"Project Hail Mary" s'ouvre sur un réveil douloureux. Un homme – le
narrateur – sort du coma dans un lieu qu'il ne reconnaît pas, entouré de
machines de soins qu'il ne reconnaît pas non plus. Près de lui deux cadavres,
installés dans des machines identiques, victimes peut-être d'un
dysfonctionnement. Qui sont-ils ? Il l'ignore. Problème, il n'ignore pas que
ça. Il ne sait pas non plus qui il est lui-même, ce qu'il fait là, où il est
précisément, et pourquoi ?
Ce que toi tu sais, lecteur, car tu as au moins lu la 4ème de couv. avant
d'acheter "Project Hail Mary", c'est que la narrateur est seul dans un
vaisseau spatial à une douzaine d'années-lumière de la Terre, non loin de
Tau Ceti. Et que sa
mission, dont il a tout oublié, est cruciale. Rien moins que sauver
l'humanité.
Sans spoiler, car on l'apprend vite, l'homme amnésique retrouve son identité.
Il s'appelle Ryland Grace, a failli révolutionner l'exobiologie en affirmant
dans un article retentissant que la vie n'avait pas besoin d'eau pour se
développer, a quitté le monde académique devant le tollé suscité, et, revenu à
l'anonymat, enseignait les sciences dans un collège. Il est un homme de notre
époque, un de ceux qui font tourner la boutique sans qu'on les remarque.
C'est pourtant vers lui que s'est tournée Eva Stratt, une femme de l'ombre
devenue la personne la plus puissante du monde par la grâce d'un accord entre
membres de l'ONU, pour l’assister dans la plus grande entreprise que la Terre
ait jamais connue.
Car l'heure est grave. Une astronome nommée Irina Petrova a découvert par
hasard une émission infrarouge incompréhensible reliant le Soleil à Vénus. Peu
après, une sonde solaire japonaise a prouvé que la luminosité solaire
diminuait au rythme de l'augmentation de celle de la « ligne Petrova ». Les
émissions solaires s'amenuisent, à une vitesse suffisante pour plonger à court
terme le monde dans une glaciation fatale. Ce qui avait commencé comme une
curiosité scientifique s'est vite avéré être un péril mortel pour toute
l'espèce humaine.
Branle-bas de combat. Nomination d'Eva Stratt, à qui sont donnés les pleins
pouvoirs sur toutes les ressources mondiales. Et intégration précoce de Grace
à l'équipe, en raison de l'hypothèse qui lui avait fait quitter le monde de la
recherche. Car la cause du trouble est biologique. Et que les organismes qui
le causent – dont on étudient en accéléré les bizarreries métaboliques –
offrent involontairement un espoir de solution. Pour l'atteindre, il faudra
toutes les ressources matérielles et technologiques du monde, beaucoup de
courage, une bonne dose de chance, sans oublier la volonté irrationnelle de
ceux qui n'ont plus rien à perdre. L'humanité en est là. Et par ricochet
Ryland Grace aussi.
Tout ceci ne te dit pas, lecteur, comment l'homme se retrouve à proximité de
Tau Ceti, ni ce qu'il est censé y faire. Pour le savoir, tu devras lire le
roman et tu y découvriras, dans une alternance de flashbacks et de scènes au
présent, comment l'humanité (la nôtre, celle d'aujourd'hui) est
parvenue à monter une telle mission et ce qu'elle en espère.
Dans "Project Hail Mary", Andy Weir crée un personnage très attachant
en la personne de Ryland Grace. Tant ses forces réelles que ses nombreuses
faiblesses en font un être complexe, un personnage fondamentalement aimable,
un véritable héros dont on se surprend vite à souhaiter plus que tout
l'improbable réussite.
Seul au milieu de rien, Grace, qui retrouve peu à peu la mémoire et le sens de
sa mission, se comporte comme le faisait le Mark Watney de
Seul sur Mars, en scientifique pur qui cherche et trouve dans la méthode scientifique les
solutions aux problèmes immenses auxquels il est confronté ; et si sur Mars
l'objectif était clair, « repartir vivant », ici c'est au bien plus vague «
trouver une solution pour sauver la Terre » que s'attaque le narrateur.
