"Riot Baby" est le premier roman adulte de l'Américain d'origine nigériane Tochi Onyebuchi. Il est nominé Hugo 2021, Nebula 2021, et a gagné déjà deux trois Prix.
Ella est une petite fille noire qui vit à South Central, pas bien loin de Compton. En 1992, l'acquittement des quatre policiers blancs coupables du tabassage de Rodney King déclenche des émeutes qui feront une cinquantaine de morts. C'est durant ces violences que naît Kevin (Kev, le Riot Baby), le petit frère d'Ella, au milieu d'une ville en proie aux émeutes raciales.
Quelques années à South Central, puis déménagement à Harlem. Maman, Ella, et Kev. Dans un petit appartement.
Maman travaille dur à l’hôpital et fréquente tout aussi intensément l'église. Kev essaie de rester dans le droit chemin ; mais c'est si difficile quand le quartier pousse au crime et que les policiers passent leur temps à harceler, brimer, chercher l'arrestation arbitraire. Ella, elle, est victime de son « don ». Elle a des visions. Elle voit les pensées des gens, elle voit leur avenir, elle voit le passé, elle a des crises de plus en plus violentes durant lesquelles elle est capable de grandes destructions, mettant même en danger son frère et sa mère.
Puis, Sean Bell est tué durant son enterrement de vie de garçon et Ella part sans laisser d'adresse. Kev, lui, pour un braquage, est envoyé à Rykers. Des années d'incarcération, mitard compris. Des années pendant lesquelles Ella, qui peut maintenant voler, se téléporter, etc. vient régulièrement lui rendre visite, en personne ou par l'esprit.
Des années après lesquelles Kev, enfin libéré sur parole, est envoyé à Watts, dans un centre ultramoderne de réinsertion/reprogrammation, alors que dehors l'Etat s'est encore plus militarisé et que la police prend des airs cyberpunk. Ella le rejoint encore, elle le convainc enfin que l'emprise ne cesse jamais, que la vengeance est nécessaire, et qu'une révolution violente doit advenir.
"Riot Baby" est un court roman qui exprime, brute de fonderie, la colère des Noirs américains.
A travers les yeux d'Ella et ses sens surnaturels, le lecteur voit le quotidien discriminé des Noirs américains. Un quotidien fait de misère, de violence, de harcèlement policier. Un quotidien dans lequel les chances de mourir jeune sont élevées, celles de finir en prison encore plus. C'est à travers les vies croisées d'Ella et de Kev, à travers les dizaines de vignettes vision ou souvenir qu'Ella invoque que l'auteur raconte l'histoire des Noirs américains, des plus petits destins individuels aux plus grandes tragédies.
Emeutes de Denver, Rodéo prison à Angola, Rodney King, Sean Bell, et tant d'autres moins connus, jusqu'à tous ceux qui meurent dans un drive-by ou poignardés pendant une embrouille de drogue. Du Sud esclavagiste aux killing fields des ghettos actuels. Des champs de coton aux cellules d'isolement. Toujours sous la surveillance d'un nervi blanc, d'un policier, d'un gardien de prison, d'un drone. Toujours sous l'épée de Damoclès d'un drogué impromptu ou d'un homie adverse.
Les événements, les exemples, infimes ou énormes, s’enchaînent et forment une tapisserie de la souffrance noire américaine dans un pays qui n'a jamais accepté la fin de l'esclavage. Une tapisserie qui se grave au fer rouge dans l'esprit d'Ella jusqu'à la transformer en une incarnation de la rage noire.
"Riot Baby" est un roman très bien écrit, nerveux et incisif, dans un style cut et plus que cut. Le texte est un flow initerrompu, plus adapté à être scandé par Public Enemy que susurré comme une mélopée. L'ensemble est plutôt impressionnant ; et on saluera la performance d'écrire 180 pages en parler homeboy quand on est un auteur diplômé de Yale, Columbia, Sciences Po Paris. C'est ici sans conteste de littérature qu'il s'agit. D'entrer dans la peau de l'autre qu'on n'est pas.
Sur le fond, si on peut comprendre la colère d'Onyebuchi, on est un peu navré de son manichéisme qui ne s’embarrasse guère de nuances – et de son essentialisme fondamental. Dans son roman n'apparaissent globalement que des Noirs et des Blancs (la société US est plus diverse). Tous les Noirs sont peu ou prou des homies ou des pauvres, tous les Blancs sont peu ou prou flics ou assimilés. Les Noirs au centre et le « système » autour, comme un carcan. Tout est simple dans le texte, porté par la rage sans cesse grandissante d'Ella. Toute la subtilité qu'on trouvait chez Colson Whitehead est absente ici, on est plutôt chez Jemisin.
Et si Onyebuchi, fan de X-Men dit-il, fait ressembler son Ella à Ororo 'Storm' Munroe (vol porté par le vent et cheveux blancs), c'est ici la solution de Magnéto qu'il semble avoir choisi. Pas la meilleure assurément.
En général, je n'aime pas les tracts déguisés en roman (et, de plus, je crois avoir maintenant fait le tour de l'histoire littéraire des Noirs américains qui, sous quelque angle qu'on la regarde, est d'un livre à l'autre la même) mais il faut admettre qu'ici, en dépit des préventions que je viens d'émettre, la qualité du texte, de la mise en mots, fait que "Riot Baby" mérite d'être lu, pour sa manière de dire les choses plus que pour sa pondération.
PS : Si on veut presque le même en plus court (9 minutes) on peut écouter Demain c'est loin d'IAM, fond et forme sont proches.
PS 2 : Riot Baby va être publié par AMI et traduit par Anne-Sylvie Homassel ; je lui souhaite bien du plaisir tant il faudra rendre un style très parlé et accumuler les notes de bas de page pour expliquer au lecteur les très nombreuses références que contient le texte.
PS 3 : Quelques données. Les jeunes hommes noirs sont 21 fois plus nombreux à être tués par la police que les jeunes hommes blancs, les Noirs constituent 40% de la population carcérale et 34% des condamnés à mort alors qu'ils ne représentent que 13% de la population, 27% des Noirs sont sous le seuil de pauvreté contre 15% des Américains, le revenu médian des familles noires est de 40% inférieur au revenu médian des Américains, et leur espérance de vie est de trois ans inférieure (données entre 2012 et 2014, pas de grand changement récent dans les proportions).
Riot Baby, Tochi Onyebuchi
L'avis de Feyd Rautha
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