrire un space opera, ce serait sur deux fumeurs défoncés qui manquent la guerre interstellaire parce qu’ils essaient de déplacer un canapé d’un bout à l’autre de la ville. Jonathan Strahan est alors intervenu et a dit : Je publierais ça. Ha ha ! Très drôle. Il a alors ajouté : Non, vraiment. Plus tard, on s’est croisés à une convention, et il m’a dit : Alors, cette histoire façon Iain Banks ? Et voilà, c'est fait ! Je sais, c’est une histoire absurde, mais en ces temps sombres... Sachez juste qu’elle a été écrite avec beaucoup d’amour et d’admir

Fausses pistes - Duhamel


« On est dans l'Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende »

C'est sur ces mots tirés de L'homme qui tua Liberty Valence que s'ouvre le one-shot "Fausses Pistes", de Duhamel. Ils résument la philosophie de l'ouvrage.


Frank Paterson Junior est un quarantenaire qui vit seul, au milieu des effets personnels de sa mère décédée. Il est aussi, chaque jour, le marshall Jake « Wild Faith » Johnson dans un spectacle de western au cours duquel, aidé de du tireur d'élite Doc, il affronte et vainc l'outlaw Butch et ses frères sous les yeux ébahis de touristes en shorts.

Problème, Frank n'a plus vraiment l'âge du marshall historique. Cerise sur le gâteau, Frank/Jack, passionné d'histoire et de réalisme, est son personnage, il l'incarne à un point tel qu'il pose problème à la direction du parc d'attractions qui finit par le licencier. Sans boulot et sans but, Frank/Jack se joint à un voyage organisé à travers l'Ouest américain, sur les traces d'une mythologie qu'il chérit et n'a toujours vécue que par procuration. Il va y découvrir quelques réalités, tant sur l'Ouest véritable que sur le pays dans lequel il vit.


Le voyage organisé est un microcosme de la société américaine. Guide mexicaine pas vraiment régulière, féministe radicale, couple de bobos pontifiants, ex-marine agressif et provocateur, entourent quelques touristes lambdas ainsi qu'un Frank/Jack confis dans l'huile du passé au point que son érudition sur l'Ouest « authentique » finit par exaspérer ses compagnons de voyage ; ajoutons-y pour être complet une policière d'origine indienne qui a mieux à faire que de materner des touristes en goguette alors qu'il y a tant de problème sociaux dans la réserve et on a une cocotte-minute qui ne manquera pas d'exploser.

Pendant que les plus calmes visitent à travers l'écran de leurs téléphones et ratent l'intensité du moment en faisant des selfies humoristiques dans Monument Valley, les plus excités se cherchent et se provoquent dans une violence verbale qui deviendra à terme physique.


Sorti du cocon protecteur de son existence illusoire, Frank/Jack se retrouve confronté pour la première fois depuis longtemps à la vraie vie. Il découvre un pays dont on dit à juste titre qu'il est aujourd'hui fracturé ; ça, c'est pour le présent. Et par la « grâce » d'une rencontre très singulière, il est aussi mis face à la réalité historique peu reluisante de l'Ouest ; ça, c'est pour le passé.

C'est donc un double réajustement que subit Frank, une double reconnexion à son pays et à son histoire, un voyage intérieur qui le replace dans un monde qu'il avait délaissé depuis bien trop longtemps, un trip mystique qui lui dessille les yeux et lui permet enfin d'agir comme celui qu'il croit/veut être. Par delà les oripeaux des « reconstitutions » historiques et l’absurdité des clichés sur les Amérindiens, il touche enfin la vérité des personnes et trouve la force d'être à la hauteur de l'image qu'il a de lui.


"Fausses pistes" est une vraie réussite. Aussi intéressant qu'émouvant, et dans un style graphique aussi personnel qu'agréable à l'œil – cartoony-réaliste dirons-nous faute de meilleur terme –, Duhamel offre un voyage au cœur d'un Ouest fantasmé qui devient progressivement l'Ouest véritable, loin si loin de l'image d'Epinal qu'en véhicule la légende.

Du passé au présent, les silhouettes imaginaires immobiles face au soleil couchant prennent chair et sont replacées dans leur nécessaire complexité. Au plan individuel, Frank/Jack est rendu attachant par ses failles même ; quant à sa rencontre avec la nation indienne, elle est aussi crédible qu'émouvante.


C'est souvent dur, parfois drôle, toujours acéré lorsqu'il s'agit de pointer les travers les moins ragoutants de l'humanité. Des touristes, aucun ne sort grandit de l'aventure, et c'est finalement Frank/Jack qui tire la couverture à lui en incarnant une seule fois les valeurs de courage et d'honneur que la mythologie des westerns attribuent à des « héros » qui ne les possédaient pas, et qui, ce faisant, laisse tomber son personnage et récupère une identité.

A lire sans faute.


Fausses pistes, Duhamel

Commentaires

Anonyme a dit…
Toutes les BD de Bruno Duhamel sont excellentes.Dans la famille tout le monde est converti à cet auteur.
Et celle-ci ne va pas échapper à la règle.
Merci pour l’info.
Gromovar a dit…
Bonne lecture alors à toute la famille :)
Baroona a dit…
J'aime bien le terme "cartoony-réaliste" pour qualifier son style, y'a vraiment de ça, et c'est en effet fort agréable.
Content de voir que cette nouvelle parution est à la hauteur de ses précédentes, je me fais une joie d'avance de la lire. Tu en as lu d'autres toi ?
Gromovar a dit…
Non, mais je vais m'intéresser à Nouveau contact.