Confrontation à l'inconnu, questions d'ingénierie, chaque problème – et ils
sont nombreux – est résolu après une analyse rigoureuse suivie d'une réflexion
sur les moyens scientifiques et techniques de les surmonter. C'est vrai au
présent, alors qu'il est seul dans son vaisseau, c'était vrai sur Terre aussi
lorsqu'il fallut, pièce par pièce, créer les conditions de possibilité de la
mission et tenter de gagner un peu de temps avant le cataclysme. C'est de
nouveau un roman pour technogeek que propose Weir. Et c'est bon, a fortiori
dans notre triste monde qui se détourne peu à peu de la rationalité
scientifique.
Porté par la personnalité de son héros, "Project Hail Mary" est aussi
un roman souvent drôle, traversé d'une forme d'humour pince-sans-rire qu'on
trouvait déjà dans Seul sur Mars et qui désamorce la tension et
l'horreur pure d'être le seul humain à douze années lumière à la ronde, sans
possibilité d'être aidé ou secouru, sans moyen de communiquer avec son point
de départ, sans pièces de rechange possible pour ce qui est une tentative
one-shot dont la réussite conditionne rien moins que la survie de la plus
grande partie de l’humanité. Mark Watney communiquait avec la Terre, Ryland
Grace n'a même pas ce luxe. Sans un peu d'humour, impossible de résister au
désespoir qui guette.
La mayonnaise prend et elle est bonne. Rapide, rythmé, rempli de
rebondissements nombreux, surprenants, parfois terrifiants, "Project Hail Mary", en véritable douche écossaise, met les nerfs du lecteur à rude épreuve en
jouant sur une issue favorable qui semble lentement se rapprocher et que
quantité d'événements imprévus se plaisent sans cesse à éloigner comme à
dessein – ceci jusqu'à la presque toute fin. Et ensuite, quelle fin brillante
!
GROS SPOILER DESSOUS – TEXTE EN BLANC – SELECTIONNER SEULEMENT SI VOUS VOULEZ SAVOIR
Mais l'essentiel de la qualité du roman vient de la rencontre que fait
Grace avec un alien, seul survivant d'une mission lancée de 40 Eridani dans le
même but que le Hail Mary.
Très différents sur le plan de la physiologie comme des sens dominants,
incapables de survivre dans la même atmosphère, Grace et « Rocky »
développent une confiance mutuelle, apprennent chacun le langage de l'autre,
mutualisent leurs connaissances scientifiques et leurs compétences
respectives pour réussir ensemble là où seuls ils auraient
échoué.
Entre les deux naufragés, véritables Atlas portant le destin de leurs
mondes respectifs sur leurs épaules, se noue peu à peu un lien de
camaraderie puis d'amitié véritable, avec la grandeur d'âme et le sens du
sacrifice que ça suppose. Deux êtres bons prêtes à tout pour sauver leur
monde et s'entraider l'un l'autre.
"Project Hail Mary" est donc un buddy novel qui fonctionne à
merveille en dépit de son caractère improbable et dans lequel s'exprime le
meilleur de ce que peut faire un humain, le meilleur de ce que peut faire un
alien, le meilleur de ce qu'ils peuvent faire ensemble. S'il doit vraiment
exister du solar punk, c'est à ça qu'il devrait ressembler.
Il y a 7 ans, je chroniquai Seul sur Mars, le premier roman d'Andy
Weir. Relisant la chronique de l'époque, je suis surpris de voir à quel point
"Project Hail Mary" est un Seul sur Mars qui, atteignant l'âge
adulte, aurait conservé ses qualités en se débarrassant de ses défauts. Un
meilleur roman donc. Un roman qui se lit à toute vitesse tant on est captivé
par ses protagonistes et ses rebondissements. Ca a été un vrai plaisir de
lecture.
PS : Brandon Sanderson a adoré. Il en parle sur son site. Et même Obama le conseille.
Project Hail Mary, Andy Weir
L'avis de Feyd Rautha
Cette lecture participe au Summer Star Wars the Mandalorian.
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